Il faut sans doute préciser d’où je vous parle : je viens de terminer une longue carrière d’enseignant, la première moitié en lycée et collège, la seconde dans l’enseignement technique (apprentissage premier et formation continue). Quand on est tombé dans la pédagogie par vocation, on y reste (même à la retraite !). Imaginez-vous que, lors de vos premiers effets d’annonce (apprentissage à 14 ans, méthode de lecture...), j’avais l’intention, par simple jeu, de vous adresser l’idée d’autres initiatives farfelues, au cas où vous en manqueriez. La réalité dépassant la fiction, vous m’avez devancé, sans rire, rejoignant mes imaginations ludiques les plus « abracadabrantesques » !

Enumérons. L’apprentissage à 14 ans, qui nous fait régresser jusqu’avant la réforme Bertoin de 1959, et prouvant que l’on ne comprend rien ni aux élèves en difficulté ni à l’apprentissage. Zola, réveille-toi ! La fin du Collège Unique, par voie de conséquence, nous faisant régresser de 30 ans ... seulement (1972), au lieu d’étudier les moyens pour le rendre efficace. Le retour à la méthode syllabique et la condamnation virulente d’une mythique méthode dite « globale », vieux débat, réglé par nos meilleurs chercheurs (les vrais !) en pédagogie depuis plus de trente ans ! Le démantèlement des Z.EP., géniale invention de plus de quinze ans (1989) et ayant fait ses preuves dans les rares endroits où la promesse des moyens a été tenue. La dérogation de la carte scolaire pour les élèves justement sauvés par ces Z.E.P., « ghettoïsant » encore davantage les plus en difficulté devant y rester ! La suppression continue de postes d’enseignants et d’encadrement à hauteur de -30% en faisant mine de s’étonner des dégâts subséquents. L’allègement des programmes vers un SMIC cognitif (si « tout le monde ne peut pas comprendre Verlaine », cela autorise-t-il à en priver ceux et celles qui en auraient l’envie - cf. votre citation dans Libération du 18 février 2006 et. le film L’Esquive). Le retour à la bivalence des profs PEGC (c’est surtout la formation première et continue des enseignants qui était à poser au préalable. La note de « Vie Scolaire » intégrée dans la moyenne générale : comment accepter l’hérésie anti-pédagogique de mélanger dans une même moyenne ces appréciations de natures différentes. Le retour aux punitions collectives en flagrante opposition au droit pénal français (toute sanction y devant être individuelle et motivée). Bonjour, l’éducation civique ! La stigmatisation et la pénalisation des parents d’enfants à problèmes, sans étude sociale préalable et en tenant de plus en plus à l’écart des décisions les associations de parents. Tout le monde sait que, massivement, les élèves en difficultés sont les enfants de parents eux-mêmes en difficultés. Et enfin, cerise surréaliste sur le gâteau, l’invention de policiers référents dans les établissements (mesure « made in USA »). Quand on sait par un nombre incalculable d’études de sociologues, de travailleurs sociaux, de chercheurs au CNRS (quand ils ne sont pas censurés !) que le face-à-face des jeunes et des policiers est un facteur générateur d’affrontements, de violences, de dérapages (les banlieues de novembre 2006 ne nous auraient-elles rien appris ?).

Comme « avancées », ça en deviendrait presque amusant si ce n’était si grave ! J’en suis là du listage de vos « géniaux travaux », Monsieur. Hercule avait fait mieux. Vous confessez dans Libération déjà cité : « Je suis arrivé dans un ministère sans être spécialiste » : ça se voit ! Et encore : « Il m’indiffère de laisser mon nom à une grande loi d’orientation ». Et là, dans votre intérêt, je fais le même vœu pour vous.

Avouez clairement que, sur ordre, la règle d’or est : Faire des économies ; en règle d’argent peut-être : discréditer l’institution et la soumettre aux lois du marché, tout cela étant déjà bien cadré pour Monsieur Fillon. Car, en relisant toutes ces régressions ahurissantes sur les purs domaines éducatif et pédagogique, je ne peux conclure que par cette appréciation bien connue, mais qui cesse, ici, d’être banale : « Peut mieux faire ! » Avec l’expression de ma viscérale désolation et, cependant, en esprit de « Service ».