Découverte et Innovation : peut-on ne pas échouer dans le domaine de la valorisation ?
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Etat des lieux
Le chercheur lorsqu’il lui reste du temps libre en dehors de ses multiples obligations administratives et de la rédaction de ses innombrables demandes de crédits, peut quelquefois, rarement mais quelquefois cependant, faire une découverte plus ou moins importante. L’essentiel n’est d’ailleurs pas l’importance intrinsèque de la découverte mais l’importance que ses collègues veulent bien lui donner. On nomme ceci : utiliser une caisse de résonance. Le chercheur est alors tenu de déterminer sur le champ toutes les avancées industrielles futures de sa découverte.
Se souvient-on que les cristaux liquides furent découverts, par hasard, en 1880, que l’explication des observations microscopiques datent de 1920, que les premiers dispositifs les utilisant pour faire des écrans datent de 1970, et que le « marché » devint important au début des années 1990 ? Mais l’important ce n’est pas d’y croire soit même, c’est de convaincre d’autres d’y consacrer un budget.
Les organismes en charge de la valorisation sont légions : ANVAR, FIST, DRIRE, CRITT...De plus chaque Université, chaque Grande Ecole, chaque Industriel, chaque groupuscule, possède en propre « sa » cellule de valorisation. Si la découverte a fait l’objet d’une collaboration entre divers organismes aux appartenances variées (CNRS, CEA, Institut Pasteur, Institut Curie, INSERM, Fondations, Industriels...), on s’imagine facilement que seuls des professionnels des tractations contractuelles peuvent établir un organigramme structuré et hiérarchisé respectant les intérêts de tous et de chacun !
Il est également possible de créer une PME et d’autres programmes pourront alors vous épauler : JESSICA, ATOUT, investisseurs divers...Cette approche est nouvelle en France et elle a le mérite de proposer des alternatives réellement originales.
A titre d’exemple, en septembre 2005, un courrier a été envoyé pour annoncer un séminaire destiné aux « créateurs d’entreprises innovantes ». Celui-ci était organisé par une technopôle et pas moins de dix sept logos différents ornaient la lettre de présentation : celui de la région, du conseil général, de la DRIRE, d’OSEO-ANVAR, d’EDF, de la banque SNVB, de l’APCE, d’ I-Source, du Salon des entrepreneurs, du réseau des professionnels de la création d’entreprise, de France Angels, de France Telecom, de France technopoles Entreprises Innovations, de Coach Invest , du groupe ESC, d’une Université de technologie, d’un Institut de Technologie...pour l’essentiel ! Se représente-t-on le temps et l’énergie nécessaires pour réaliser les logos et faire en sorte qu’ils puissent apparaître tous ensemble sur un même courrier ? Vous auriez, avec ce seul budget, assez de crédits pour créer une PME puis fabriquer un démonstrateur voire un prototype. Il est maintenant aisé de se rendre compte que le « faire-savoir » l’emporte sur le « savoir-faire » et que le monde des découvreurs n’échappe pas à la « société du spectacle ». Lorsqu’on juge que les dispositifs de valorisation sont inefficaces, ce qui est une constatation récurrente de tous les gouvernements depuis plusieurs dizaines d’années, on créé des structures municipales, cantonales, régionales, nationales voire européennes qui ne se substituent pas aux précédentes mais qui s’y ajoutent.
Il est de bon ton également de juger sévèrement le « chercheur fonctionnaire » qui passe le plus clair de son temps à essayer de débrouiller des problèmes ardus mais qui n’ont pas d’incidence sur la « création de richesses ». On se réfère évidemment aux richesses financières, les plus visibles donc les plus dignes de soins. Bien entendu, on s’accorde à penser qu’il est compétent, car la passion conduit toujours plus loin que l’intérêt, mais l’intérêt ne comprend jamais la passion.
Un problème essentiel : les relations R&D publiques et R&D d’entreprises multinationales
Les relations se nouant entre multinationales privées et laboratoires publics sont nécessairement difficiles puisque leurs essences, leurs éthiques, leurs façons de faire sont incompatibles. Les unes veulent le plus vite et le plus efficacement possible être les « meilleurs » ce qui signifie qu’ ils veulent éliminer les « autres », considérés au mieux comme des concurrents au pire comme des ennemis à abattre. Les laboratoires publics ont pour premier devoir d’être à la disposition de tous dans le cadre strict et sévèrement réglementé d’un esprit républicain. Les premiers communiquent, les seconds doivent informer, ce qui est beaucoup plus qu’une différence de terminologie. Bien entendu, on peut mettre en avant que les personnes en charge de la R&D sont bien différentes de leurs collègues industrieux plus carnassiers et que la Fraternité universitaire cache souvent des appétits féroces. Cependant, structurellement, les idéaux sont différents !
Il faut lever cette impossibilité de contact en laissant aux chercheurs l’initiative de leurs activités. L’évaluation a posteriori par les pairs a démontré son efficacité. Le devoir leur impose cependant de s’informer des problèmes technologiques et industriels qui se posent mais leur rôle premier est dans l’éducation voire l’éducation populaire. Je ne vois pas pourquoi on devrait leur fournir une rémunération pour ce travail, il serait plus judicieux de comptabiliser ce labeur dans la quantité minimale de travail qu’ils doivent à l’Etat. Mais un problème succède à un autre problème. Un chercheur fonctionnaire peut-il être un chercheur à vie ? Certains, les plus passionnés qui sont d’ailleurs souvent les plus talentueux, y arrivent. Il faut cependant admettre qu’une proportion non négligeable voit leur passion s’émousser, s’éteindre et leur aptitude pour la recherche disparaît dans le même temps. Ainsi, l’acceptation du statut de fonctionnaire pour un chercheur implique qu’il soit prêt à changer la nature même de son travail si des instances d’évaluation crédibles sont en place. Pour le moment ce « recyclage » se fait par l’envoi de l’agent dans un cadre administratif, et même quelquefois, dans des instances de valorisation de la recherche . Temps perdu, savoir gâché, immense pouvoir de nuisance...le monstre de l’administration se dote de responsables qui ne sont capables que de faire croître cette administration, selon des rites immuables et incontournables.
Il serait plus efficace de créer des centres de valorisation organisés hiérarchiquement et ayant des objectifs finalisés, précis et évaluables grâce à un cahier des charges. L’aspect « managerial » devenant important, des responsables pourraient être issus de l’industrie. Ces « centres techniques de valorisation » seraient à même de satisfaire les énormes besoins en savoir technologique indispensables pour transférer une innovation d’un laboratoire à une industrie. L’enracinement National, de par la structure, irait de soi ! Les premiers bénéficiaires seraient des PME qui possèdent les innovations mais qui n’ont pas les moyens de les mettre en œuvre. Ces centres devraient évidemment être à leur écoute. La mise en œuvre d’une activité commune de développement serait entreprise après un examen méthodique de l’innovation, des brevets pris, des compétences pouvant être réunies, d’une étude significative de marché. Le dossier serait constitué au cours d’un dialogue constant entre les divers acteurs. Les modalités d’intéressement du centre de valorisation seraient associées au chiffre d’affaire engendré par l’innovation par la PME. Ce processus permet à la PME de bénéficier de fonds qu’elle ne possède pas encore. L’évaluation du succès du partenariat se mesure par les apports engendrés par le chiffre d’affaire qui se dégage de l’innovation. Cette façon de faire remplacerait avantageusement les multiples mécanismes de subvention qui se sont révélés pour le moins peu efficaces. Les partenaires échangent des savoirs et des savoirs faire avant que de se focaliser sur les aspects financiers.
Le « savoir accumulé » du chercheur introduit dans le centre de valorisation serait utilisé à plein mais il perdrait, transitoirement, la liberté du choix de ses activités . Ces centres seraient également à même de donner un avis sur des problèmes sociétaux mais selon l’esprit d’impartialité républicaine inhérente à la fonction publique. Ceci exclut un financement direct et ciblé par des intérêts privés : tout particulier ou entreprise qui souhaite soutenir un effort de valorisation pourra le faire dans le cadre d’une donation à une « Agence Européenne pour l’Innovation » qui assurerait sa gestion. Si les multinationales ne se montraient pas assez généreuses, on pourrait les aider à prendre conscience de l’importance de l’innovation par un impôt basé sur le chiffre d’affaire réalisé par l’ensemble du groupe en Europe (puisqu’il faut bien commencer par là).
Il ne me semble pas raisonnable de maintenir le statut de « chercheur-fonctionnaire » sans envisager très sérieusement une gestion intelligente des agents et des carrières. La destinée normale d’un chercheur n’est pas de devenir un gestionnaire sans moyens à gérer et sans aptitudes a priori pour ce faire.
Relations Universités/Organismes publics (CNRS,INRA...)
Chaque année une « cohorte » de 146 000 étudiants obtient le baccalauréat et entre dans l’enseignement supérieur. A l’Université 25 000 arrêtent leur scolarité après un an. Dans le même temps des enseignants chercheurs « doivent » comme service normal 192 heures d’équivalent TD. Pour mémoire, TD signifie « Travaux Dirigés » (avec des groupes restreints d’étudiants). Si l’on donne une heure de cours ceci équivaut à 3/2h de TD ; si au contraire vous encadrez des travaux pratiques, vous obtiendrez l’équation 1h TP= 2/3 TD. Ce principe, profondément absurde, est tellement ancré dans les mœurs que personne n’en discute même les fondements. Il va de soi que l’apprentissage pratique est un sous produit des cours théoriques et magistraux. Les enseignants chercheurs consacrent ainsi, surtout les plus jeunes auxquels on « confie » volontiers les premiers cycles de l’enseignement supérieur, un temps considérable à tenter d’instruire des personnes qui ne sont là, lorsqu’ils sont présents, que parce qu’ils ont obtenu un diplôme (le « bac ») qui n’est plus vraiment un contrôle de niveau puisqu’on ajuste les notes aux résultats des élèves afin d’obtenir 75 voire 80% de réussite.
Les années bac +1, bac+2 devraient être sur le modèle des classes dites préparatoires et servir à l’orientation des étudiants. Non pas par fournées de 200 ou 300 étudiants mais par groupe de 25 adolescents au maximum. Il serait aussi nécessaire que les meilleurs professeurs ( les plus chevronnés ou les mieux classés) n’enseignent pas systématiquement aux élèves qui bénéficient déjà de toutes les conditions sociales pour réussir. Durant ces deux années, une pratique de la recherche ne paraît pas appropriée ni pour le chercheur, ni pour l’enseigné. Cette réforme nécessiterait, pourrait-on dire, une embauche massive de professeurs pour ces classes dites d’orientation. Si on supposait une réunification d’organismes comme le CNRS avec l’enseignement supérieur, ceci ne serait pas si dispendieux. Il faut noter que, d’ores et déjà, 80% des laboratoires CNRS/INSERM se trouvent au sein de campus universitaires et que l’imbrication est dès maintenant très avancée. Il n’y aurait alors plus vraiment de problèmes à allier recherche et enseignement au niveau bac+ 3, bac+4 et au delà. La réforme dite L/M/D veut harmoniser les diplômes pour augmenter la lisibilité de ceux-ci à l’étranger. Je crains que les « crédits d’enseignement » (plus correctement appelés crédits ECTS, European Credit Transfer System) institués favorisent davantage le tourisme estudiantin que l’acquisition de savoirs ou de savoir-faire et ne conduisent qu’à une vision ludique voire lubrique de l’esprit européen. Vont-ils apprendre par ce biais le sens des efforts, l’esprit d’entreprise, le désir de bien faire. Nos chers enfants reviendront de leur séjour de quelques mois en connaissant quelques mots d’ « étranger » : Coca Cola, Night Club, Feria, shisha...c’est peut être un début de culture européenne.
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