DANSONS AVEC LES BLEUS
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Je n’ai jamais été certain que la France fut naturellement douce à la diversité, pas plus celle de mon enfance et des lendemains de guerre d’Algérie et de décolonisation que celle des trente piteuses qui s’achèvent, pas plus celle des pogroms anti italiens de la France du 19ème siècle que celle des crimes anti maghrébins de la fin du vingtième.
Notre histoire est faite de tumultes, de vacarmes, de bruit des armes, de la colère du peuple, des frottements et des contradictions d’identité.
Par le truchement d’un jeu mondialisé, voilà huit ans que la symbolique d’une équipe black, blanc, beur, figure inversée de la France du 21ème siècle exaspère les fantasmes d’une nation qui peine à définir une communauté de destin et à se rassembler autour d’un projet commun.
Le football, jeu populaire pratiqué par le peuple, récupéré par les marchands peut-il autant ? Les jeux du cirque auraient-ils ce pouvoir de transcender la tyrannie du temps de la construction de l’histoire et de sublimer les contradictions sociales ?
Comme beaucoup, en 1998, dansant avec les bleus, j’ai espéré en la promesse d’un modèle républicain, mondialisé, labellisé des couleurs de la France, d’un pays qui s’accepte dans sa diversité et dont les graines avaient été jetées sur le gazon des stades avec l’étonnement de Thuram, les arabesques de Zidane, l’entêtement de Deschamps et de Jacquet. Un cocktail bien Français en somme ! Une promesse d’autant de ponts et de liens construits pour faire vivre la trilogie inscrite sur les frontons des écoles.
En fait de ponts ce furent des îles où chacun s’enferma, certaines décisions publiques y incitaient, avec son héros en fonction de sa proximité ethnique supposée - les beurs avec Zizou, les blacks avec Viera et Makelélé, les Domien avec Henry et les nostalgiques et xénophobes avec Le Pen. Quelques années plus tard, le monde découvre la France qui brûle, une partie des bannis de la République ayant décliné une autre façon de mettre le feu, cette fois hors des stades, à la maison commune ! Un ministre d’Etat théorisa la kärcherisation de la France des cités et entrepris de la diviser en petits morceaux : France blanche contre France black et beur, France catholique contre France musulmane, France des prédicateurs contre France laïque.
Mais voilà, une coupe du monde plus loin, les mêmes acteurs ou presque, les mêmes chansons, les mêmes rêves, voilà que resurgit le possible d’une unité retrouvée autour du drapeau tricolore et d’une communauté de destin. Vivre ensemble ! Oui bien sûr, mais pour quel projet ? Parce que cette fois l’empressement de nos gouvernants à sacraliser un geste de débordement, de violence pure et au motif somme toute assez primitif, produit par l’icône du peuple, Z Z, semble à la mesure de leur désarroi et de leur peur. Victoire ou défaite, peu importe, il y a d’abord l’honneur dit le demi-dieu ! Tu as raison, répond en cœur la foule, plèbe et patriciens mêlés. Que cela sent la révolte !
Parce que la fête terminée, le symbole est nu. Partout les minorités visibles réclament leur du, se concurrence dans l’évocation de leur souffrances et l’élaboration de leur revendications. L’incapacité à dessiner un projet commun pour la France se mesure à cet endroit exact ou la juste lutte contre les discriminations, contre le racisme, le sexisme, les inégalités sociales se perd dans le communautarisme et le libéralisme les deux hydres destructeurs de l’idéal Républicain.
Oui, dansons avec les bleus, couleur du tiers-état, et continuons à réclamer l’égalité de chacun devant la loi, l’abolition des abus de justice, le droit de tous à vivre dans la dignité. C’est de ces luttes qu’est née notre République ! C’est à partir d’elles que nous pouvons la refonder !
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