Ségolène : 30 ans après, Jean Daniel se souvient...
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Ce qui suit est un scoop. Nous avons pu nous procurer, par des moyens que nous nous refusons à avouer, le tome 325 de l’édition monumentale des chroniques et souvenirs de Jean Daniel, paru en 2036, date à laquelle ce géant de la presse française est toujours aux commandes du Nouvel Observateur. En voici un extrait, celui où il évoque la période actuelle.
A la fin de 2005, j’avais constaté, avec quelques amis, que le Parti Socialiste était fort mal en point. Malgré mes conseils, Jacques Chirac avait voulu un référendum sur l’Europe. Je l’avais pourtant mis en garde, car sur un tel sujet, le peuple, peu à même d’en comprendre la complexité, pouvait céder aux sirènes populistes. La suite m’a hélas donné raison. Pour réparer les dégâts causés par ce séisme, et afin de mettre fin aux conflits d’ambitions au sein du parti socialiste, je fus pressé d’intervenir. Lors de mes nombreux entretiens avec François Mitterrand, qui avait la faiblesse d’être friand de mes conseils, j’avais remarqué quelques uns de ses jeunes collaborateurs, parmi lesquels Ségolène Royal, dont je suivis, comme je le fis avec tant d’autres, la carrière, lui donnant parfois le coup de pouce nécessaire. Je la décidai par exemple à défier Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre et bien oublié depuis, dans son fief régional. Ni elle ni moi n’eûmes à le regretter. Je fus alors favorablement impressionné par deux choses : sa terrible détermination, d’une part, et sa compréhension qu’il convenait d’accompagner la gauche vers une compatibilité toujours plus étroite avec la marche et le marché du monde, une mondialisation créatrice au final de richesses pour tous, ou presque tous, ne barguignons pas, malgré quelques très regrettables incidents de parcours, des injustices que je m’époumonais alors à dénoncer. Bref, quelqu’un en mesure de tenir tête au néobolchevisme qu’incarnait alors Laurent Fabius.
J’avais eu l’occasion d’évoquer avec elle une de mes grandes idées : pourquoi pas une présidente pour la France. J’en fis état également à son compagnon, qui entra en fureur : il ne voulait pas entendre parler d’une candidature de Martine Aubry, la fille de mon fidèle ami Jacques Delors, à qui j’avais inspiré quelques unes de ses plus importantes initiatives européennes. Lorsque je dissipai la méprise en dévoilant le nom de sa compagne, ce fut pire encore, pour des raisons que, trente années plus tard, je n’élucide toujours pas. Peut-être après tout l’avais-je froissé, bien que ce ne fût pas mon intention et que j’y eusse mis toute la délicatesse dont ceux qui me connaissent savent que je suis capable. Peu de temps après, c’était à La Rochelle, je crois, je m’en ouvris auprès de Michel Rocard, que je retrouvai au port tandis qu’il démêlait les filins de son bateau. Après lui avoir indiqué comment faire, vieux souvenir de mon enfance algéroise, ensoleillée et maritime, je lui glissai quelques mots au sujet de Ségolène. J’estimai que notre longue amitié nous permettait toutes les franchises, à moi naturellement, à lui qui me devait tant. Je vis pourtant son visage, déjà hâlé par l’air de l’Atlantique, encore tonique à cette époque, se rembrunir davantage. Je sentis que la blessure de son ambition présidentielle malheureusement avortée, à cause d’erreurs commises par cette généreuse nature, emportée au point de négliger certains de mes avis qui lui eussent ouvert les portes élyséennes, ne s’était pas encore refermée.
Ces réticences ne me découragèrent pas et je décidai de mettre dans la balance tout le poids de mon hebdomadaire, qui dominait alors, et peut-être encore maintenant, quoique la modestie m’engage à n’en rien faire paraître, la pensée politique française, non pas seulement grâce à moi, humble serviteur des grandes causes, mais aussi grâce aux talents des collaborateurs que j’avais su réunir autour de moi.
Je me souviens, entre autres choses, avoir appelé au téléphone Michelle Bachelet, qui était candidate à la présidence du Chili, et dont j’avais connu le père, un général loyaliste, lorsque j’étais devenu le confident de mon ami Salvador Allende. Je lui soumis l’idée d’un voyage de Ségolène pour soutenir sa candidature. Michelle, que j’avais connue encore enfant, parut surprise : quelle drôle d’idée, s’écria-t-elle en espagnol, langue que je manie avec aisance depuis mon enfance algéroise ensoleillée et maritime. Elle consentit toutefois. Ségolène fut présentée au Chili comme la future candidate de la gauche en France. La suite, vous la connaissez : Michelle fut élue, comme j’en avais l’intuition. Quant à Ségolène...
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