Deux rapports sinon rien
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Il y a quand même une rentrée sociale ! Au moins sur le plan de la réflexion. Ce mois de septembre les observateurs soucieux de l’état réel du corps social de notre pays ont pu saluer la publication de deux rapports on ne peut plus important. Ils n’émanent pas des « autorités compétentes » et n’ont pas été non plus commandités par elles. Cela en fait tout le poids. Le premier rapport, rendu public le 13 septembre par le Secours catholique et Aequitaz, une association prônant sans la moindre équivoque la « justice sociale », s’Intitule « Un boulot de dingue – Reconnaître les contributions vitales à la société ». Il se veut être « un antidote au poison des préjugés » en matière d’emploi. Le second rapport, diffusé le 14 septembre, émane du Collectif « Nos services publics », fondé en 2021, avec la contribution d’une centaine de chercheurs, de hauts fonctionnaires et d’agents publics. Il propose de changer notre regard en comparant scrupuleusement l’évolution des besoins de la population avec l’investissement dans lesdits services publics. Ces deux rapports prennent tellement à contre-pied les idées reçues entretenues depuis su longtemps qu’ils n’ébranleront très probablement que fort peu la détermination de nos actuels gouvernants.
« « Un boulot de dingue » met en pleine lumière « le travail invisible et non rémunéré » de nombre de personnes « hors emploi ». Que ce soit dans le champ personnel, en aidant un proche ou via des engagements dans la vie d’un quartier, le voisinage ou au sein d’associations. Ces contributions sont « vitales et utiles à la société » mais ne sont jamais reconnues. Un long inventaire – fruit de recherches étalées sur deux ans, permet de définir précisément ce travail invisible. Il est essentiellement tourné vers « le prendre-soin »et caractérise « une forme de protection sociale de proximité ». Le rapport est un plaidoyer pour « sécuriser ces activités essentielles » et espère être un remède contre « le poison de l’éternel cliché de l’assisté ayant besoin d’être sans cesse remobilisé ». Nombre d’associations en témoignent : les personnes rencontrées sont bel et bien actives, « n’en déplaise à̀ la statistique », qui les range parmi les « inactifs ». Ce cliché sur les « assistés » va sans aucun doute abondamment alimenter les débats du projet de loi pour le plein-emploi, qui sera examiné en octobre par les députés. Le texte doit ouvrir la voie au réseau France Travail, à l’inscription automatique des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et à de possibles heures d’activité obligatoires, en contrepartie de ce revenu. Pour le Secours catholique et Aequitaz voient là « un contexte politique inquiétant ». Ils rappellent leur ferme opposition « à toute forme de contrepartie au minimum vital qu’est le RSA ». Enfin, le rapport se veut aussi le porte-voix de « celles et ceux que l’on montre du doigt sans jamais prendre le temps de les entendre ». Les personnes qui ont participé aux travaux y relatent leur douleur d’être régulièrement stigmatisées : « « Personne ne survit émotionnellement à l’inactivité doublée de la solitude qu’elle engendre », affirme l’une d’elles. En entrant dans les histoires de vie des personnes qui ont participé à la recherche, on découvre un monde d’entraide et de solidarité. Des valeurs que les politiques publiques d’aujourd’hui sacrifient petit-à-petit sur l’autel de l’ultralibéralisme.
Le Collectif « Nos services publics », quant à lui, nous livre un diagnostic sans appel : alors que les besoins de la population ont évolué, l’Etat n’a pas su s’adapter : des services d’urgence hospitaliers dangereusement fermés certaines nuits, des enseignants qui manquent à l’appel malgré les déclarations officielles lénifiantes, des magistrats qui alertent sur leurs conditions déplorables de travail, etc. Comment expliquer que les services publics « craquent » alors que la dépense publique augmente ? Pour les rapporteurs, « débattre de l’évolution des services publics n’a de sens qu’au regard des évolutions sociales auxquelles ils répondent ». Or, ils constatent que « A l’arrivée, dans tous les domaines, on retrouve une courbe des besoins qui augmente et une courbe des dépenses qui progresse beaucoup moins vite ». Dans sa démarche le collectif a cumulé des indicateurs de nature très variables : les dynamiques démographiques (comme le vieillissement de la population ou la hausse de l’accès aux études supérieures), les progrès sociaux (dont la lutte contre les violences faites aux femmes) et les transformations des modes de vie. Ces paramètres « modifient les attentes de la population et le niveau de référence de prise en charge de ces attentes. Ils permettent de constater une attrition de la dépense publique en regard des besoins, alors même qu’elle a augmenté de manière quasi continue depuis quarante ans – elle représentait moins de 50 % du produit intérieur brut (PIB) au début des années 1980 et 58 % en 2022 – et que le nombre d’agents publics est passé de 4,8 millions à 5,4 millions en vingt ans.
Le chapitre consacré à la santé étudie l’évolution des affections longue durée (ALD), des maladies « dont la gravité et/ou le caractère chronique nécessite un traitement prolongé et coûteux ». D’après les données de l’Assurance-maladie, le nombre de patients en ALD est passé d’environ 9 millions à 12 millions entre 2010 et 2020, soit une augmentation de 34 %. Or le financement du système de soins est de moins en moins adapté à ces pathologies : l’hôpital public, sur lequel repose en grande partie la prise en charge des maladies chroniques, souffre de la « tarification à l’activité », qui ne rémunère pas les tâches de coordination entre l’hôpital et la médecine de ville. Dans le domaine scolaire les besoins ont également fortement évolué. Depuis les années 1980, le taux de bacheliers pour une génération a été multiplié par quatre, et l’école accueille depuis 2005 les enfants en situation de handicap – leur nombre a été multiplié par trois en quinze ans, soit 400 000 élèves. De fait, l’école peine à s’adapter à un public plus hétérogène. Si 80 % d’une classe d’âge parvient au baccalauréat, c’est au prix d’une stratification sociale très forte au sein des filières du lycée, les enfants d’ouvrier composant 34 % des bacheliers professionnels, contre 8 % pour les enfants de cadres supérieurs. Ainsi, du fait de l’inadaptation du système, des inégalités criantes persistent.
Ce qui nous frappe à la lecture conjointe de ces deux rapports c’est le cruel défaut de l’attention portée par les pouvoirs publics à la réalité sociale et à la nécessité de répondre vraiment aux attentes légitimes de la population. Nous le savions depuis longtemps, plus ou moins intuitivement ou par bribes, mais là nous en avons une démonstration implacable. Pourtant, une fois de plus on va sur ces questions cruciales probablement lancer « un grand débat », créer un nouveau Conseil de la « Reconstruction », demander des études complémentaires, etc. Bref, on va encore renvoyer l’urgence d’agir aux calendes grecques !
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