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Quelle nation française pour 2022 ?

lundi 13 septembre 2021
par  Sébastien Ledoux
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Au moment où la France entre dans une campagne présidentielle complexifiée par les enjeux de la crise sanitaire, les recours à l’idée de « refaire nation », de promouvoir les « valeurs » de la nation, sous-entendu de la République française, semblent devenus incontournables dans les discours des candidats à l’Élysée, quel que soit leur bord politique. Mais que recouvre ce terme ? Et que dit-il plus particulièrement de la nation française et de notre rapport à cette dernière ?

Au sens moderne, la nation est liée de façon quasi indissociable à l’existence d’un État comme l’illustre le terme courant d’État-nation. Ce modèle d’État-nation s’est diffusé depuis l’Europe dans le monde depuis la fin du XVIIIᵉ siècle. La nation s’est ainsi trouvée définie comme un territoire limité par des frontières et composé d’une population administrée par les mêmes lois et un même gouvernement. Dans ce cadre, la nationalité a été l’outil juridico-politique de cette nationalisation des sociétés en faisant de chaque individu vivant sur le territoire un membre appartenant soit au groupe des nationaux, soit à celui de non-nationaux avec la perspective d’obtenir sa nationalité selon certains critères, ou au contraire de se la voir retirer. Environ 15 000 personnes dont 7 000 juifs ont ainsi été dénaturalisés par l’administration de Vichy entre 1940 et 1944. La création de la Société des Nations (SDN) après la Première Guerre mondiale, puis celle de l’Organisation des Nations unies (ONU) au sortir de la Seconde Guerre mondiale en 1945 sont venues renforcer et consacrer cette définition de la nation dans des règles internationales au cours du XXe siècle.

Un groupe humain partageant la même culture

Pour autant, deux autres sens du mot nation se juxtaposent à cette première acception. D’abord un sens beaucoup plus ancien que l’on trouve dans l’Antiquité définissait la nation – étymologiquement de natio/nascor = naître – comme un groupe humain partageant la même origine par un ancêtre commun. L’Ancien Testament témoigne de ce sens initial avec la natio qui est le peuple juif élu de dieu et les nationes qui désignent les peuples païens. Chez les Romains, Cicéron l’associe à des peuples, sans aucun lien avec des États. Le sens du mot s’élargit quelque peu au Moyen-âge ou l’on peut évoquer la présence d’étudiants et de maîtres de plusieurs « nations » au sein des Universités européennes, appellation qui recouvrait en fait des regroupements par des origines géographiques et linguistiques (exemple des quatre nations anglaise, française, picarde, normande à la Faculté des arts de Paris).

Une troisième définition survient avec les révolutions américaine et française de la fin du XVIIIe siècle où la nation devient synonyme de « Peuple » dans un sens politique. La nation existe par la souveraineté détenue par le Peuple et non par un monarque. C’est le sens de l’acte novateur et irréversible des députés du tiers état qui se déclarent « assemblée nationale » le 17 juin 1789, contestant de fait au roi Louis XVI de représenter à lui seul la nation française. Ce nouveau sens rapproche alors la nation de la notion de démocratie puisqu’il est question d’un groupe humain qui représente la nation par le fait de posséder une parcelle du pouvoir politique pour gouverner une population, ou par le fait de déléguer ce pouvoir à d’autres personnes de ce même groupe humain, les élus (démocratie représentative). Cette acception démocratique de la nation a immédiatement donné lieu à des débats - et jusqu’à aujourd’hui – afin de savoir quels individus étaient légitimes pour gouverner au nom de la nation ou choisir ses élus de la nation : les plus riches uniquement (suffrage censitaire) ? Les hommes (suffrage masculin) ? Les nationaux seulement (voir les débats sur le vote des étrangers aux élections locales) ? Dans cette acception, la question est ainsi posée depuis 1789 en France : qui incarne la nation ? Les délégués du peuple qui ont été élus, et, suivant la constitution de 1958, d’abord et avant tout le président de la République, ou le peuple lui-même ?

Une évolution depuis le XIXᵉ siècle

Depuis le XIXe siècle, l’idée de nation n’a cessé d’évoluer en entremêlant ces trois sens :
- étatique, soulevant la question des frontières et la conformité d’un espace politique avec le groupe humain national (droit des peuples à former une nation, sort réservé aux minorités nationales)
- culturelle, soulevant la question de la construction d’un groupe humain homogène fondé sur des mêmes traditions culturelles et donc celle du sentiment d’appartenance nationale de ses membres
- démocratique, avec la question de la représentation politique d’un groupe humain dénommé Peuple, et de la définition de ses contours (démocratie participative, inclusion des groupes minoritaires à la communauté politique).

Loin de s’ignorer, ces trois acceptions de la nation se sont le plus souvent entremêlées. Le projet des États-nations européens a été d’affirmer des frontières (l’Alsace-Lorraine pour l’unification de l’Allemagne en 1871), de produire des cartes nationales d’identité (la première en 1921 pour la France) mais également une culture commune homogène à travers le partage par des individus d’une religion, d’une langue, mais aussi de rituels, de symboles (hymnes, drapeaux), d’allégories (Marianne en France), de contes, de mythes, de musiques, de danses, de cuisines (invention des « plats nationaux ») etc.

« Plébiscite de tous les jours »

Dans sa conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » donnée en 1882 à la Sorbonne, Ernest Renan cherche à dissocier la conception culturelle allemande de la nation donnant une place éminente à la langue, de celle de la France qu’il voit au contraire comme éminemment politique. Dans l’héritage de la Révolution française, la nation se définit pour lui par un contrat entre citoyens manifestant leur volonté de vivre ensemble (« plébiscite de tous les jours »). Mais Renan ajoute que la nation existe également par « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » qui doit inculquer chez chacun un sentiment national, soit un attachement autant qu’une appartenance à cette nation. Par la transmission du passé historique, la nation revêt chez Renan aussi une dimension culturelle. Ces processus de nationalisation administrative, politique et culturelle des populations par les États, qui ont constitué une fabrique massive de « nationaux » depuis deux siècles, ont régulièrement engendré du nationalisme.

Absolutiser la nation comme objet totem supérieur

Il existe en effet dans le fait national une tentation du pouvoir, comme des individus, celle d’absolutiser la nation comme objet totem supérieur dont on est soi-même membre élu, et d’identifier d’autres groupes, internes ou externes au territoire, comme fondamentalement allogènes et inférieurs, menaçant la perpétuation du « nous-national ». Charles Maurras aura été en France l’un des chantres de ce nationalisme dans la première moitié du XXe siècle en développant une théorie sur des groupes qu’il considérait comme des étrangers internes inassimilables et dangereux pour la nation française (protestants, juifs, franc-maçons, « métèques »).

La nation connaît des usages politiques variés qui vont donner priorité à tel ou tel sens selon les périodes. Lourdement discréditée par les deux guerres mondiales, marginalisée par le projet européen, rejeté par le mouvement de Mai 68 et les mouvements régionalistes, l a question nationale refait son apparition dans les années 1980 au gré du déclin du projet internationaliste communiste et d’une accélération de la mondialisation économique.

Mais de quelle nation s’agit-il alors ? Très éloignée du contrat politique pensé par Renan, la question de la nation revient par son acception culturelle, captée par l’extrême droite qui fait irruption dans les élections avec le parti du Front national sur le thème de l’immigration brandie comme une menace pour la nation française.

Un enjeu électoral

Comme l’a montré l’économiste Thomas Piketty, les élections se jouent désormais dans les classes populaires sur la défense des identités culturelles – non plus seulement sur la défense des acquis sociaux – qui ont comme référent la nation, face à ce qui viendrait la/les menacer : immigrés, musulmans, Europe, mondialisation. La nation devient enjeu électoral.

Lors de la campagne présidentielle de 2007, la défense de l’identité nationale structure de façon très efficace le discours du candidat Sarkozy autour de la fierté de l’histoire nationale et de la condamnation de la « repentance » (nom péjoratif donné aux politiques de reconnaissance de crimes français menées en particulier par Jacques Chirac depuis 1995 avec le discours du Vel’ d’Hiv’) présentée comme une haine de la France. Elle est reprise par François Fillon dans son projet de « redressement national » pour la campagne des élections présidentielles de 2017, ou très récemment par le candidat Xavier Bertrand pour celle de 2022 qui dénonce la « déconstruction » de l’histoire opérée par le président de la République Emmanuel Macron. La mise en récit du passé national sous une forme binaire simpliste (glorification versus repentance) est devenue l’une des formes incontournables du discours politique à visée électorale. Dans la même acception culturelle, la nation est définie par l’éditorialiste Éric Zemmour comme une civilisation aux racines chrétiennes que la présence de musulmans sur le sol français viendrait aujourd’hui menacer. Cette interprétation de la nation constitue l’une des bases de son engagement, pour l’instant non déclaré, dans la campagne présidentielle de 2022.

Dépasser le seul cadre de la droite ?

La nation ne serait-elle que de droite ? Rien de plus faux historiquement qui a vu la gauche élaborer une pensée sur la nation depuis la Révolution française, puis avec notamment Jean Jaurès qui s’est efforcé d’articuler nation et internationalisme. Il y a bien aujourd’hui un travail de réflexion sur la participation citoyenne par le mouvement écologiste ou à travers les propositions d’une VIe République, mais la nation n’est que très rarement avancée dans ces propositions issues de la gauche.

Ce qui prime reste le plus souvent le dépassement de la nation, soit dans le projet européen chez les socialistes, soit plus à gauche dans une internationale des solidarités ou dans le souci environnemental des résistances locales. La gauche a peine à répondre aux défis du monde contemporain des sociétés plurielles qui revendiquent des identités et des passés différenciés. Comme si la droite avait préempté la nation pensée exclusivement vers la défense des frontières culturelles d’un « nous-national » menacé et à laquelle des opinions attachées à un patrimoine culturel et à la peur du déclassement sont sensibles. La campagne présidentielle de 2022 prolongera-t-elle cette tendance lourde depuis 40 ans d’une droitisation du fait national, ou verra-t-elle le retour d’une pensée de gauche sur la nation dans une acception démocratique renouvelée par une attention sociale et écologique ?

Paru dans https://theconversation.com


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