Le Meilleur des iMondes 9

lundi 9 mai 2022
par  Jacques-Robert Simon
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9. Donald Bokanovsky au Hot Pussy

Donald Bokanovsky fut dépité de sa visite au père de Dick Pompeo. Pourtant il n’avait rien contre la psychanalyse, il faut bien que les gens qui n’ont pas vraiment de problèmes s’en créent pour pouvoir les résoudre. Personne ne peut endurer la platitude d’une vie cossue et sans risques. La psychanalyse permet de parler de choses intimes à quelqu’un supposément censé vous comprendre, c’est la même chose qu’au café du coin, avec le barman, mais avec quelques wagonnets de concepts branlants en plus. C’est vrai, quelquefois, le psychanalyste sommeille et s’assoupit, mais l’analyse continue cependant : « Interrogez-vous, n’engendrez-vous pas l’ennui ? » L’analyse sert de confession, qui garde son charme, mais elle est nettement plus coûteuse. « Et la mère de Dick ? Tenancière de maisons closes ! On peut peut-être essayer… » se dit Donald.

Il prit le 158 au Pont de Neuilly. Il aimait de temps en temps se mêler au peuple. Pas vraiment pour le connaître, mais surtout pour être fier de ne pas en être. Il n’aimait pas ses pulsions mal maîtrisées, cette façon de dire crûment la vérité comme si c’était comme ça que l’on dirigeait. Et la justice, la justice, ils réclament la justice ! Le faucon fait-il preuve de justice quand il fond sur sa proie ? Et Donald se sentait faucon, plus vrai que nature, non seulement il pouvait voler mais il le faisait tous les jours. Neuilly n’est pas une ville désagréable, blottie à la lisière du bois de Boulogne, le bois de tous les interdits. C’est là que travaillaient belles-de-jour et belles-de-nuit. La plupart officiaient maintenant en maison, elles bénéficiaient à ce titre d’une niche fiscale « personne en charge des besoins de première nécessité » comme les pompiers, les militaires, les sous-officiers de la marine et les pèlerins pour Lourdes. Leur statut était rattaché à la fonction publique territoriale. Il ne distinguait déjà plus le Parc de Bagatelle. Le bus cahotait en traversant le Pont de Neuilly, en face de lui une myriade de tours bordant de chaque côté une esplanade égratignait le ciel. Elles abritaient d’anciens sièges sociaux, du temps où le continent européen produisait d’autres choses que des rapports, des normes ou des conseils au tiers monde. Tout avait été végétalisé sous l’impulsion d’ONG préoccupées d’environnement. On y cultivait maintenant des artichauts, des bananes, un peu de maïs, du colza, de la rhubarbe sur pied, des myrtilles, des fraises des bois et des plantes fourragères diverses. Le tout étant bio ! L’arche, qui s’imposait comme le maître des lieux, avait été transformée en site érotique solidaire. Un hypercube en 4 dimensions projeté sur un monde stupidement tridimensionnel. 3,5 hectares (35 000 m2) de marbre de Carrare, celui de Michel Ange, 112 m de long, 106,9 m de large,110,9 m de haut, 35 étages, dans le prolongement de l’Arc de Triomphe où se trouvait le soldat devenu inconnu.

On venait des quatre coins du monde pour rencontrer les prestataires de l’Arche où le « Hot Pussy » s’était installé. Au milieu de l’arche, un hologramme de 30 mètres de haut montre Rachida-la-Lionne qui se dévêt lentement jusqu’à apparaître très fugitivement complètement nue. Deux petites étoiles rouges cachent les aréoles de ses seins. L’hologramme avait été réalisé dans le nord de l’Amérique. Il distingua l’entrée sur le pilier gauche. Donald poussa la porte après avoir prévenu de sa présence grâce à un bouton pression qui ne fit étrangement aucun bruit lorsqu’il appuya dessus. Mme Pompeo-Ciotti était en face de lui derrière une sorte de petit comptoir devant un mur empli de clés. Elle portait une robe de soie gris clair, d’une circonférence prodigieuse, à volants, crinoline et traîne. Basse de taille, elle avait un embonpoint exceptionnel et un menton affreusement gras et pendant ; on ne lui voyait pas le cou. Son visage était pourpre. Ses yeux étaient petits, méchants et pleins de morgue.* Dans sa langueur morbide, elle réussit à dire :« Vous désirez ? » Donald décontenancé par l’apparence presque obscène de la matrone ne sut pas quoi répondre. Ne vous en faites pas, reprit-elle, on sait traiter les timides, ceux qui n’osent pas, ceux qui ont une femme castratrice. Au ‘Hot Pussy’, il n’y a même pas besoin de demander quoi que ce soit pour l’obtenir. Pour vous je vois bien de la jeune, ne vous en faites pas elles ont l’âge légal, on n’est pas à Hollywood, douce, patiente, car vous n’êtes pas de la dernière fournée Monsieur, sans vouloir vous offenser. Question ethnie, vous faites bien de venir un jour de semaine, j’ai un large choix. Le vendredi les berbères manquent un peu, ce sont des types qui disent à leur femme qu’ils vont à la mosquée, derrière l’Arche, à côté du cimetière, et qui en fait viennent ici. Le samedi, on est un peu juste en ashkénazes et les sépharades restent en plan. Pourtant question métier, il n’y a pas photo, les ibériques sont nettement au dessus. Enfin, chacun a ses marottes. Le dimanche c’est le jour du blanc. Ils ont tellement de chagrin d’être noyés dans la masse que les chrétiens ne veulent pas voir le septième ciel en couleur. Je vous arrête, c’est peut-être vrai que le Vatican leur promettait déjà le ciel, mais je ne veux pas polémiquer. Mon paradis à moi, c’est du solide, du concret, il n’y a pas besoin de rêvasser, c’est l’extase en moins d’un quart d’heure, le seul risque à prendre, à part le défaut financier, c’est l’apoplexie, mais on a un défibrillateur, que les gamines utilisent d’ailleurs avec certains de leurs clients… Non ! Pas pour les réanimer, je vous montrerai si vous voulez. Je facture un petit supplément pour les kilowatt-heure consommés, c’est tout. On n’est pas des gagne-petit, on a des manières, le tout-venant c’est pas au ‘Hot Pussy’ que vous le trouverez. Bon ! Je ne veux pas prendre trop de votre temps. Vous voulez que je vous montre mes gamines. Si, je vous le répète, elles sont toutes majeures et consentantes. Elles sont déclarées aux impôts comme auto-entrepreneuses, elles cotisent pour leur retraite, il y en a même deux qui sont syndiquées. Oui, à la CFDT ! Faut pas exagérer non plus, on peut pas embaucher des bolcheviques, on reçoit du beau monde. La lutte des classes, c’est certainement attractif, mais ce n’est pas bon pour le commerce. Vous imaginez une coquine qui dirait : « Je vous ferais bien une gâterie mais je dois aller à la fête anniversaire de Martinez. » C’est pas possible, Monsieur, on ne peut pas se permettre. On a des charges. Vous savez combien je loue l’Arche ?... Si ! Et encore je ne compte pas les salaires des vigiles, le prix du gaz, de l’eau, de l’électricité et la commission au maire de Puteaux qui n’a jamais cessé de venir au ‘Hot Pussy’ malgré son déambulateur. Car il a de la sève, il me bloque un demi-étage à lui tout seul et il brame : « C’est moi le propriétaire, je fais ce que je veux. » On a dû prévenir le Préfet, c’est une femme. Vous n’imaginez pas les pertes de revenus que j’ai eues à cause de la parité. La haute fonction publique masculine constituait une bonne partie de ma clientèle. La parité ! Un drame ! Je me demande ce qu’ils font dans leur bureau toute la sainte journée. J’ai failli fermer boutique. Et puis ça s’est amélioré, petit à petit j’ai élargi ma clientèle. Avant je me concentrais sur les fonctionnaires. On est plus sûr des revenus, vous comprenez. On proposait des prélèvements mensuels à des tarifs avantageux et on avait droit à une carte de fidélité, 10% off ! Et on pouvait venir quand on le souhaitait… Non, il n’y a pas de réduction pour les Seniors, on met même une légère pondération tarifaire en leur défaveur pour tenir compte des difficultés fréquentes de cette population à arriver au terme de ses désirs. Nous ne sommes pas la Croix-Rouge Monsieur, on a des charges, comme je vous l’ai déjà indiqué. Alors vous voulez rencontrer Goldorak, Michou, Emmanuelle 2, Poupinette, Andrée, Ermengarde de Bade… Apolline, je ne la conseille pas pour les plus de 50 ans. C’est une antillaise de tempérament et si on s’acharne à la suivre on frôle la catastrophe. Il y a déjà eu, c’est vrai, Félix Faure qui se prenait pour César et qui est mort Pompée, mais quand même, ça fait désordre dans un établissement respectable. Vous voulez réfléchir ? Comme vous voulez !... Pour sortir introduisez 20 euros dans l’urne. * Fiodor Dostoïevski, ‘’Le Joueur’’ (A suivre)


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