MEMOIRES DE LA GAUCHE UNITAIRE : CHAPITRE 4 : LE NON AU TCE
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Dès les premiers échos, publics ou « fuités » des travaux de la « convention » réunie sous la houlette de Valéry Giscard d’Estaing, et composée de façon fort peu démocratique, des voix s’élevèrent à gauche pour s’opposer au projet de traité constitutionnel européen (TCE) qui s’échafaudait. On se le rappelle, ce projet avait été quelques mois plutôt l’une des causes de l’éclatement de l’appel « Ramuleau ». Parmi les opposants de gauche, on retrouvait en gros les organisations qui avaient fait campagne pour le Non au traité de Maastricht, à l’exception notable de la majorité des Verts.
Mais contrairement à ce qui s’était passé lors du référendum concernant le traité de Maastricht, l’opposition au TCE allait être l’occasion de la constitution d’un front autrement plus soudé.
A l origine de ce front, plusieurs initiatives, dont deux furent déterminantes : un texte d’ATTAC, très argumenté et appelant à un front commun, et un Appel, dit « Appel des 200 », lancé notamment par les animateurs de la Fondation Copernic, et où on retrouvait la signature de maints anciens « ramulistes ».
A l’automne 2004, une réunion au siège d’ATTAC réunit un large éventail de la « gauche de gauche » : des partis (parti communiste, LCR, Mars, Gauche républicaine, Parti des travailleurs, Alternative Citoyenne...), des associations (ATTAC bien sur, Copernic, Cactus, AC ...), des syndicats (Solidaires, Confédération paysanne...). A cette auguste assemblée, il fallait un gag pour développer la convivialité. Un petit homme muni d’une serviette, apparemment inconnu de la tablée, s’en acquitta. Sortant avec soin de sa serviette un document qui semblait précieux, il en entreprit la lecture - opportunément courte - en début de séance : l’aréopage apprit ainsi que si Lutte Ouvrière allait faire campagne contre le TCE, elle le ferait seule (et donc, fallait-il sans doute comprendre, sans tache). Le petit homme disparut aussi discrètement qu’il était apparu, et l’assemblée se mit d’accord sur le principe d’un texte commun.
L’adoption du dit texte donna lieu à une nouvelle réunion des mêmes, sans le petit homme, quelques jours plus tard. L’habitude du gag semblait pourtant être prise, et c’est le Parti des Travailleurs qui se coltina le relais, en nettement plus épuisant. Le PT voulait bien signer le texte, quoique très droitier pour lui, mais en échange, l’accompagner d’une annexe, qui en prenait en partie le contre-pied. Il fallut une bonne heure pour arriver à un compromis baroque : chaque organisation diffuserait le même texte, mais accompagné ou non d’une annexe de son choix, et surtout le même jour à la même heure. L’union est décidément un combat. De ces réunions que l’on peut considérer comme préliminaires, sortira un « collectif national », dans lequel ATTAC, quoique représenté, en général par Christophe Ventura et parfois par Jacques Nikonoff, jouera un moindre rôle, préférant développer une campagne autonome, qui fut cela dit active.
Le collectif national prit ses habitudes, quasi hebdomadaires, au siège du parti communiste. On ne revit plus le Parti des travailleurs, mais le club de Jean-Luc Mélenchon, Pour la république Sociale (PRS), en devint une composante active. Le Parti Communiste Ouvrier de France, héritier du maoïsme français fut aussi de la partie, ainsi que le MRC de Jean-Pierre Chevènement, qui se cantonna dans un rôle d’observateur prudent tenu généralement par Lucien Jallamion, muet de service multipliant les mines convenues de celui qui n’en pense pas moins.
Il ne faudrait pas que le ton parfois badin qui nous échappe (de façon contrôlée) fasse oublier deux points importants : le réel travail de coordination effectué par le collectif national et surtout la prolifération sur le terrain de collectifs locaux, où se rencontrèrent des militants des différentes organisations parties prenantes, mais aussi nombre de citoyens qui ne s’étaient jamais engagés dans une action politique et, plus nombreux encore, beaucoup d’ « ex » de quelque chose, revenant à l’action.
Les collectifs locaux organisèrent des centaines de rencontres, les organisations politiques multiplièrent les initiatives, ensemble ou séparément. Des interventions originales furent mises sur pied. Par exemple, les « ateliers de lecture » de PRS, où les animateurs, texte en main, dialoguaient avec les participants dans une véritable action d’éducation populaire. Ou encore les « Jeudi Non » à l’initiative du Cactus et de Résistance 7e Art, qui organisaient chaque jeudi à l’Espace Saint-Michel à Paris des débats avec projection de films (et pot « convivial »), qui reçurent, entre autres intervenants, Clémentine Autain, Etienne Chouard, Dominique Rousseau, Christiane Taubira... De grands rassemblements, culminant à celui de la place de la République à Paris, furent organisés, des actions de porte à porte conduites localement.
Des militants issus de traditions et de cultures politiques différentes, voire parfois historiquement opposées, apprirent à travailler ensemble. Les membres du collectif national et les responsables des organisations engagées dans le processus multiplièrent les déplacements sur tout le territoire, souvent de façon unitaire.
Le parti communiste, qui fut le principal financeur des actions d’importance (mais chacun versa un écot au prorata de ses moyens, sauf quelques radins que nous ne citerons que si vous insistez vraiment) était le seul parti de gauche engagé pour le Non admis à bénéficier d’un temps de parole dans la campagne télévisée. Il décida de le partager avec les autres organisations politiques, évènement sans précédent dans une campagne politique.
Lé résultat est connu ; le 29 mai 2005, le Non l’emporta haut la main, alors même que deux mois avant le scrutin, la victoire du Oui, défendu par l’UMP, le PS, l’UDF, les Verts, le PRG, le MEDEF et, en sous-main, par certaines centrales syndicales (la CGT, FO et Solidaires faisant exception)
Les analyses des instituts de sondages convergeaient : sur 55% de suffrages exprimés pour le Non, 35% venaient de la gauche, y compris de l’électorat socialiste ou Vert. Les directions de ces partis encaissaient le coup. Et les membres du collectif national, comme ceux des collectifs locaux, commencèrent à se poser la question : comment traduire politiquement ce résultat ? Dans l’ensemble de la gauche, le Non était majoritaire. Le Non avait été porté par le refus du libéralisme débridé que le TCE tentait d’imposer à l’Europe. Logiquement, l’alternative franche au libéralisme devenait majoritaire à gauche. Mais la politique suit-elle toujours la logique ?
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