Lettre (amicale) à Jean-Luc Mélenchon
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Cher Jean-Luc,
Je tiens à te remercier du courriel que tu as bien voulu m’adresser pour me demander mon sentiment concernant l’annonce de ton éventuelle candidature à la prochaine élection présidentielle. Rude tâche que tu t’imposes là, car je ne doute pas que ton courriel a aussi été adressé à des dizaines de milliers de tes amis, et que les réponses seront sans doute nombreuses. Bon courage donc pour tes lectures. J’ai participé avec plaisir, plus ou moins activement selon mes moyens, à tes deux compagnes présidentielles et je demeure sympathisant de la France Insoumise, ce qui ne m’empêche pas de sympathiser avec d’autres organisations de gauche. Car la gauche est pour moi un repère plus pertinent que la notion de peuple quand il s’agit du combat politique.
Je participerai à nouveau avec plaisir à une éventuelle nouvelle campagne présidentielle à tes côtés, si les conditions d’une nouvelle candidature sont remplies. A ce sujet, voilà comment, à la lumière, peut-être vacillante, de mon expérience (je suis Jean-Luc depuis - un peu - plus longtemps que toi), de mon ressenti et de ma raison à moi.
Les derniers sondages, toujours à manier avec précaution, te placent en tête des candidats potentiels classés à gauche. C’est le fruit de ton histoire face à des candidats éventuels ayant un taux de reconnaissance encore limité (Jadot, Piolle…,) ou ayant gaspillé leur crédibilité (Royal). Les classements en termes de popularité ou d’« avenir », encore moins fiables, te sont moins favorable. A mon sens, cela est du en partie aux épisodes des perquisitions, aux algarades parfois inutilement agressives avec la presse, donnant une impression de manque de sang froid. Première leçon : une base électorale existe, nécessaire mais pas suffisante, et sensible à ce qui est considéré comme des dérapages.
Une victoire à l’élection présidentielle nécessite une large, très large union à gauche. Nous en sommes loin, très loin. La France insoumise, mouvement neuf dans le champ politique, n’a pas, à l’instar, à droite, de la REM, réussi une implantation locale solide. Des centaines de groupes locaux en 2017, peu nombreux sont ceux qui demeurent actifs. La FI a moins d’élus que le PS (poids de l’histoire), EELV (poids de la mode et de la défiance envers la gauche tradi, déconsidérée par la période Hollande-Vals) ou même le PCF, pourtant en grande difficulté. Son fonctionnement volontairement « gazeux », son opacité dans la direction, son arrogance après les bons scores de 2017, ses exclusions parfois expéditives ont découragé maintes ardeurs militantes. Bref, sur la question de la large union nécessaire, la FI n’apparait pas comme un pôle attractif. Elle détient cependant un trésor, son programme de 2017, de loin le plus abouti à gauche depuis longtemps. Un trésor qu’il conviendra probablement de partager, ce qui suppose une approche subtile, car le rapport de force électoral n’est pas en sa faveur.
La FI a récemment appelé à des discussions avec ses éventuels partenaires. Sauf erreur de ma part, elle semble avoir « oublié » le PS. Or, on ne saurait réduire le PS aux nostalgiques de François Hollande ou à ses élus qui gardent un œil ouvert vers les ors républicains que pourrait promettre Macron en vue d’un second mandat. De ceux là, il y en a aussi à EELV. Nous savons l’aridité de telles discussions, la patience proche de l’infini nécessaire pour ne froisser personne, ou presque, et contenter sinon chacun, du moins presque tous.
Enfin, il y a la question de la gestion du temps. Est-il sage d’annoncer, dès novembre, une candidature ? Ce pourrait l’être si l’entreprise unitaire avait pris corps, ce qui n’est pas le cas. Il y a lieu, aussi, de considérer la proximité, dans quelques mois, des élections régionales et départementales. Comme lors des élections municipales, la FI n’est pas aujourd’hui en position de revendiquer des têtes de listes dans les territoires gagnables par la gauche, sauf un accord national qui nous ramène au paragraphe précédent. Elle peut par contre y prendre une part active, sans arrogance, sans modestie excessive non plus : bref, le bon élève de la gauche. Annoncer une candidature présidentielle avant cette échéance, n’est-ce pas le risque d’être considéré (et les médias dominants ne manqueront pas d’enfoncer ce clou) comme une sorte de Don Quichotte seul contre tous, qui propose des discussions aux plus ou moins copains, mais qui d’emblée annonce le résultat : le candidat, c’est moi. Cela a marché, presque, en 2017, je doute que ça colle en 2020.
Il serait aussi possible de penser qu’une déclaration de candidature prématurée serait susceptible de décourager certaines ambitions. Je ne le pense pas. Au contraire, une candidature cet automne implique dix huit mois de campagne, avec les hauts et les bas que cela implique, scrutés par tous. Laisser planer un doute positif ne me semble pas la moins mauvaise solution, accompagné régulièrement d’initiatives, si possible de plus en plus unitaires.
De toutes façons, sauf bouleversements politiques majeurs d’ici 2022, qui ne sont pas impossibles mais dont personne ne peut calculer les conséquences, si l’union n’est pas possible à gauche, le « vote utile », ce dangereux réflexe, se coagulera sur la personne que les sondages auront, pour la gauche, placée en tête. Si c’est toi, tant mieux, sinon, il faudra aider l’autre, pour éviter ce rêve macronien qui est un cauchemar : un second tour Macron-Le Pen. Très amicalement
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