MONDIALISATION ET SANTE
par
popularité : 1%
Les système de santé socialisés ont longtemps fonctionné sur la base d’un équilibre entre les gouvernements, qui fixent (en principe) les grands axes de la politique de santé, ainsi que les sources et le montant de leurs financements, les organismes collecteurs et redistributeurs de ces ressources (en France, la Sécurité Sociale) et les industries de santé, notamment pharmaceutiques, productrices de moyens.
La mondialisation a déstabilisé cet équilibre entre la logique de santé, soutenue par l’ Etat et les professionnels , et la logique du marché, soutenue par les industriels : sous l’effet de la création d’un espace de libre concurrence, protégé par des brevets, les industriels tendent à prendre le contrôle du système à tous les niveaux : à leur fonction classique de production de médicaments et de matériels, ils ajoutent progressivement celles de construction du marché, par la mainmise sur l’offre et sur la demande, de monopole de la Formation Médicale Continue (FMC) des professionnels de santé et de leur information et du choix des priorités de la recherche clinique, par le monopole de son financement.
De ce fait, l’industrie pharmaceutique (IP) a une emprise chaque jour croissante sur les pratiques des médecins, et tend à transformer la maladie et la santé des malades et des bien-portants en un marché dédié à la consommation de ses produits, de plus en plus déconnecté de l’état de santé de la population, sous la passivité d’ Etats de plus en plus impuissants, et incapables de sanctionner la mise sur le marché prématurée de médicaments insuffisamment étudiés, le contrôle par l’ IP des médecins expérimentateurs chargés des essais cliniques, tenus de signer des contrats dans lesquels ils abandonnent la propriété des résultats obtenus aux industriels, qui restent seuls juges de l’opportunité de publier les résultats défavorables, le non-respect des règles éthiques lors des études menées dans les pays du tiers-monde et l’information tronquée transmise aux médecins par leur FMC ou les visiteurs médicaux.
Le premier de ces points a une importance capitale : alors que l’ IP a longtemps visé à vendre des médicaments à un maximum de gens, et, pour cela, s’est appuyée sur les systèmes de protection sociale solvabilisant le plus grand nombre possible d’acheteurs, elle cherche aujourd’hui à vendre des médicaments avec une très forte marge bénéficiaire unitaire à un nombre limité de gens (pour se mettre à l’abri des catastrophes financières que constitue, pour elle, le retrait du marché d’un médicament pour cause d’effets secondaires indésirables : ceux-ci tarderont d’autant plus à être mis en évidence que le nombre de gens qui le consommeront sera réduit ), et, pour cela, elle doit s’affranchir des systèmes de protection sociale qui cherchent à lui imposer des prix de vente.
Il faut comprendre que l’IP est, en réalité, constituée par deux activités très différentes : la production classique de médicaments, branche de l’industrie chimique, qui tend à se délocaliser vers les pays à faible coût de main d’œuvre, et la fabrication de connaissances, de propriétés intellectuelles, destinées à être brevetées , qui tend à se concentrer dans les pays les plus développés, essentiellement aux Etats-Unis ; son objectif est la gestion d’un portefeuille de brevets et du capital financier qu’il génère.
Cette seconde activité travaille avec succès au développement de dispositions légales uniformes à l’échelle mondiale : plus l’ Organisation Mondiale du Commerce se développera, plus les tractations financières deviendront aisées.
Ceci a pour effet d’entraîner une inflation incontrôlable des profits de l’ IP (ce sont les médicaments qui, depuis les années 1990, ont le plus contribué à la croissance de leurs dépenses) qui mettent en danger tous les systèmes où les dépenses sont socialisées, sans bénéfices parallèles de l’état de santé de la population.
D’économique, le combat est devenu aujourd’hui ouvertement politique. Aux Etats-Unis, des actions coordonnées de lobbying de l’ IP ont été menées en 1997-98 pour faire échouer le projet d’assurance-maladie généralisée de Bill Clinton. En Europe, des groupes professionnels officiellement installés à Bruxelles sont consultés lors de la mise en place de nouvelles réglementations en matière de production et de diffusion des médicaments, et seul le Parlement Européen oppose une résistance provisoire à des arbitrages allant toujours vers une dérégulation croissante. En France, lors de la campagne présidentielle de 2002, l’IP a constitué un collectif, « la Santé en action », regroupant la totalité des acteurs de santé du secteur privé, à l’objectif clairement affiché : libéraliser le système de santé ; l’ IP a remporté d’indéniables succès au cours de l’année 2004, obtenant le droit de fixer à peu près librement , en pratique, le prix des médicaments dits innovants, ainsi que la perte, pour les hôpitaux, de la possibilité de faire jouer la concurrence par les prix entre laboratoires produisant des médicaments équivalents.
En conclusion, on voit bien que la disposition de l’ Accord général sur le commerce des services (AGCS) mettant théoriquement les systèmes de Santé hors du cadre de la « concurrence libre et non faussée » est un trompe-l’œil faussement rassurant : en réalité, en permettant aux industries de santé dérégulées, et en particulier à l’industrie pharmaceutique, de prendre le contrôle de la totalité des systèmes de santé, l’ Union Européenne rend leur privatisation inéluctable.
Commentaires