TORPEURS ET BOUILLONNEMENTS

Illustration par Jean-Pierre Evrard
vendredi 14 août 2020
par  Jean-Luc Gonneau
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Aout, le mois des torpeurs. Torpeurs indolentes des plages ou du Lubéron, retraite d’été des parisiens germanopratins, torpeurs vivifiantes des campagnes et montagnes, torpeurs subies par les habitants de ces lieux où le mot vacances est au mieux un rêve, au pire un renoncement. Toutes ces torpeurs, selon les cas, accentuées ou énervées par les protocoles engendrés par la pandémie en cours. Ces énervements viennent s’ajouter aux bouillonnements environnementaux, sociaux et politiques qui apparaissent ou demeurent encore sous-jacents aux quatre coins, foin de géométrie, de la planète. Car ça bouillonne dur, soit dans les corps sociaux les plus exposés aux catastrophes, qu’elles soient déjà subies ou bien menaçantes à court terme, soit dans les « hautes sphères » (foin de géométrie, on a dit) des classes dirigeantes.

Selon les lieux, selon les échelles sociales, une large majorité de la population vit ou sent venir une catastrophe, de Beyrouth à Hong-Kong, de São Paulo à Alger, de Bamako à Kiev et dans tant d’autres lieux. Si en Europe de l’Ouest, en Eurasie ou en Amérique du nord, les ébullitions demeurent en grande partie souterraines, on les sent présentes. En France, les grèves, les manifestations nombreuses de ces derniers semestres, le mouvement des gilets jaunes, inédit notamment par sa longue durée, ont témoigné, à juste titre, des inquiétudes et des colères d’une part importante de la population face à un gouvernement et sa majorité parlementaire favorisant outrageusement les intérêts des puissances financières et multipliant les paroles méprisantes envers les « gens qui ne sont rien ».

Le développement de la pandémie a déclenché, de la part de la classe politique et de la plupart des medias inféodés ou non (si, si, il en demeure quelques uns) aux puissances financières, une avalanche de discours sur le thème « le jour d’après, rien ne sera plus comme avant ». Thème idiot si on considère le long terme (car, à long terme, rien n’est jamais comme avant, c’est mieux ou c’est pire, ou les deux, en général les deux). Thème plus pertinent si on considère le court terme. Et c’est bien, comme souvent, sur le court terme, celui des échéances électorales et des cours de bourse, que réfléchit (si, si) la classe dirigeante, française, européenne, mondiale, même si, en partie, elle a conscience que la pérennité de sa prééminence peut être remise en cause si elle se contente de « court-termisme ». Au niveau des plus ou moins grandes puissances, nous assistons, dans tous les domaines (en ce moment, la compétition sur la découverte d’un vaccin anti-Covid, gâchis de compétences qui gagneraient à être mutualisées, mais perspective de poule aux œufs d’or) à une concurrence qui ne se joue plus seulement sur la conception libérale classique, mais sur le renforcement des enjeux de puissance politique. Ceux-ci n’avaient jamais disparu, mais la quasi hégémonie américaine au niveau de l’économie mondiale donnaient aux Etats-Unis une posture d’à la fois juge et arbitre, admise, de plus ou moins bon gré, sur la scène internationale. Cette pax americana économico-politique est aujourd’hui remise en cause par la montée spectaculaire de la Chine, et par la restauration, même partielle, de la puissance russe. Tant la Chine que la Russie ne font grand cas du libéralisme occidental. D’autant que celui-ci est lui-même divisé entre partisans d’un repli (sélectif) sur les bases et les privilèges de leurs territoires (Trump, Bolsonaro, à un degré moindre Johnson) et libre-échangistes traditionnels (Merckel, Macron…).

Pour le vulgum pecus terrien, il n’y a de toutes façons rien à attendre des perspectives envisagées par les leaders des plus ou moins grandes puissances. Comme le dit Alastair Crooke (voir son texte sur notre site), ces perspectives se rejoignent en fait quant à leurs conséquences. Il s’agit d’un choix de Hobson, du nom d’un marchand de chevaux anglais du 17e siècle qui proposait à ses clients un choix « libre » entre le cheval dans la stalle la plus proche de la porte de l’écurie ou pas de cheval du tout. C’est bien d’une autre perspective dont la population du monde a besoin, et c’est la construction de cette perspective qui est le devoir de la gauche, que ce soit en France ou ailleurs. D’aucuns s’y essaient et l’un des plus stimulantes contributions nous paraît être celle de Frédéric Lordon dans son blog du Monde diplomatique La Pompe à phynances, que nous continuons à relayer sur notre site et notre gazette. Il demeure, ici, en France, la tâche est ardue, car aujourd’hui, comme eût dit le camarade Vladimir Oulianov, les conditions objectives ne sont pas réunies. Mais, comme le dit la sagesse populaire, l’espoir fait vivre.


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Commentaires

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vendredi 18 septembre 2020 à 05h36 - par  Celia Berenice

Pour moi, il y a un temps pour tout. Toutefois, on doit quand même forcer la main au destin pour avoir ce que l’on souhaite, mais pas que. C’est dommage que nous n’ayons pas tous nos destins entre nos mains.

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