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Anomie ?

samedi 26 août 2023
par  Saûl Karsz
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Étonnant climat, actuellement, en France.

Climat météorologique, tout d’abord. Au beau milieu de chaleurs estivales qui battent tous les records, des pluies drues se déchainent qui ne rafraîchissent guère l’air ambiant car il continue de faire lourd, pesant. S’en protéger paraît plutôt inutile car ces pluies ne durent pas longtemps et la chaleur est toujours là qui rend encombrants les imperméables, casquettes et autres parapluies. Et ce ne sont pas les incendies gigantesques ni la transhumance forcée des populations et des touristes qui allègeront la situation. Bref, la question est : comme faire avec ce fatras, métaphore d’autres climats contemporains tout aussi profondément détraqués ?

Climat politique. La liste est ici bien plus longue que la précédente. Plus d’un million d’euros offerts à un policier victimaire à sang froid d’un jeune banlieusard de 17 ans. Ministre (de la justice !) déféré en Cour de Justice de la République pour un probable conflit d’intérêts. Un grand chef de la police expliquant que les agents suspects de grave abus de pouvoir ne doivent pourtant pas aller en prison avant de passer en justice (auquel cas il faudrait libérer des milliers de prévenus non-policiers). Mise en arrêt réel pour maladie fictive d’une partie des forces policières qui fraudent ainsi la Sécurité Sociale. Ministre qui est l’autorité de tutelle de la directrice adjointe de l’Assurance maladie, son épouse : aucun conflit d’intérêts entre les conjoints, décide la Haute autorité pour la transparence [sic] de la vie publique. Olympique réponse présidentielle à la révolte désespérée et désespérante des banlieues pauvres : triple appel à l’Autorité, à l’Autorité, à l’Autorité. Liste largement incomplète, bien entendu. La question est : comme faire avec ce fatras ?

Climat social, également. Urgences hospitalières ou ambulatoires en déliquescence avancée, quasi-impossibilité de se faire soigner si on manque de médecin attitré, paupérisation de vastes cohortes d’étudiants, crise du logement, résignation forcément rancunière face aux violences policières qui, explique un ministre, n’en sont pas, inflation et coût de la (sur)vie qui ne font pas que des malheureux… Des traits de la vie quotidienne en découlent, qui alourdissent encore le climat : courtoisie, déférence minimale, souci d’autrui sont de moins en moins usités dans les relations de voisinage, les transports, les marchés, dans la rue ; renfermement généralisé dans des bulles conjugales, familiales ou de quartier, crispations de toutes sortes, défiance spontanée envers autrui, perçu comme une menace… La question est : comme faire avec ce fatras ?

Émile Durkheim (1858-1917), un des fondateurs de la sociologie, forge la notion d’anomie, très répandue dans et hors la discipline. Elle désigne moins l’absence pure et simple de normes que, plus précisément, l’ébranlement du respect des normes, l’effilochement de la croyance en la nécessité des règles communes, la méfiance envers les références partagées, la certitude croissante d’après laquelle faire société revient à se faire avoir. Les normes continuent d’être en vigueur, créditées d’une confiance en baisse constante. Quelque chose comme des superstructures aléatoires, incertaines. Le monde continue, une partie notable de ses occupants n’y croit guère.

Certes, le tableau dessiné ci-dessus comporte, et c’est heureux, de notables exceptions, actuelles et passées. Il dessine une tendance puissante et entreprenante, pas (encore ?) une catastrophe complète. D’ailleurs, aucune société n’a jamais manqué de conflits, plus d’une fois mortifères. Sont aujourd’hui accentués des comportements déjà en cours précédemment. En même temps, des inégalités de toutes sortes et en tous domaines, décomplexées, revendiquées comme telles, triomphent. Des courants conservateurs organisés et informels montent en vigueur et en influence. Une hypothèse raisonnable sur les fatras contemporains passe ainsi par la notion d’anomie. En effet, nous vivons actuellement les multiples effets d’une société submergée par le néo-libéralisme et ses orientations ouvertement fascisantes. Ces effets sont économiques et politiques, et également éthiques, individuels et collectifs, interpersonnels et institutionnels, pratiques et théoriques, intellectuels et affectifs. Les modalités de coexistence, non seulement de production et de consommation, sont aujourd’hui en cause. Des analyses fines pourraient montrer ce qu’il en est au cas par cas. Le montrer dialectiquement : tout ne va pas de pire en pire pour tout le monde…

Parce qu’il s’agit bien d’une tendance et pas (encore ?) d’une situation complètement généralisée, nous nous devons de rester en éveil, soucieux de ne pas collaborer aux multiples dévastations en cours, engagés dans des œuvres associatives, syndicales et politiques qui, classiques ou renouvelées, tentent de sauvegarder des espaces de respiration et d’ouverture collectives. A chacun de voir ce qu’il peut faire, ce qu’il veut faire, pour les autres et pour lui, à quoi il tient à ne pas ou à ne plus se prêter. Faute de solution magique, il reste juste et rien de moins que des luttes longues, difficiles, menées avec autant d’opiniâtreté et de lucidité que possible, à succès nullement garanti. Des luttes indispensables, car la neutralité, les abstentions, les narcissismes de l’entre-soi sont des formes courantes de collaboration avec le nouvel ordre du monde. Urgence climatique, urgence politique, urgence sociale, urgence subjective : différents fronts d’un seul et même combat.

Article paru dans https://www.pratiques-sociales.org


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