Les dessous de la loi des 64 ans : appauvrir les retraités et doper la capitalisation

Illustration glanée sur le net par Idalio Bruno
dimanche 12 mars 2023
par  Patrick Le Hyaric
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On ne peut comprendre l’acharnement du pouvoir macroniste et de la droite à faire passer en force leur contre-réforme des retraites, sans l’inscrire dans le projet global du capitalisme français qui cherche à dépasser ses contradictions en poussant la financiarisation du pays. Ainsi les ordonnances défaisant une partie du Code du travail, la réduction des droits des privés d’emploi avec la contre-réforme de l’assurance chômage, la baisse régulière de la fiscalité du capital, l’injonction faite à la recherche fondamentale de se mettre au service des entreprises privées, et maintenant la contre-réforme des retraites participe du même projet d’élargir encore et toujours la sphère marchande et les sources de profit.

Un projet dont on trouve l’expression nette dans la loi de 2019 dite « plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises » (loi PACTE). L’un des principaux chapitres de cette loi porte sur le développement de « l’épargne retraite ». On se souvient qu’en juin 2019 le grand fonds financier nord-américain BlackRock, par ailleurs actionnaire de plusieurs des entreprises françaises cotées en bourse, formulait au gouvernement un reproche en forme de conseil : le niveau de l’épargne retraite en France est beaucoup trop faible, constatait-il, et il faut radicalement l’augmenter. Il ne représentait en effet “que” 130 milliards d’euros d’encours, s’offusquait BlackRock. Grâce à la loi Pacte, le montant s’est élevé à 220 milliards. Mais ces vautours le jugent encore dramatiquement bas comparé à nos voisins européens. La loi PACTE visait donc à ouvrir la porte aux grandes sociétés de fonds financiers et de gestion pour qu’ils puissent prendre pied sur « le marché français de la retraite » comme l’appellent banquiers et assureurs. Bref, pour nos fondés de pouvoir du capital, le financement des retraites doit devenir un nouveau « marché ». Dans celui-ci, chaque travailleur épargne s’il le peut pour constituer sa propre retraite en brisant le projet d’Ambroise Croizat ; celui d’une retraite conçue comme un salaire continué plaçant chacune et chacun en « sécurité sociale » au-delà de la période du travail.

La loi Pacte ouvrait donc les vannes de la retraite par capitalisation. Un système où n’accèdent à une retraite digne de ce nom que celles et ceux qui peuvent se la payer. C’est ce qui sous-tendait la précédente contre-réforme macroniste des retraites, pourtant adoptée à l’Assemblée nationale par le système antidémocratique du 49-3 le 4 mars 2020, mais mise à bas par le mouvement social et la survenue de la pandémie de Covid. À l’époque, les applaudissements trop bruyants des mandataires de BlackRock, alléchés par les gains à venir, avaient contribué à éclairer nos concitoyens et à faire rejeter ce projet. Cette fois, le syndicat des rapaces de la finance constitués des fonds privés, des grandes banques et des compagnies d’assurances, a donné l’ordre de rester plus discret afin de ne pas éveiller les soupçons sur la nature de classe de la présente contre-réforme. Tout juste trouve-t-on quelques saillies de leur porte-voix dans les pages « tribunes » du Figaro ou dans celles des Échos, ou du journal "pro-business" revendiqué l’Opinion. Pourtant, tel est le projet.

Plus le pouvoir répète qu’il fait cette contre-réforme pour défendre le système par répartition, plus il faut entendre qu’il a entrepris d’en sortir pour offrir la manne des retraites et de la Sécurité sociale sur un plateau d’argent aux fonds financiers. Les ronds-de-cuir des cabinets de conseils formés aux États-Unis, et quelques hauts fonctionnaires de l’État profond s’appuient sur l’analyse du conseil d’orientation des retraites selon lequel "le taux de remplacement", c’est-à-dire la part de son ancien revenu que l’on perçoit en retraite, continuera de diminuer. Le nouveau système de calcul de l’assurance-chômage, le développement de l’emploi précaire, le refus d’améliorer substantiellement l’emploi « des séniors » accélérera encore le phénomène. Et la dureté des conditions de travail dans une multitude de professions obligera des millions de salariés épuisés, à sortir du travail pour demander leur retraite avant 64 ans, sans avoir acquis la totalité de leurs annuités. Ils subiront donc une importante décote, c’est-à-dire un “taux de remplacement” diminué, avec pour résultat une faible retraite qui leur fera beaucoup perdre en niveau de vie. C’est pour cela qu’est valorisée l’idée de retraite « supplémentaire », autre nom pour parler de la retraite par capitalisation.

M. Le Maire est sommé de ne pas répéter pour l’instant ce qu’il avait dit le 1 octobre 2019 : « L’épargne retraite doit devenir un produit phare de l’épargne des Français ». Ce signal d’encouragement envoyé aux “bancassurances” et aux marchés financiers les avait rendus si bruyamment euphoriques que des millions de nos concitoyens avaient saisi la manipulation, et découvert le pot aux roses. Les ministres sont donc sommés de faire attention, d’être plus lisses et de répéter la même fable à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes comme en témoignent les charretées de contre-vérités et d’approximations qu’ils servent chaque matin. Pourtant tous les documents de travail cachés du pouvoir et des fonds financiers sont parsemés de la nécessité « d’accroitre les encours de l’épargne retraite » par « la baisse du taux de remplacement et l’attractivité fiscale ». La loi Pacte prévoit plusieurs dispositifs pour y parvenir : les abondements comme les primes, la diminution de la cotisation employeur, et les faux-nez agités ces jours-ci de « la participation » ou de « partage de la valeur » pourront servir à l’épargne retraite obligatoire tout en permettant une baisse d’impôts, au détriment des salaires et de la retraite par répartition. Il s’agit aussi d’intégrer les salariés en défiscalisant une partie de leur épargne retraite. Défiscalisations qu’ils paieront cher en diminution de services publics de la santé ou de l’école, en réduction de moyens pour une transition écologique garantissant la souveraineté industrielle et agricole. Enfin, les institutions européennes exigent que l’épargne retraite devienne un élément clé de « l’unification du marché des capitaux ». Elles semblent pressées à cause de la guerre intra-capitaliste que se livrent les capitalismes nationaux sur fond de guerre en Ukraine et de soumission encore plus grande aux États-Unis qui multiplient les dispositifs protectionnistes alors qu’ils exportent en Europe leurs armes, leurs médicaments, leur pétrole et leur gaz de schiste tout en accentuant la domination du dollar sur la monnaie européenne.

Et, voici qu’en route vers le sénat le projet de contre-réformes s’enrichit d’ajouts visant à revenir à la précédente loi pour passer à la retraite par points. Ce que nos bons apôtres de la finance appellent « un régime universel ».

Les enjeux sont donc énormes pour le capitalisme financiarisé. Énormes aussi pour les travailleuses et les travailleurs et pour les générations futures. Voilà pourquoi le président de la République veut passer en force dans le cadre d’une alliance avec la droite. Nous aurions tort de suivre leur petit doigt pointant les chahuts à l’Assemblée nationale. Cela ne sert qu’à masquer le grave méfait de classe qu’ils veulent commettre. Un seul article de la loi les préoccupe vraiment : l’article 7, celui qui acte le recul de l’âge de départ en retraite et l’augmentation de la durée de cotisation. Celui donc qui permet de porter un coup au système de retraite par répartition au profit de la capitalisation et son corollaire : la multiplication du nombre de retraités pauvres. Le fait que cet article n’ait pas été voté le rend illégitime juridiquement et laisse la place à la force de la légitimité populaire qui refuse à la quasi-unanimité la loi des 64 ans. Les sénateurs de gauche et écologiste, dans un rapport de force défavorable, auront à cœur de se faire les relais du mouvement populaire en cours et de révéler les véritables raisons du projet en cours, tout en démontrant qu’on peut réellement améliorer les retraites par répartition, améliorer et élargir la sécurité sociale, porter la nécessité du relèvement substantiel des salaires et de progresser vers un vrai plein emploi et l’accès à un travail de qualité pour chacune et chacun, dont l’utilité et la qualification soient reconnues notamment par des salaires augmentés. Les mots du président de la République selon lesquels il faut “travailler plus", sont un vulgaire appel à accepter le renforcement de l’exploitation capitaliste pour celles et ceux qui sont à la tâche tandis que des millions de travailleuses et travailleurs sont privés d’emplois parce que le capital détruit la production et le travail. Il en serait autrement si le travailleur était maitre de son travail et de la nature de la production. De cela, les fondés de pouvoir des puissances d’argent ne veulent pas parler.

Le gouvernement a engagé ce rapport de force contre l’immense majorité du peuple qu’il est censé représenter. C’est ce peuple dans sa diversité qui lui répond et doit faire de la journée d’action du 7 mars un mouvement exceptionnel pour le retrait de ce texte. Y parvenir c’est le moyen de défendre un grand conquis historique élaboré par un ministre communiste. C’est éloigner les fonds vautours pressés de s’accaparer les richesses produites par les travailleurs pour détruire la solidarité sociale et nationale. C’est aussi, sans attendre,la Sécurité sociale que lorgnent les grandes compagnies internationales d’assurances. Notre unité est notre force pour un enjeu de civilisation

Article paru dans la Lettre internet de Patrick Le Hyaric


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