LEÇONS AMERICAINES

Par Yann Fiévet
jeudi 15 décembre 2005
par  Yann Fiévet
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C’est fou comme l’Amérique de ce début de vingt-et-unième siècle est riche d’enseignement pour le monde en général et l’Europe en particulier. Du reste, il ne manque pas de bons apôtres, chez nous comme ailleurs, pour nous vanter doctement les bienfaits innombrables d’une société si flexible qu’elle réalise les plus grands prodiges. Dépêchons-nous donc de la copier pour ne pas succomber au péril chinois. L’ogre, cependant, n’aurait-il pas quelque faiblesse ? Quelle est, dans cette société tellement idéalisée - pour ne pas dire idéologisée -, la place réservée vraiment à la dignité de l’homme ? Deux évènements, en apparence totalement étrangers l’un à l’autre, devraient nous inciter à la prudence en un temps de duplication facile des recettes frelatées d’autrui. Il y a leçon et leçon.

Le premier de ces deux évènements est désormais bien connu tant il a abondamment alimenté la chronique de notre fin d’été. Le terrible cyclone Katrina est un puissant révélateur de la superbe américaine prise lamentablement en défaut.

Comment le seul pays au monde capable d’envoyer à n’importe quel point du globe des dizaines de milliers de "troufions" en un temps record ne parvient-il pas à déplacer quelques centaines de milliers de victimes potentielles pour les mettre à l’abri d’un danger annoncé trois jours à l’avance ? Comment le pays le plus riche du monde en est-il arrivé à ne plus surveiller la sûreté des digues protégeant les zones urbanisées de régions particulièrement exposées aux déchaînements de la nature ? Comment la plus grande démocratie du monde est-elle parvenue à qualifier de réfugiés les pauvres victimes du désastre comme si ces gens étaient des étrangers en leur propre pays ? Comment ce pays transpirant la charité au point d’en avoir fait un business n’est-il capable d’envoyer sur les lieux du naufrage que la troupe surarmée en guise de secours immédiat ? Rassurons-nous : un autre commerce juteux est en route. Les premiers gros contrats de reconstruction de la Nouvelle-Orléans ont d’ores et déjà été signées par les firmes - notamment des filiales du groupe Haliburton - dans lesquelles l’entourage de M. Bush a des intérêts bien compris.

La seconde histoire se situe plus au nord, dans l’Oregon. Elle nous est rapportée par Erick Nicholson, syndicaliste venu témoigner à Rodez dans le récent procès de membres de la Confédération Paysanne. Ce qu’il nous conte est pour le moins effarant. Il nous décrit l’univers impitoyable et délirant d’une ferme à l’américaine. A Three Miles Canyon Farm, 55 000 vaches laitières donnent chaque jour un million de litres de lait. Cette exploitation - c’est bien le mot qui convient - fonctionne grâce au labeur de 350 Mexicains travaillant dede dix à douze heures par jour et menés vivement. Les heures supplémentaires ne leur sont pas payées et de nombreuses entorses au code du travail américain, déjà fort laxiste, sont commises là. Erick Nicholson est régulièrement menacé des pires représailles depuis qu’au nom de la Workers Farmers Union il tente de défendre les intérêts des salariés de cette ferme, modèle probablement du productivisme agricole nord-américain.

Ces deux histoires sont comme les deux facettes d’un même problème, celui que pose une société dans laquelle la confiance exorbitante placée dans les forces du Marché se paie en défaillances criminelles de l’action publique. Evidemment, l’erreur à commettre, que les ignorants et les menteurs cultivent à l’envi, est de considérer que l’Europe est protégée contre cette folle dérive. C’est à croire que les privatisations tous azimuts, l’ouverture à la concurrence des services publics, le renoncement de l’Etat à avoir une politique sociale digne de ce nom, le glissement lent et profond du préventif vers le répressif ne sont que des mauvais rêves dont nous allons vite nous réveiller, des hallucinations d’anti-européens mâtinés d’anti-américanisme. Non, hélas, nous ne rêvons pas. Tout cela est bien réel et va avoir des conséquences funestes. Déjà des immeubles flambent. Qui s’émeut vraiment du sort des enfants carbonisés ? Quelle place réservons-nous encore chez nous à la dignité de l’homme ?


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