Plus que quelques semaines avant le congrès du Parti Socialiste. Le précédent, à Dijon, devait être le congrès du projet. On a vu qu’il n’en fut rien. Le projet, ce n’est pas encore pour cette fois. Celui qui s’annonce, au Mans, eût pu être le congrès de la réflexion. Après tout, le désaveu par une majorité de son électorat des choix de la direction du parti lors du référendum constitutionnel européen eût mérité une instrospection, sereine si possible. Cette dimension-là, si elle n’est pas absente, ne constitue pas le plat principal du menu qui attend les socialistes. Ce qui est dans toutes les têtes, c’est le match des ambitions présidentielles.

Après la kyrielle de contributions, dont nous avons rendu compte dans un précédent numéro , demeurent en lice 5 motions, deux « petites » et trois « grosses ». Les petites, d’abord : celle, souvent sympathiquement utopique (mais l’utopie est nécessaire dans la réflexion politique) du courant, forcément, Utopia, qui ressemble fortement à la contribution des mêmes, babacoolisme inclus. Et celle du « Tony Blair français », Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, auprès de qui François Bayrou va finir par faire figure de dangereux gauchiste. Lui aussi avait déjà commis une contribution, dont la motion diffère peu.

Respectons la hiérarchie, et passons donc à la contribution de la direction, signée notamment par une palanquée de « présidentiables » putatifs ou assumés (François Hollande, Martine Aubry, Bertrand Delanoé, Jack Lang, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn, sauf oubli et en attendant les suivants) et semble-t-il soutenue dans l’ombre (tutélaire) de Lionel Jospin, non signataire. Qu’en dire ? Catalogue de bonnes intentions ? Il y a de ça. Projet vraiment alternatif ? Sûrement pas. Comme la magnanimité et le sens aigu de la justice sont notre marque de fabrique, relevons quand même que le texte contient des paragraphes pertinents sur la réforme de l’OMC et le souhait (qui devrait être volonté) de la voir passer sous contrôle onusien. On retiendra aussi la reconnaissance qu’il y eut un Non de gauche et pro-européen lors du référendum, mais ça ne va pas jusqu’au mea culpa, loin de là. Sur les services publics, on se contente du maintien de l’existant sans envisager la réintégration de certaines privatisations dans le giron public. Pas davantage de remise en cause formelle des lois Fillon sur la retraite et l’éducation, des lois sécuritaires de Sarkozy et Perbern : on se contente d’aménager tout ça. Et un passage inquiète, qui dit que tout versement de prestation sociale doit être accompagné d’un service d’intérêt général. Relisez-vous, m’sieurs-dames, c’est la porte ouverte à la déréglementation salariale, un truc pareil : tout travail, d’intérêt général ou pas, mérite salaire, non ? Quant au libéralisme, il est bien sur vilipendé, mais sans vraiment de remise en cause de fond. Bref, on s’adapte et on panse les plaies. Bayrou pourrait-il signer tout çà ? Non, mais pas loin. Un dernier mot sur l’union de la gauche : ils sont pour, mais derrière le PS. Ben voyons.

Seconde « grosse écurie », celle conduite par Laurent Fabius, seul signataire, cette fois, prétendant aux plus hautes fonctions. Il s’agit là d’une synthèse entre le texte initial de la « contribution Fabius » et celles signées par Jean-Luc Mélenchon, Alain Vidalies, Marie-Noëlle Lienemann, entre autres. Par rapport à la précédente, le ton change, plus martial et volontariste. Comme de juste, l’analyse du « 29 mai » est plus percutante, et il est écrit que cela doit remettre en cause le positionnement du parti. Bien vu. Dès les premières pages, c’est un contrat sur des engagements communs qui est proposé pour l’ensemble de la gauche, sans prééminence préalable. A noter également l’engagement d’abroger la loi sur les retraites et de refuser la réforme fiscale que l’actuel gouvernement nous concocte. A noter aussi la timidité similaire à la motion précédente concernant le périmètre des services publics et la tendance à aligner les bonnes intentions. Bref, plus musclé que Hollande, mais peut mieux faire.

Enfin, le Nouveau Parti Socialiste (NPS) d’Arnaud Montebourg et Vincent Peillon (« présidentiables du futur ?) présente un texte reprenant beaucoup de sa contribution initiale, amendée par les amis de leur nouvel allié Henri Emmanuelli (« présidentiable » du passé, mais toujours vigoureux). La contribution de NPS était interminable. La motion suit le même chemin, belle preuve de continuité. Cela dit, on a aimé la critique très pertinente du libre échange et la dénonciation du mythe de la libre concurrence, qui fait partie des fondamentaux, depuis que nous existons, du Cactus/La Gauche ! Dommage que cette critique n’ouvre pas sur des propositions concrètes (par exemple, du bon usage d’un protectionnisme ciblé) : les marchés communs régionaux évoqués sont du sparadrap sur le cancer libre-échangiste* . Nous avons apprécié aussi la proposition de mettre fin à l’indépendance de la banque centrale européenne (Fabius ne va pas jusque là, et Hollande, on l’a vu, y renonce). On ne sera pas étonnés de trouver dans la motion un digest des propositions d’Arnaud Montebourg sur la réforme des institutions (la VIème république), dont la motion Fabius reprend d’ailleurs quelques thèmes. Intéressant. Pour le reste, on est dans la prudence et (toujours) les bonnes intentions. Par rapport à ses deux principales concurrentes, la motion NPS est étonnamment discrète sur les perspectives d’union de la gauche. Notre avis résumé : moins plon-plon que Hollande et moins déterminé que Fabius. On s’y attendait de la part d’un courant qui veut jouer les « charnières ».

On pourra nous trouver un peu teigneux, ou trop bonne pâte. Nous n’ignorons pas que la motion de congrès est rarement un moment d’éblouissement politique. Il s’agit de ratisser large pour recueillir le plus de votes possibles. D’aucuns disent que le PS, à l’occasion de ce congrès, a « gauchisé » son discours. C’est vrai, et il faudra, à l’usage, vérifier s’il s’agit d’un simple opportunisme ou d’un réel infléchissement d’un social-libéralisme jusqu’alors prégnant. Cela dit, il reste à notre sens bien du chemin à faire pour élaborer ce que pourrait être un socialisme progressiste pour demain. Et c’est peut-être davantage dans les collectifs regroupant divers partis, syndicats, associations, citoyens que dans les organisations intrinsèques que ce travail nécessaire peut se faire avec pertinence.

*Mais attention, hein, on n’est pas non plus des protectionnistes à tout crin.