Monsieur et Madame Bobo chez les ploucs
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Souvenez-vous de l’intervention télévisée de l’ex-premier ministre Édouard Philippe, annonçant le premier confinement en mars 2020. C’était, comme par hasard, un vendredi soir : ce confinement prendrait effet le lundi soir suivant. Le message subliminal a aussitôt été parfaitement capté par les parisiens et autres urbains en déroute : vous disposez de trois jours pour vous casser à la campagne ou à la mer, dans vos résidences secondaires, vos maisons de famille ou de location, ou chez vos parents. Allez, vite ! En route !
Souvenez-vous encore de l’envahissement de certaines îles, notamment chez nous en Bretagne, à Groix et Belle-Île, par exemple puisqu’elles sont dans le Morbihan où j’habite. Les migrants urbains se sont rués dans les supérettes dès leur arrivée le samedi, en fin d’après-midi. Et le lendemain, les autochtones, les belous et autres indigènes du coin, ont trouvé place nette dans les rayons. Même plus de baguettes pour le p’tit-dèj. Ah ! L’agacement a fait rougir les joues et le bout des oreilles des habitants. Il y a eu quelques explications de textes.
Nous, avant, dans nos campagnes et sur nos plages, nous ne connaissions pas le Corona Virus. La bière Corona, oui, mais le virus, non. Et les fuyards urbains nous l’ont fait découvrir, avec ses petites antennes multicolores faisant des trous dans les poumons. Le pire, c’est qu’ils se sentaient bien chez nous, les touristes. Normal, il a fait beau pendant ce premier confinement, et en plus, ils ont redécouvert le télétravail ou travail en distanciel, comme disent les spécialistes du langage connecté. Un super argument pour ne pas rentrer s’entasser dans le métro, le train et le RER. On peut comprendre.
La surprise a été de constater qu’au deuxième confinement, ceux qui étaient rentrés, sont revenus. Mais, cette fois-ci, avec armes, bagages et … liasses de billets de banques. Ils ont vendu appartements et trop petites maisons à Paris ou ailleurs, pour s’acheter la grande maison dans la prairie pour le même prix. Le super bon plan !
C’était sans compter sur les effets pervers, et pourris, immédiats pour les autochtones et les surprises pour ne pas dire déceptions pour les urbains soudain convertis à la vie soi-disant rurale. Je dis délibérément soi-disant rurale, car ils ne se sont pas implantés en rase campagne. Ils ont plutôt ciblé la côte pour la plage, la proximité d’une ville, d’une gare et de la voie express.
Ils ont ainsi pu acquérir de bien plus belles et grandes bâtisses que leurs biens antérieurs, et fait flamber les prix dans ces secteurs au point que les jeunes du coin souhaitant construire là où ils ont grandi comme l’on dit, ne le peuvent encore moins qu’avant la pandémie. Ce phénomène existait déjà avant, bien sûr, mais pas dans cette proportion. Ce phénomène touchait d’autres régions plus au sud et certains secteurs de Bretagne, mais pas de façon généralisée, ni à ces niveaux de prix.
Mais il y a aussi quelques déceptions déjà perceptibles : il a fait moins beau lors du deuxième confinement et le temps semble avoir paru un peu long à certains qui y ont été confrontés et qui ont expérimenté une certaine forme d’isolement dans la lointaine province. En plus de l’enfermement physique, même si c’était dans le jardin, ils se sont pris en pleine figure la découverte de la distance avec les amis, et peut-être la famille, restés là-bas, dans la grande ville.
Après la liberté retrouvée, il a fallu penser à l’école, au collège et au lycée, pour ceux qui ont des enfants. Ils ont découvert l’éloignement, même si les villes n’étaient pas trop loin. Mais la fac, hein, la fac, elle est où ? A deux heures de voiture, le train, à cause des correspondances, des pannes, des grèves, on n’en parle pas. Ah ! Il va falloir louer un studio par enfant ? Plus la carte de train ? Et les petits frais aussi ? Ben oui, chez nous, la fac, habituellement, c’est en présentiel … Vous voyez, nous les ploucs, nous connaissons même ce nouveau langage. Et nos enfants étudiants pratiquent le covoiturage depuis des lustres. Avant même qu’ils y aient des parkings dédiés, installés et balisés, en des lieux stratégiques, près des accès à la quatre voies.
Déjà, à ce stade, il y en a, parmi les transfuges, qui se sont assis et qui ont perdu le sourire. On ne savait pas, nous, que c’était comme çà, ici, chez vous, les provinciaux ! Hé oui, chez nous, la voiture est indispensable, n’en déplaise aux bobos parisiens, donneurs de leçons. La taxe sur les carburants est un impôt injuste qui nous frappe durement en région, dans toutes les zones rurales. Et la TVA sur les taxes relève de l’escroquerie d’état. J’ai bien compris que je devais faire œuvre de pédagogie, et d’empathie, à l’égard de ces pauvres bobos, aujourd’hui décontenancés par la vie un peu idéalisée à la campagne. Pour les rassurer sur la vie quotidienne, il m’est arrivé de leur dire : il ne pleut pas tous les jours, vous savez. Et si vous êtes victimes d’un gros problème de santé, il y a trois CHU-CHR, à Brest, Nantes et Rennes. Au maximum 2 heures de route. Oh là là ! Chez nous, c’est à 10 minutes. Hé bien voilà, vous touchez du doigt, le problème de l’impôt, heu pardon, de la taxe sur les carburants fossiles : c’est nous ici, en région, qui payons le plus, pour tout faire : pas de toubib, pas de banques ni de DAB, pas d’école, pas de poste pour le courrier ou retirer une lettre recommandée, peu de commerces. Il faut prendre sa voiture pour tout faire. Nous, les ploucs, nous sommes confrontés à cela depuis un moment. Monsieur Bobo, saisi d’effroi, m’a répondu : je crois que nous ne tiendrons pas.
Par ailleurs, la flambée des prix des carburants fossiles ne fait qu’empirer les inquiétudes de Mr et Mme Bobo. Déjà qu’acheter une voiture et les frais inhérents à celle-ci coûtent chers, mais en plus, et de surcroît, voir augmenter à ce rythme, les injustes frais dus à la ruralité agite sérieusement le bocal de nos transfuges. Bientôt, le litre de gros rouge qui tache coûtera moins cher que le gasoil ! Et le jour tant redouté où chaque famille sera passée à la voiture électrique, il est clair que l’état ne voudra pas perdre le fric qu’il encaisse sur le pétrole. Donc le prix du carburant électrique va largement augmenter du poids des taxes et de la TVA sur ces mêmes taxes. Et comme en plus, l’électricité, qui vient d’augmenter seulement de 4% au premier février pour raison électorale, va ensuite exploser d’au moins 35 % après les élections, il est évident que pour Mr et Mme Bobo le compte n’y est plus. D’ailleurs, Maman Bobo interpelle son fils aîné : - Jonathan, ne déballe pas toutes tes affaires. – Pourquoi Maman ? - Ecoute-moi fiston, je vais craquer, je n’en peux plus, nous allons repartir. C’est trop dur ici. Personne ne nous a prévenu de la dureté de la vie à la campagne. – Maman, je suis bien moi, ici. J’ai des vrais copains. – Fiston, on plie les gaules, je n’en peux plus, je veux retrouver le métro et ses odeurs, le RER, ses pannes et ses retards, je n’en peux plus d’être ici. On se casse. On rentre à la maison. - Mais, Maman, on n’a plus de maison !
D’ici quelques années, il n’est pas impossible que nous soyons amenés à constater un phénomène de reflux des bobos, de chez nous, vers leurs terres urbaines d’origine. Mais, ici, les séquelles seront durables, car, s’il n’y a plus de demandes d’achats de maisons, le prix de l’immobilier va baisser. Et dans ce cas, les bobos propriétaires ne voudront pas revendre à perte. Il y aura donc un paquet de maisons fermées en dehors des vacances, en plus de celles qui le sont déjà aujourd’hui et depuis des années et des années. Ou alors, et simultanément, ces maisons deviendront des locations saisonnières, génératrices de troubles dans les villages : bruit, fêtes clandestines, dégradations diverses. Ce que nous avons connu pendant les confinements.
Et les jeunes du pays, des communes concernées, ne pourront pas davantage qu’aujourd’hui, vivre chez eux, en raison du prix resté élevé des terrains ou des maisons des bobos, ayant finalement fui la difficile vie rurale. Ne nous faisons pas d’illusions : les prix ne rebaisseront pas. Eux, les jeunes d’ici, devront partir en périphérie des villes, ou carrément vraiment construire à la vraie campagne, de l’autre côté de la quatre voies, pour échapper aux terribles lotissements constitués de terrains de 300 mètres carrés, au nom de l’imbécile politique de densification, comme disent les technocrates. Et ils paieront plein pot (c’est le cas de le dire !) les taxes sur les carburants, pendant toute leur vie, même si ce carburant devient électrique. Puis le prix de l’eau va fortement augmenter, puisqu’il faut des volumes astronomiques d’eau pour extraire le lithium et les autres métaux permettant la fabrication de ces foutues batteries destinées à la pseudo écologique voiture électrique …. Tout va bien dans le meilleur des mondes verts. Mais avec le rire jaune …
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