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Une rentrée rabougrie

dimanche 27 août 2023
par  Yann Fiévet
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La rentrée des classes 2023 en France est marquée du sceau d’un inquiétant rabougrissement. Plusieurs évènements attestent de ce phénomène surgissant dans un moment de grandes tensions au sein du corps social, tensions face auxquelles le pouvoir politique en place manque singulièrement de sérénité. La portée de ces évènements dépasse de très loin le cadre de l’Ecole et sont tout sauf anecdotiques. L’Ecole étant le lieu privilégié de l’accueil de la jeunesse du pays il conviendrait, paraît-t-il, de la reprendre en main. D’une main ferme évidemment accompagnée parfois d’une bonne dose de pudibonderie. Nous allons retrouver ici quelques figures du macronisme le plus pur auquel peuvent venir s’adjoindre sporadiquement, pour pouvoir exister un peu, quelques satellites issus de la sphère politique la plus réactionnaire. Nous nommons, dans l’ordre de leur entrée en scène, Gabriel Attal, Valérie Pécresse, Gérald Darmanin et… Jupiter soi-même.

En juillet dernier, après que la « communauté scolaire » nationale fut entièrement partie en congés d’été, le monarque décida de remplacer le ministre idoine. Ainsi, Gabriel Attal, jeune loup aux dents longues et pourtant déjà presque vieux en politique, succède à Pap Ndiaye qui en une année seulement ne pouvait avoir fait oublier le calamiteux quinquennat de Jean-Michel Blanquer. Contrairement à Pap Ndiaye qui est universitaire Gabriel Attal n’a jamais occupé la moindre fonction au sein de « l’appareil éducatif ». Passé par la prestigieuse Ecole Alsacienne de Paris il est le pur produit de la mérito-aristocratie et va ainsi pouvoir donner des gages de sincérité à tous ceux qui craignaient que l’on tente de remettre en cause un tant soit peu les privilèges de l’enseignement privé. C’est précisément là que Pap Ndiaye se mit à dos le plus d’ennemis, et pas seulement au sein de la droite extrême. Partisan de la mise en œuvre de moyens destinés à promouvoir une « mixité sociale » digne de ce nom il entendait y inclure la sphère privée de l’éducation. De fait, l’Elysée n’avait pas même besoin du tollé de la Droite pour ne pas supporter l’outrecuidance d’un ministre osant s’être levé du strapontin qui lui avait complaisamment été offert. L’Ecole doit rester à deux vitesses. On ne va tout de même pas rallumer la guerre scolaire, proclama le Président du Sénat. Il peut enfin dormir de nouveau sur ses deux oreilles : ce n’est pas Gaby le Magnifique qui songera à déterrer la hache de guerre. En revanche, on va le voir beaucoup sur le terrain en cette rentrée, histoire de poursuivre l’esbroufe macronienne entamée voilà plus de six années. Du reste il a commencé en août par la rentrée à la Réunion. Consolons-nous : à cette première occasion il a déjà trouvé le moyen de se prendre les pieds dans le tapis de… « l’immigration en provenance de Mayotte ». Assurément, il compte sur le dos de l’Ecole pour continuer de se faire les dents. La jeunesse doit savoir se tenir. Gabriel Attal va s’atteler à cette tâche indissociable, selon les tenants de l’Ordre établi, de la « bonne marche » du système éducatif. Il pourra compter en la matière sur le soutien inconditionnel de Valérie Pécresse qui préside aux destinées de la Région Ile-de-France. En juillet dernier, elle déclara que « notre devoir est de faire aimer la France à notre jeunesse ». En même temps, elle décida de débaptiser le lycée Angela-Davis de Saint-Denis (93). En proposant, à la place, le nom de Rosa Parks. Elle se justifie en ces termes : « Personnellement, vous l’avez compris, je préfère la révolution civique de Martin Luther King à la lutte armée violente des Black Panthers ». Elle alimente ainsi l’artificielle opposition entre les activistes noirs : d’un côté, les sages, les modérés, bref, les respectables. De l’autre, les violents, les radicaux, les extrémistes. La réalité est pourtant bien différente : Rosa Parks n’était pas seulement « une petite dame gentille assise dans le bus avec son petit sac ; elle était aussi une militante proche des mouvements communistes. D’autre part, considérer qu’Angela Davis était violente est totalement faux – par conséquent raciste - et consiste à effacer purement et simplement – c’est probablement le but ultime de cette entreprise idéologique de démolition – le fait que les nombreux ouvrages de la sociologue américaine sont lus et analysés dans le monde entier. Valérie Pécresse affiche là la suffisance éhontée des insuffisants. Il conviendrait au contraire d’étudier dans les lycées la pensée d’Angela Davis qui, toute sa vie, a forgé des outils de réflexion contre toutes les formes d’injustices. Alors, la France deviendrait vraiment pleinement aimable aux yeux des jeunes, en particulier dans « les quartiers » si malmenés en maints endroits du pays. Les lycéens de Seine-Saint-Denis – et leurs professeurs – seront-ils muets à la rentrée face à l’insulte qui vient d’être commise, en leur nom, à l’encontre de la figure incontestable de l’antiracisme qu’est Angela Davis ? Un autre livre ne figure évidemment pas au chevet de Valérie Pécresse : celui, remarqué, que l’historien Pap Ndiaye a consacré à « la condition noire ». La boucle est ainsi bouclée !

Il est donc grand temps que notre jeunesse soit édifiée par les bonnes valeurs morales qui lui permettront d’évoluer docilement demain dans une société enfin apaisée. C’est là que Gérald Darmanin intervient. Il abandonne à l’occasion son costume de père fouettard en chef pour endosser celui de nouveau « père la pudeur », costume que porta fièrement autrefois l’un de ses ascendants idéologiques. Il est des filiations qui ne se renient pas. Les débordements de la jeunesse ne se déroulent pas uniquement sur la voie publique. Ils peuvent aussi avoir lieu dans la sphère privée, dans l’intimité des relations interpersonnelles, en principe à l’abri des regards. Il ne faut pourtant pas s’interdire d’agir là-dessus aussi. Le 18 juillet dernier, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur au pouvoir très étendu, a fait interdire la vente aux mineurs d’un roman jeunesse dont certaines scènes ont été jugées pornographiques. Voilà un grand moment de puritanisme imbécile et pour le moins opportuniste. La sexualité de l’adolescence dérange encore et toujours certains esprits qui soit ont raté ce moment initiatique, soit l’ont étonnamment oublié. C’est le moment de la découverte de son propre corps, « la construction de sa capacité à désirer le désirable, etc. Thierry Magnier, éditeur du livre censuré, voulait « montrer comment la littérature, à un âge donné, accompagne cette découverte-là ». Et tant pis si, parfois, les récits abandonnent la littérature en route, pour ne plus raconter que l’été et les corps. » Mais, cela est intolérable aux yeux de ce qui pourrait devenir une nouvelle police des mœurs.

On en conviendra : il se cache derrière ces divers évènements, tous intervenus en juillet quand le citoyen a la tête ailleurs, un manque caractérisé de sérénité. Pour faire bonne mesure, il fallait bien que Jupiter apporte sa pierre à cette fébrilité estivale. Il le fit depuis son lieu de vacances aoutien. Un œil sur le lointain Niger, l’autre sur les banlieues toutes aussi lointaines pour lui, il a prévenu qu’aucun débordement dans les quartiers populaires ne sera toléré à la rentrée. Les mauvaises langues, dont nous ne sommes pas, diront que le monarque verse là de l’huile sur le feu ! En fait, il sait pertinemment que les motifs d’un possible embrasement sont de plus en plus criants. Il y répondra, le cas échéant, avec ses plus fidèles lieutenants, par de nouvelles manifestations du rabougrissement en marche.


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