UN NON DE GAUCHE POUR UNE NOUVELLE EUROPE
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UN NON DE GAUCHE POUR UNE NOUVELLE EUROPE
Par Pierre Henry
L’Europe ? Mais quelle Europe ? En France, le simple fait de poser cette question risque fort de vous condamner à émarger dans la catégorie des passéistes, des populistes, des souverainistes, bref à vous disqualifier ! Mais, une élection Présidentielle se profile et Jacques Chirac croit pouvoir utiliser une consultation sur la ratification de la « constitution Européenne » comme révélatrice des divergences de la gauche, et particulièrement de son principal parti, le PS. A première vue le calcul n’est pas dépourvu et de raison et d’opportunisme à en juger par les réactions contrastées des présidentiables socialistes. Mais le piége pourrait bien se refermer sur son auteur en faisant sortir pour la première fois depuis longtemps la question européenne du choix débile, du tout ou rien, dans lequel l’a enfermé la pensée conforme mais aussi une alliance objective entre libéraux et souverainistes. Autrement dit dans le débat sur la nature du modèle européen, l’espace se crée pour en discuter non le principe mais le contenu.
Car il n’est pas nécessaire d’avoir recours à de faux semblants. L’Europe est là. L’article 20 de la constitution française selon lequel « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » est de moins en moins vrai. Nombreuses sont les questions qui devraient faire l’objet d’une loi délibérée et votée par le parlement qui sont imposées par des experts qui n’ont aucune responsabilité devant quiconque. Nous voici dans un pouvoir d’association et non de décision. Il est un peu tard pour le constater, le déplorer. Le cadre est fixé. Et c’est à l’intérieur de ce cadre que nous devons agir pour réformer, réorienter l’Europe. Cela passe par un non de gauche au projet de constitution européenne.
Un non de rupture
L’Europe est la première puissance commerciale au monde. Elle possède une monnaie unique qui constitue une valeur d’échange concurrente au dollar. Une banque centrale qui veille jalousement sur les critères de convergences économiques proposés aux vingt cinq pays membres et qui s’apparente à un pouvoir de censure des politiques sociales. Ce que ne peuvent faire, sans dégâts électoraux, les libéraux au pouvoir dans leur pays, les banquiers et les experts s’en chargent au nom de l’Europe. C’est ainsi que les dix dernières années de construction européenne en France sont surtout assimilable à une lente déconstruction de l’Etat social de droit (réduction des services publics, précarisation de l’emploi, mesures de dumping social, diminution de la protection sociale) C’est dans ce contexte qu’est présenté un projet de constitution qui tend à valider l’orientation économique libérale comme naturelle, comme un acquis non discutable. Les critères de convergence économique ont fait l’objet d’une longue maturation de nombreuses négociations-trocs entre les états, l’Europe s’est doté de normes communes en matière d’asile, d’immigration, de coopération policière, de justice... Et l’Europe serait dans l’incapacité de s’entendre sur de grandes lois de programmation européennes dans les domaines de l’éducation, du développement, de la santé, de l’emploi, de la lutte contre le dumping social et fiscal ?
On peut légitimement être effrayé par ces avancées et ces renoncements très ciblés. Mais l’ambition, la volonté, que les républicains sociaux se doivent d’avoir aujourd’hui c’est de réinjecter au cœur de la Gauche Française l’enjeu d’un projet européen qui se décline non plus seulement autour de l’économie mais aussi de la question sociale et de l’édification de règles communes pour la conduite du monde Ce ne sera pas facile, comme en témoignent les récentes déclarations de l’ancien ministre socialiste des Affaires sociales Elisabeth Guigou pour qui l’urgent serait de sauver... le traité constitutionnel ou encore les prises de position de proches de François Hollande parmi lesquels l’ancien premier ministre Pierre Mauroy pour qui un oui au traité constitutionnel préserverait le PS de bien des déboires une fois revenu au pouvoir. Ce raisonnement témoigne d’une logique d’impuissance sur le plan européen et de suspicion à l’égard des femmes et des hommes de gauche qui sont opposés aujourd’hui au traité. N’y voir qu’un calcul électoral et démagogique de la part de ceux qui sont opposés au traité est révélateur de la crise de la culture de débat qui frappe le principal parti de la gauche.
Mais aussi et surtout il est significatif du refus de construire une relation forte entre un parti de gouvernement et le mouvement social .Il n’y a pourtant pas d’exemple dans l’histoire de nos pays ou des acquis ou des conquêtes le soient sans recours à un rapport de forces durable. Sans mouvement social puissant, sans repolitisation des enjeux économiques, sans construction de nouveaux outils de débat et d’action au niveau européen, la logique libérale s’imposera d’elle même. Un non de gauche européen au traité constitutionnel provoquerait certes une crise institutionnelle temporaire mais ce serait surtout le signe d’une rupture, le signe que l’Europe ne peut se construire en sacrifiant l’intérêt général et en en détruisant les principaux outils de protection et d’égalité sociale. Si la construction européenne est un objectif ambitieux et louable, il convient de la poursuivre en y mettant un cadre exigeant. Cela passe au minimum par une renégociation des pouvoirs de la banque centrale européenne, la définition d’une politique commune en matière de répartition de la croissance, l’adoption d’un traité social , la réforme des règles de prises de décision au sein de la communauté.
Mais il est un autre argument qui milite pour un non de gauche à la constitution européenne
Une gouvernance basée sur le droit
Toutes les générations qui sont nées après la seconde guerre ont intégrée l’Europe comme un espace de paix et de développement. Les valeurs universalistes qui ont présidées à sa fondation ont très tôt été interprétées comme une vocation à sinon décider du sort du monde comme le rappelait De Gaulle dés 1959, du moins à y exercer une influence considérable. Et pourtant il n’en est rien. L’Europe puissance est un leurre : des Balkans au Moyen Orient en passant par la crise irakienne elle a surtout montré ses profondes divisions. Seules les manifestations monstres en Europe contre l’intervention américaine en Irak attestent de la naissance timide d’un espace public européen basé sur le droit et la négociation de règles communes en opposition au pouvoir discrétionnaire d’un seul Etat.
Le traité constitutionnel prévoit que toute initiative européenne en matière de défense doit être soumis au feu vert préalable de l’Otan, que l’Otan est l’horizon indépassable de toute politique européenne de sécurité et de défense. Cet élément additionné à la nature atlantiste de la nouvelle commission rend illusoire toute constitution d’une Europe puissance. Au mieux elle la condamne à n’être qu’un « soft power » selon l’expression de Joseph Nye, un gouvernement du verbe. Or l’Europe ne peut se condamner, dans l’intérêt de la stabilité du monde, à l’impuissance. Si l’alliance de l’Atlantique Nord doit perdurer, le lien de subordination doit disparaître.
On le comprend, la question n’est plus de savoir aujourd’hui si les normes communautaires s’imposent sur le droit national : c’est le cas en France depuis 1964 et un fameux arrêt de la cour de justice européenne selon lequel « le droit né du traité ne peut...se voir opposer un texte interne quel qu’il soit ...sans que soit mis en cause la base juridique de la communauté elle-même ». Ce sont les hommes politiques qui ont voulu l’Europe. Les fondateurs l’on fait dans l’intérêt des peuples. Nous en serons les dignes héritiers en nous opposant au traité constitutionnel et en nous mobilisant contre le libéralisme qui la dévoie.
Pierre Henry est animateur de Pour une République Sociale Paris.
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