REFONDER LA GAUCHE, UN SACRE BOULOT
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La politique a du plomb dans l’aile. L’échec du rassemblement de la gauche de transformation sociale n’y est pas pour rien. Non seulement l’impuissance à rassembler à gauche a eu un effet mortifère sur elle-même, mais en plus il a contribué à rendre encore plus impopulaire ou sans intérêt pour un grand nombre de citoyens le débat et la démarche politiques. Le terrain semble laminé. Il ne reste plus en apparence que le marché (institué comme « démocratie ») et l’élection d’un président-roi, ce que ne saurait démentir que très petitement le vote aux législatives qui a vu les formations favorables à l’Europe du capital l’emporter haut la main et s’inscrire dans un système d’alternance exluant toute perspective de transformation sociale de progrès humain.
Défaite en rase campagne
Qu’on ne s’y trompe pas. La forte participation à l’élection présidentielle n’est pas en soi un signe encourageant d’intérêt pour la politique, encore moins pour la participation dans le champ politique. Ce serait plutôt le contraire. Une façon d’élire un roi, comme cela était dans certains royaumes. Une certaine façon de se « débarrasser » des problèmes particulièrement urgents, en confiant le soin de les résoudre à une personne dotée de larges pouvoirs. Les deux principaux candidats (Royal et Sarkozy) ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés. Leur campagne a été axée sur le slogan simpliste (mais redoutable d’efficacité démagogique) : faites-Moi confiance, Je ferai ceci, Je ferai cela. Ceci était énoncé quelle que soit la question, quel qu’en soit son niveau. Sarkozy montrait sa force, sa détermination, dans un espace politique détérioré. Royal et la majorité du PS s’appuyaient sur le syndrome du 21 avril, sans se démarquer vraiment de la méthode sarkozyenne.
Quant à la gauche en débandade, elle a contribué à renforcer cette démarche : une faute majeure, dont les conséquences sont lourdes. D’abord en échouant pour une candidature unitaire qui contenait la critique de cette institution et son dépassement, ainsi que des propositions solides pour intervenir immédiatement sur les situations les plus difficiles, liées à toutes les précarités, dégager des marges de manœuvre tant sur le plan interne qu’à l’échelle internationale, engager des démarches de participation pour une démocratie politique. Un échec aussi cuisant, alors que la promesse était-là, bien vivante, ne pouvait conduire qu’à une réaction de rejet, à des comportements de fuite ou d’abandon, ce que la participation élevée à l’élection présidentielle et l’apport des voix aux candidatures estimées « utiles » traduisent fort bien.
L’analyse de cet échec reste à faire. Cette analyse est vitale pour espérer remettre correctement le travail sur le métier. Elle ne pourra pas se limiter à constater que le « patriotisme » de parti (à la LCR et au PCF mais pas seulement) a fait capoter la démarche. Il faudra expliquer pourquoi le patriotisme de parti a repris de la vigueur et n’a pu être dépassé, en dépit de l’existence des collectifs. Il faudra se demander dans quelle mesure le fait de se jeter dans cette bataille -comme si elle était la clé des autres batailles électorales- n’a pas encouragé la dispersion (Azincourt, ça ne vous rappelle rien ?). Dans quelle mesure elle a redonné corps au patriotisme de parti qui privilégiait la concurrence entre les différentes forces potentiellement constitutives de l’unité, et qui -de plus- était en concurrence avec la perspective d’une candidature unitaire. La concurrence pendant la campagne présidentielle ne pouvait mener qu’à la quasi-impossibilité de candidatures communes aux législatives.
La défiance qui avait été dissipée en bonne partie est réapparue, chargée d’amertumes, de rancoeurs, de sentiments d’impuissance.
Cet état de fait rend encore plus difficile la nécessaire relance d’une construction de gauche, vraiment de gauche, n’oubliant aucune dimension des problèmes actuels : de la paix à l’écologie, du social à la culture, de l’égalité et de la liberté.
Aujourd’hui, Sarkozy concentre encore plus de pouvoirs dans ses seules mains : il n’y a même plus de domaine réservé ; il est ministre de tout. Il use de toutes les ficelles dont son talent malin et dangereux est doté. Il ressort les vieilles lunes de la droite réactionnaire des années trente, par exemple : « travailler plus pour gagner plus ». Il fait comme s’il était au-dessus des partis (ce qui est probablement vrai : qu’en pense-t-on à l’UMP ?), tout en développant une politique solidement axée à droite. Il est une sorte de Duce, mâtiné de gaullisme, de reaganisme, de bushisme et même de blairisme. Il a compris qu’il fallait agir. Vite. Durement. Avec des accents familiers et populistes.
La gauche avait du pain sur la planche. Elle en a encore plus, alors qu’elle est défaite, éclatée, atone. Le monde associatif, comme le syndicalisme, subissent les contrecoups de cette déconfiture. Un point positif cependant : une telle débâcle aux multiples causes doit produire des enseignements, pour repartir sur des bases nouvelles. Sous condition, encore une fois, de faire l’analyse sans concession et sans acrimonie des causes et des obstacles qui ont conduit à la déroute, ainsi que des éléments et des batailles qui ont constitué autant d’avancées depuis plus d’une décennie : 1995, Seattle, 29 mai, etc.
De la mondialisation
Cette gauche n’a pas non plus pris avec force la mesure de la dimension internationale des problèmes. Les forums sociaux (mondiaux et continentaux) dont elle pourrait plus et mieux s’inspirer ne sont, pour l’instant, qu’un point de contestation hétérogène. Ce sont des rassemblements où se côtoient et se neutralisent divers courants. Le spectre des forums est large qui va de l’aménagement de la mondialisation pour en amoindrir les effets dévastateurs à la contestation radicale, ceux qui pensent qu’un autre monde est possible à condition d’engager la lutte contre le capital et toutes les formes de domination, de l’impérialisme au patriarcat.
La bataille contre le projet de traité européen qui visait, pour l’essentiel, à renforcer la domination du capital en la constitutionnalisant dans l’Union européenne, avait toutefois permis d’ouvrir des brèches et d’annoncer de nouvelles possibilités inscrites dans une lutte internationale multidimensionnelle. Le sacro-saint consentement par défaut (l’Europe en construction, c’est l’Europe) a volé en éclats. Le 29 mai est une victoire, une entreprise de dévoilement dont les fruits ne sont pas perdus.
L’analyse doit être approfondie. Les objectifs mieux assurés. Les moyens renforcés. Or, chacun sait que c’est une des faiblesses de la gauche. Au-delà des proclamations pour la paix, pour l’autodétermination des peuples, pour l’égalité et la liberté à travers le monde, la gauche éprouve des difficultés à s’accorder tant sur les questions militaires et de la paix, que sur celles d’un autre « développement ».
Du social : où comment l’idéologie et la démagogie trompent énormément
C’était annoncé. Sarkozy et ses acolytes, plus des (ex ?) socialistes pas mal à l’aise, ne donnent pas dans la dentelle. L’œuvre commencée depuis trois décennies est poursuivie avec vigueur. Des coups de boutoir à la Thatcher. Contre l’université, contre le droit de grève, contre la sécurité sociale, pour ne prendre que ces exemples.
Sur l’Université, bien des choses ont été dites. La confusion volontaire entre autonomie, dont il faudrait définir autrement les objectifs et les moyens, et concurrence est une manière de faire passer une réforme particulièrement dangereuse. Les (grandes) entreprises pourront intervenir jusques et y compris dans les choix d’enseignements et de recherches. Les Universités qui n’auront pas trouvé de financement (de partenaires, c’est-à-dire de soutiens patronaux) n’auront à s’en prendre qu’à elles-mêmes. Ben voyons !
Il en est de même pour le « service minimum » qui n’est pas l’objectif poursuivi. Il y a déjà pas mal de temps que les syndicats ne sont plus opposés à discuter d’un service minimum à assurer durant les grèves. En fait, c’est le droit de grève qui est remis en cause. Ni plus ni moins. De la bonne marche des services publics, à commencer par les transports et l’énergie particulièrement visés, le gouvernement se moque comme d’une guigne. Un peu plus de dégradations, avec impossibilité pour les syndicats de s’y opposer (par la grève), renforcerait le discours fallacieux en faveur de la privatisation. C’est de la perversité.
Quant à la franchise médicale, ce n’est pas mieux, si on peut dire. On demande aux malades, aux consultants de financer la recherche contre le cancer, les soins palliatifs, le plan Alzheimer ! Imbécillité droitière et violence sociale. La politique de réduction des budgets conduit à l’impossibilité accrue de financer la politique sanitaire. Les malades sont requis pour combler les déficits. L’impôt diminue, au profit des mieux lotis. En revanche, il est transféré ailleurs, sur les plus faibles, ici sur les malades, les plus pauvres bien sûr. Il n’y a plus de solidarité. Si vous êtes malade, si vous devez consulter, crachez au bassinet pour financer la recherche médicale !
De l’avenir de la planète
Le dernier G8 a confirmé, sans surprise, qu’il ne fallait rien attendre des puissants (les Etats, les multinationales) pour s’attaquer aux différents problèmes écologiques, sanitaires et environnementaux. La croissance des inégalités et de la pauvreté va de pair avec l’augmentation des risques de catastrophes naturelles et avec la multiplication de conflits violents interétatiques ou « interethniques ». Les trois questions ne peuvent être totalement séparées. La science et la technique ne doivent plus être subordonnées au capital, ni aux ambitions dominatrices des grandes puissances. Vaste programme.
Empêcher la marche infernale du capital est une tâche plus urgente que jamais. Encourager les petites et multiples expériences alternatives est indispensable, mais ne suffira pas. Sinon, elles seront de simples alibis. Il faut sortir de l’économicisme et du scientisme et faire de l’économie et de la science des questions relevant du travail politique (citoyen). La perspective, sans modèle préétabli, est celle de l’alternative sociale et écologique et non celle de l’aménagement du capital. Le droit international, dans son état actuel, en dépit de principes affirmés, ne peut suffire.
De la démocratie
Sortir la politique des carcans institutionnels et de son enfermement idéologique dans la pensée « marchandise » est un impératif. Cet impératif, c’est celui de la démocratie, à tous les niveaux, dans tous les domaines de la vie publique. La démocratie est une affaire complexe. Elle peut être participative à l’échelle locale ou de l’unité de production. Au-delà, il convient de travailler à des combinaisons entre activités à taille humaine et questions qui nécessitent des coordinations, des délégations, des systèmes de navettes. Aux échelles internationale et mondiale, il faut imaginer des formes qui, progressivement, ne laissent pas aux seuls Etats (coupés de leurs peuples et de leurs citoyens) et aux lobbys le soin de régenter le monde.
Après la défaite de la gauche en France, et les compromissions ou incapacités ailleurs (Allemagne, Italie, Grande-Bretagne, pour ne parler que de l’Europe), il est vital relever les questions, leur complexité, leur profondeur, leur étendue. Les rapports de forces, sur quasiment tous les terrains et notamment au plan international, pourraient laisser penser que la tâche est impossible. Elle le serait si on ne prenait pas conscience de la dimension des problèmes et de la puissance des dominants. Des premières tentatives de réflexion et d’inflexion ont déjà été lancées. Il faut poursuivre en évitant le repli chacun sur son pré carré.
Marc Mangenot est membre de la Fondation Copernic
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