LE GRENELLE DE L’EMMERDEMENT
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Ils s’y collent enfin ? Ils vont prendre à bras-le-corps la question écologique trop longtemps tenue dans l’ornière ? le nouveau monarque hexagonal et son principal lieutenant du moment en la matière ont décidé de la tenue d’un « Grenelle de l’environnement » dès l’automne prochain. Ce Grenelle-là, dont le but subsidiaire est aussi d’effacer définitivement la mémoire du premier, pourrait permettre de soulever maints problèmes posés par la profonde dégradation de l’environnement dans lequel vivent les hommes. Une première rencontre fortement médiatisée s’est rapidement tenue à l’Élysée où neuf ONG du secteur ont pu apprécier la détermination des nouveaux guerriers soudainement touchés par la grâce de la vérité révélée. La planète ne peut plus attendre que l’on vienne à son secours.
Il conviendrait de prendre la chose avec le plus grand sérieux. Pourtant, on ne peut s’empêcher d’ironiser, voire de dénigrer franchement. C’est Nicolas Hulot qui, dit-on, a dressé le plan de table du premier round après avoir soufflé à Alain Juppé, un temps ministre de l’écologie, le nom des neuf heureux lauréats. À défaut d’être le plus offensif sur la question, l’homme aux multiples sponsors mercantiles, gagnés eux aussi récemment par le virus du « développement durable », a le grand mérite d’être identifié par l’opinion comme le sauveteur patenté sur le théâtre du naufrage écologique annoncé. Alain Juppé qui est revenu de tout, des affaires, du Québec, de la Croissance sans conscience - du moins le proclame-t-il - avait néanmoins besoin d’une caution morale de cette nature pour mener à bien l’incommensurable chantier que le Président de la République semble vouloir ouvrir.
Si le nouveau pouvoir a besoin de caution vis-à-vis d’une opinion publique susceptible de douter de sa soudaine volonté d’affronter enfin la question écologique, il entend être totalement maître du jeu. Maître du calendrier, au risque de se voir reprocher de confondre la vitesse qu’impose l’urgence du problème à traiter avec la précipitation que guident des arrière-pensées politiciennes. Maître du champ de compétence du Grenelle en excluant d’emblée du débat et des négociations à venir le dossier de l’énergie nucléaire. Nicolas Sarkozy a tout de suite proclamé qu’il ne saurait être question de remettre en cause les avancées du progrès technologique. À une époque où la pensée et les pratiques sont de plus en plus soumises à l’idée que la Science et la Technique vont demain résoudre tous les problèmes des hommes, cette affirmation préliminaire et péremptoire donne singulièrement le ton des discussions qui s’engagent.
Le tandem temporairement formé était tellement maître du jeu qu’il s’est permis de renier sa parole. Il avait été promis que la France ne prendrait aucune déci1)sion touchant à l’environnement tant que le Grenelle ne se serait pas tenu. Moins d’un mois après cette aventureuse promesse Christine Lagarde, la ministre de l’Agriculture du gouvernement Fillon, votait pour la nouvelle réglementation de l’agriculture biologique lors du Conseil des ministres européens du 12 juin dernier. Ainsi, les OGM font leur entrée dans le « bio » puisque leur présence jusqu’à hauteur de 0,9% ne remettra plus en cause désormais l’appellation « bio ». En guise d’excuse, Mme Lagarde et M. Juppé ont mis en scène médiatique un désaccord supposé sur cette question. Qu’importe ! Le mal est fait et « l’agriculture raisonnée » puissamment promue et soutenue par les industriels de la chimie se voit offrir là un boulevard des plus profitable économiquement. L’écologie attendra.
Nicolas Hulot n’a rien eu à objecter à cette minable trahison. Il tient à ne pas écorner son profil de majordome des cérémonies environnementalistes conçues par ceux qui entendent bien ne pas entamer la puissance des firmes, à commencer par celles de l’agro-bio-business. Il a choisi son camp. Et cela depuis longtemps. On devine aisément ici en filigrane le discours convenu stipulant que c’est le Marché qui fournira les conditions du développement durable car celui-ci ne saurait advenir contre le Marché. Dans un tel contexte, que peut apporter de décisif le Grenelle de l’environnement ? Probablement peu de choses au regard du défi immense qui est le nôtre. Éventuellement, on ira doucement vers la mise en place d’une économie écologique quand il faudrait rapidement construire l’écologie économique. La différence ? Organiser l’économie en fonction de la priorité enfin donnée à l’écologie. Pour en arriver là il faudra poser la question de l’écologie en termes politiques c’est-à-dire en acceptant la reconnaissance des rapports sociaux dominants/dominés et leur implication décisive dans le saccage des écosystèmes. La fable du « tous dans le même bateau - ou la même galère - ramons à l’unisson » nous condamne à l’immobilisme.
M. Sarkozy a été fort habile. Son initiative met au pied du mur les défenseurs de l’environnement à qui il est difficile de refuser l’invitation sous peine de passer pour des citoyens irresponsables aux yeux d’une opinion abondamment abreuvée d’informations peu critiques par des médias le plus souvent aux mains de groupes financiers et industriels. La place qui sera laissée aux « environnementalistes » dans les mois qui viennent pour qu’ils puissent faire entendre sérieusement leur réflexion sur la profondeur de la crise écologique et sur les solutions qu’ils lui opposent sera des plus mesurée. L’habileté du pouvoir en place est double. En choisissant dès le départ ses interlocuteurs privilégiés et en en laissant d’autres sur la touche, il fissure un peu plus le front de l’écologie. Diviser pour mieux régner, c’est vieux comme le monde. Ce Grenelle de l’environnement est bel et bien un bâton merdeux qui n’avoue pas son nom. On va tout bonnement s’y salir les mains. Espérons que l’on n’y perdra pas sa dignité. Les générations futures déjà nous regardent.
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