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Publier un livre politique, ou comment faire campagne sans le dire

lundi 17 mai 2021
par  Christian Le Bart
popularité : 1%

Un ancien premier ministre (Edouard Philippe), un ministre en exercice (Bruno Le Maire), un ancien candidat à l’élection présidentielle (Philippe de Villiers), un candidat déclaré à l’élection de 2022 (Jean Luc Mélenchon) : le livre politique réunit la droite et la gauche, les anciens et les modernes, les gouvernants et les opposants… La campagne présidentielle qui s’amorce se jouera sur les plateaux de télévision, sur les ondes de radio, sur les réseaux sociaux, dans la presse, mais également, comme les précédentes, en librairie. En effet, l’électorat qui désignera le (ou la) titulaire de la fonction est aussi un lectorat. Twitter n’a pas, bien au contraire, démonétisé le livre. Plus que jamais, celui-ci apparaît comme modalité distinguée de communication, avec le grand public. À l’image dégradée d’un Donald Trump tweetant fébrilement au fil de ses humeurs et de ses pulsions de l’instant, le livre oppose un imaginaire du temps long, celui de l’écriture et de la lecture (solitaires), celui de la sagesse et de la hauteur de vue. La disposition à l’écriture démontre la présidentiabilité car elle suppose la capacité à analyser, à anticiper, à voir les choses en surplomb. Dans un pays comme la France qui accorde au livre une valeur d’exception (prix unique du livre, statut des librairies en période Covid…), la figure de l’auteur est de nature à faire impression. Et dans un contexte où la légitimité politique traditionnelle, celle que confèrent le suffrage universel et les institutions politiques, tend à s’affaiblir significativement, la légitimité conférée par le statut d’auteur constitue une ressource alternative forcément appréciable.

Témoigner d’une disposition lettrée

Par ailleurs, le livre peut témoigner d’une disposition lettrée qui, si elle se situe désormais au plus loin des exigences de la professionnalisation politique, peut faire, aujourd’hui encore, son petit effet. Les interférences entre univers littéraire et univers politique se sont certes raréfiées au fil du temps, les carrières à la Chateaubriand, Hugo ou Lamartine étant difficilement imaginables aujourd’hui en France. Le général de Gaulle a risqué de ce point de vue un formidable anachronisme : les Mémoires de guerre imposaient l’écriture, sinon la littérature, comme attribut présidentiel, grandeur politique et grandeur littéraire se superposant pour créer les conditions d’une « exceptionnalité » que l’élection au suffrage universel direct, en 1962, allait tout à la fois consacrer et cristalliser.

Littérature et politique ont, depuis, repris leurs distances : si quelques grands écrivains ont pu endosser des rôles politiques (Aimé Césaire, André Malraux…), et si quelques politiques ont pu démontrer des talents de plume (François Mitterrand, François Léotard, Dominique de Villepin, aujourd’hui Bruno Le Maire), la politique y compris présidentielle s’est affranchie de toute littérarité. L’obsession de la légitimité littéraire qui conduira Valérie Giscard d’Estaing à l’Académie française ne se retrouve guère chez ses successeurs : Nicolas Sarkozy devra certes faire machine arrière pour avoir trop joué de son image d’ « enfant de la télé » ignorant de la « Princesse de Clèves » (Madame de Lafayette), mais les derniers présidents, si soucieux aient-ils été de promouvoir la culture française, ont renoncé à toute prétention littéraire.

Un média apprécié par les politiques

Ainsi délesté de toute valeur littéraire, le livre politique demeure pourtant un média apprécié par les politiques et les communicants. Il permet de donner à voir un diagnostic sociétal, un projet de société, éventuellement un programme présidentiel. Il permet surtout de se mettre en scène comme personnalité politique, voire comme marque (comme le suggère le doctorant et communicant Raphaël Llorca) selon une grammaire individualisée parfaitement ajustée à la logique de l’élection présidentielle. Edouard Philippe et Bruno Le Maire insistent sur leur statut d’hommes « libres », au-delà des pesanteurs associées aux rôles institutionnels. La fameuse rencontre entre un homme ou une femme, et un peuple, au principe de l’épreuve électorale, est déjà inscrite dans l’acte de publication : car plus que jamais le livre politique est l’affaire d’une personnalité signataire, celle-là même que l’on retrouvera en portrait sur la couverture, celle-là même qui se confiera au fil de pages au ton volontiers intimiste. Bruno Le Maire par exemple met en scène d’entrée ses affects comme dans Paul où il évoque un ami disparu ou plus récemment dans son ouvrage L’Ange et la bête.

Le livre politique n’est plus ce qu’il était dans les années 60 ou 70. Les singularités individuelles s’effaçaient alors devant ces auteurs collectifs hégémoniques qu’étaient les partis politiques. Certains ouvrages étant carrément signés du PSU, du CERES, du collectif Assises su Socialisme… L’énonciation, lorsqu’elle s’individualisait, demeurait enfermée dans des formes de loyauté partisane qui rendaient le texte impersonnel, sinon prévisible. Pierre Juquin par exemple, écrivant depuis le PCF, réfutait l’idée même de point de vue personnel. Les auteurs étaient avant tout des porte-parole.

Des auteurs libérés des loyautés partisanes

Les politiques qui publient aujourd’hui ne se situent plus du tout dans cette logique. Libérés des loyautés partisanes et même gouvernementales, les politiques écrivent en tant qu’individus pour exister dans un champ politique hyper-individualisé. Ils empruntent à une grammaire de l’authenticité qui fait voler en éclat toutes les loyautés institutionnelles. Il s’agit pour eux de donner à voir une personnalité (au-delà des institutions), une sensibilité (au-delà des idéologies et des doctrines), une volonté d’agir (au-delà des programmes). Les livres politiques se teintent d’une dimension autobiographique : on y parle famille et amis, parcours scolaire et années de formation, expériences politiques et extra-politiques, on y révèle ses passions, ses lectures, ses ambitions… Peopolisation ? On pourrait parler aussi de présidentialisme ordinaire pour désigner la large diffusion au sein de la classe politique de formes de présentation de soi longtemps restreintes aux seuls présidents en exercice. La personnalisation de la République conférait au chef d’État une visibilité à laquelle ne pouvaient prétendre les autres figures de la politique. Lui seul, par exemple, exposait femme et enfants comme le fit Valery Giscard d’Estaing en 1974.

Le livre politique permet désormais, avec d’autres médias bien sûr, de diffuser cet ethos à un grand nombre de personnalités politiques, celles et ceux qui, parce qu’ils/elles ont occupé des positions institutionnelles exposées (ministre, chef de parti, maire de grande ville…), existent dans l’espace public y compris auprès du grand public. L’ethos présidentiel s’est diffusé aux candidats puis aux présidentiables déclarés, supposés, pressentis… Cette catégorie est devenue de plus en plus large dès lors que toute la vie politique tend à se construire autour de ce seul enjeu (réforme du quinquennat, procédure des primaires…).

Attirer la lumière, valoriser la sincérité

De la sorte réorientés, les livres politiques s’ajustent à un air du temps qui valorise la sincérité et l’authenticité, au-delà des rôles et des attendus institutionnels. Les auteurs prétendent dire la vérité ; celle de leur rapport au monde, celle du petit monde politique dont ils ne craignent plus de révéler les coulisses, celle du monde social qu’il prétendent gouverner. Ainsi Bruno Le Maire s’autorise-t-il à décrire les coulisses du macronisme depuis sa position de ministre de l’Économie. Publié alors qu’il est ministre en exercice, l’ouvrage (L’Ange et la bête, mémoires provisoires, Gallimard, 2021) ne peut manquer d’attirer la lumière sur son auteur : celui-ci affirmera évidemment sa loyauté sans faille vis-à-vis du président et du premier ministre, mais il revendiquera aussi une liberté d’écrivain (dire la vérité) qui l’autorisera à s’affranchir des définitions traditionnelles du rôle de ministre (agir efficacement, servir le collectif gouvernemental, s’effacer en tant qu’individu). On voit ici la vraie raison d’être du livre politique : permettre à une personnalité politique d’exister au-delà de rôles institutionnels qui ne suffisent pas toujours à rendre visible, ou qui confèrent une visibilité contrainte et formatée. Le glissement de l’ethos d’exemplarité à l’ethos de singularité participe à l’évidence de la présidentiabilité ordinaire évoquée précédemment.

L’individualisation du champ politique se marque alors dans la superposition de deux stratégies de présentation de soi : l’une fondée sur l’exemplarité institutionnelle, au risque de l’impersonnalité ; l’autre fondée sur la singularité, au risque de l’imprévisibilité. Le livre politique permet même à ceux qui ont perdu toute position institutionnelle de continuer à exister dans le champ politique. Les tournées de dédicace de François Hollande et de Nicolas Sarkozy s’inscrivent dans cette logique, au même titre que les essais de Philippe de Villiers mais aussi, dans un autre style, Michele Obama.

Article paru dans https://theconversation.com


Commentaires

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jeudi 20 mai 2021 à 14h27 - par  Elodie Pichon

Ce que je ne comprends pas avec les hommes politiciens, une fois aux pouvoirs on ne voit même pas leur travail. Mais une fois que les autres les remplacent, voilà qu’ils écrivent beaucoup de livres dans lesquels ils racontent ou avancent des idées.

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