LA SURPRENANTE « ORDINARITE » DES « GRANDS HOMMES »
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Lors de la campagne référendaire concernant le projet de traité constitutionnel, j’ai noté qu’une liste de signataires scientifiques avait été largement diffusée. Elle ne regroupait que des personnalités de renom, connues au niveau international et faisant incontestablement autorité dans leur domaine.
Les hasards de la vie ont fait que je connaissais personnellement plusieurs d’entre eux. Je me suis donc interrogé si leur jugement était plus sûr que le mien, que celui de ma mère, femme de ménage, de mon ami éboueur avec lequel je prenais mon café chaque matin rue Mouffetard. Ces grands hommes (ne voyez aucune ironie dans cette qualification) ont un trait commun : ils ont bâti leur vie autour d’une passion, leur travail en général. Ils ont atteint une maîtrise de leur Art tout à fait étourdissante. Cependant, même dans leur domaine d’expertise, on peut déceler des errances lorsqu’ils se livrent à des supputations pour l’avenir. Ils ne sont pas à l’abri du « non-voir », c’est à dire d’écarter des éléments de réalité qui gênent ou obscurcissent leurs desseins propres. Il est toutefois certain, qu’ils ont acquis, par leur naissance ou leur travail, qui peut le dire, un esprit de synthèse et d’analyse les distinguant de la norme. Celui-ci leur permet d’accéder au stade le plus élevé de la connaissance, celui où le doute règne en maître. Après bien des efforts pour comprendre, pour créer, arrive inévitablement le temps où les certitudes disparaissent. Ils expriment souvent, pas tous et pas toujours, et jamais en public, cette vision de l’immense complexité du réel qui conduit à un abandon des idées toutes faites, du « prêt à penser ». Ces artistes ne peuvent que faire avancer leur propre art, en espérant que celui-ci sera partagé par d’autres, en espérant qu’il sera utile au plus grand nombre. Mais de « vérités », point !
Les grands hommes s’expriment également sur des sujets n’ayant qu’un lien lointain, voire aucune relation, avec leur Art. Je me souviens de cette indignation d’un ancien président de la SNECMA qui relatait les débats se tenant au conseil d’administration de cette entreprise publique. Il dénonçait « la nullité, il faut le dire, des fonctionnaires de passage qui représentent le capital de l’Etat : ils n’y connaissent rien ..., ce n’est pas de leur faute si l’ENA ne connaît pas grand-chose aux moteurs ». De la même façon, la maîtrise des subtilités de la mécanique quantique ne prépare pas directement à traiter les problèmes d’intérêt général. Ceci devrait être le domaine du politique et des citoyens, mais est-ce encore vraiment le cas ? Pour ne prendre qu’un exemple, il n’est pas rare que de simples citoyens soient mieux au fait des problèmes ou des solutions apportés par les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) que tel scientifique professionnel tenté de ne pas résister à des contraintes financières sévères (la vie de son monde : son laboratoire, la future carrière de ses étudiants...). Lorsque le scientifique est hors du champ d’activité des OGM, il me semble que ses connaissances ne dépassent guère, à moins qu’il ait étudié correctement le dossier, celles que l’on peut trouver dans des journaux même « populaires » : par manque d’un réel intérêt souvent, par manque de temps presque toujours.
Ce sont les raisons pour lesquelles il faut accepter l’ « ordinarité » des grands hommes, ce qui n’est pas une raison de ne pas les admirer. La race des seigneurs n’existe pas même si certains font d’immenses efforts pour se créer un tissu de connaissances et de références. La démocratie, c’est à dire, faut-il encore le rappeler, le gouvernement de tous par tous et pour tous, dans laquelle par son talent, son bon sens, son humeur, son vécu, chaque citoyen contribue modestement, mais d’une façon décisive, à la bonne marche de notre société, reste « la » référence.
Encore faut-il se garder des manipulateurs d’opinion, des provocateurs, des démagogues, nous en sommes bien loin actuellement. Les formes dites modernes de communication (et surtout « l’odieux visuel* ») prennent une part sans cesse grandissante dans le formatage des individus.
* Emprunt à Michel Polac
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