TRIBUNE LIBRE : LA REFORME DES RETRAITES DE LA SNCF : UN MAUVAIS PROCES, UNE VRAIE MANIPULATION
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La volonté de « réformer » les régimes spéciaux de retraite (notamment celui de la SNCF) n’est pas nouvelle. Que ce soit en 1953, en 1986, en 1993, en 1995 ou en 2003, des politiques (de droite ou de gauche) n’ont pas hésiter à désigner comme « progrès » leurs propositions visant (forcément) à réaliser « l’équité » entre citoyens. Mais « l’équité » libérale n’est pas l’égalité républicaine. Il s’agit même du contraire. C’est aussi l’utilisation d’un langage qui veut faire passer comme « progrès » le changement quel qu’il soit quand bien même ce qu’il faut conserver est bien meilleur. Mettre en avant les 37,5 annuités pour tous, l’âge de départ à la retraite à 50, 55 ou 60 ans serait du « conservatisme », des « privilèges » presque « réactionnaire » contre la « modernité ».
Seulement voilà, nos thuriféraires du « mouvement » et du « changement » qui considère le libéralisme et plus généralement l’économie comme horizon politique indépassable nous trompent, se contredisent, mentent et manipulent. C’est cette stratégie politique de prise et de contrôle du pouvoir qui réduit les partis politiques en appareils électoraux, encouragent la désaffection des citoyens pour la démocratie représentative et provoquent les réactions populaires (tel le refus du projet de traité constitutionnel européen en France le 29 mai 2005) que l’on connaît.
Pourquoi un régime spécial de retraite cheminot ?
L’existence d’un régime spécifique cheminot se justifie par les spécificités des tâches, les contraintes de continuité de service public et les responsabilités liées à la sécurité des circulations. Cela peut sembler assez abstrait pour le citoyen lambda mais signifie que lors de l’embauche à la SNCF, le contrat de travail prévoit une disposition permanente du futur cheminot à l’entreprise publique et à son réseau. C’est cela la « continuité du service public ». C’est aussi pour cela que le cheminot ne demande pas un congé payé mais une « demande d’autorisation d’absence ». Si la sauvegarde de l’emploi est précisé, la révocation (licenciement) est possible (une dizaine par an).
Pour être embauché au « statut » cheminot (cadre permanent) et bénéficier des conditions spécifiques pour la retraite, il faut respecter une condition d’âge parfaitement logique :être âgé de 30 ans maximum (possibilité de rentrer plus tard avec le décompte d’un enfant par an, soit 31eme anniversaire si un enfant, etc....) car la réglementation des retraites prévoit la possibilité pour l’entreprise et/ou pour l’agent de demander sa mise à la retraite à l’âge de 50 ans pour les conducteurs (sous la condition essentielle d’avoir au minimum 15 ans de conduite réelle) et 55 ans pour les autres agents, et de compter au minimum 25 ans de service (pour obtention d’une retraite classique).Il ne s’agit en aucun cas d’une discrimination par l’âge mais le souci que l’agent et l’entreprise cotisent suffisamment pour la retraite normale. Bien entendu, l’embauche de personnel au-delà de cet âge est possible mais dans les conditions du régime général (agents contractuels).
Côté taux de cotisations, les différences entre le régime général et le régime spécial de la SNCF sont très importantes. Pour les non cadres SNCF, Salarié : 7,85%, Employeur : 28,44% (Total = 36,29%), pour le Régime Général, Salarié : 6,65%, Employeur : 8,30% (Total = 14,95%)
Une démographie défavorable...
La démographie est la première raison et la raison essentielle du déséquilibre du régime. Observons l’évolution des effectifs (au 31 décembre 2005) : 166 951 cotisants (agents actifs) (440 750 agents en 1949 chiffre maximum), 189 925 pensionnés de droit direct (270 368 en 1969 chiffre maximum), 115 726 pensions de réversion (160 889 en 1969), soit un rapport de cotisant/ (Retraités+reversions) = 0,67 Il faut noter l’importance de la baisse des effectifs et du nombre de veuves, la population active cheminote étant masculine à près de 84% !
Un mode de calcul différent...
Des différences existent sur le mode de calcul. Les pensions du secteur privé sont calculées sur le salaire intégral alors qu’elles le sont à hauteur d’environ 88% pour les cheminots.Toutefois, le calcul s’effectue sur les six derniers mois pour les cheminots contre les 25 meilleures années pour le secteur privé depuis les contre-réformes Balladur et Fillon. Les acquis importants des cheminots semblent être l’âge du départ à la retraite fixé à 50 ans pour les agents de conduite et 55 ans pour les autres agents. Cet âge est en réalité le seul acquis qui est payé par les cheminots eux-mêmes. Car le cheminot cotise plus (cf.chiffres) et quitte l’entreprise avec une pension égale à 65%-72% de sa dernière rémunération contre un montant équivalent à 78%-86% dans le régime général (pour une même durée d’activité professionnelle !
Une pension maximale théorique impossible à atteindre !
Ajoutons qu’il est impossible pour un cheminot d’atteindre 37,5 annuités (soit une retraite dite « pleine et entière ») puisqu’il ne peut cotiser qu’à partir de l’âge de 18 ans (soit 37 annuités maximum). Quand au minimum de pension (environ 930 euros net mensuels), près de 14% des pensionnés le perçoivent et ce minimum est inférieur de près de 16% par rapport au SMIC . Ajoutons que près de 62% des pensionnés perçoivent moins de 1500 euros brut mensuels. En bref, les cheminots partent plus tôt en retraite mais leurs pensions sont réellement plus faibles que dans le régime général.
Régime général - Régime spécial SNCF : une inégalité au détriment des ... cheminots !
En application de son Règlement de retraites, la SNCF est tenue d’assurer elle-même le paiement des pensions de ses anciens agents et de leurs ayants droits. Il n’en va pas de même pour le secteur privé. Les entreprises ne participent aux charges de retraites de leur ancien personnel que par des cotisations calculées d’après le nombre des salariés en activité et le niveau des rémunérations, tandis qu’une péréquation automatique des charges est opérée au plan national à l’intérieur des organismes interprofessionnels effectuant le versement des pensions (régime général sécurité sociale et régimes complémentaires). La SNCF est donc placée, vis-à-vis des entreprises privées, dans une situation d’inégalité. C’est pourquoi la démographie cheminote (et le rapport actif/retraité et ayant droits) est essentielle. Les pouvoirs publics ont apporté un correctif à ce déséquilibre démographique sur la base de la différence entre la charge supportée par la SNCF et celle qui aurait dû être la sienne si elle avait été soumise au régime général, les avantages « supplémentaires » restant à la charge unique de la SNCF. La différence des taux de cotisations et la contribution d’équilibre du régime (article 30 du cahier des charges de 1983) ne sont donc pas des « cadeaux » ou des « privilèges » !
L’avenir du régime spécial SNCF ?
Que ce soit l’assemblée nationale, la caisse de retraites de la SNCF, le Conseil d’Orientation des Retraites, tous reconnaissent que le régime spécial de la SNCF sera équilibré à horizon 2020 pour des raisons démographiques (importante baisse de la population des pensionnés, baisse modérée de la population active due à la nécessité de renouveler les effectifs même malgré une politique de réduction d’effectifs). Confronté à Hervé Novelli, député UMP, le 12 septembre dernier sur Europe 1, je n’ai pas hésité à lui indiquer que lui-même reconnaissait l’équilibre pour 2020 dans son rapport à l’assemblée nationale. Le parlementaire ultra-libéral a été particulièrement honnête et démagogique à la fois. Pour lui, il s’agit dès 2008 de placer tous les régimes spéciaux sur la règle de calcul des 40 annuités puis d’envisager une évolution au-delà ensuite. Cela signifie une baisse importante des pensions déjà faibles des cheminots et une autoroute vers la paupérisation. Côté non-dit, il semble évident qu’il s’agit aussi de réduire la force de mobilisation que constituent les cheminots actifs et retraités qui ont été souvent une véritable locomotive des luttes sociales en France. Les cheminots ne veulent pas seulement conserver ce qu’ils ont obtenu par leurs luttes syndicales mais aussi que les autres salariés obtiennent et gagner plus encore. Ils ne croient pas plus à la « fin de l’Histoire » qu’à la « fin du progrès social » surtout devant l’explosion des profits, de la richesse produite en France et en Europe et à titre d’anecdote de la formidable augmentation des rémunérations comme des stock-options des plus gros patrons. Ainsi le premier parti conservateur de France (l’UMP) entretient la confusion entre l’intérêt général et le dogme libéral qui le guide. Dès lors, ne soyons pas étonné de mieux comprendre le slogan de Sarkozy lorsque nous le lisons à l’envers. Ce n’est pas « la France d’après ! » c’est « après la France ! » qu’il faut décrypter. Car avec Sarkozy et son parti godillot, c’en sera bientôt fini de la France républicaine, celle de la république sociale, des services publics, de l’indépendance (cf. sa visite à Bush et sa critique de son pays par ses propos sur « l’arrogance française »), de la laïcité (place au communautarisme, cf. ses amitiés pour la scientologie, l’échec du C.F.C.M., etc.) du progrès et de la fraternité. Pour tout cela aussi, il faut défendre les régimes spéciaux. Les défendre c’est aussi promouvoir une certaine idée des services publics et une certaine idée de la République.
Rémi Aufrère est Conseiller Municipal de Le Cendre et administrateur d’organisme social national
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