LORIENT 1 : DEVOIRS ACCOMPLIS

Par Jean-Michel Dejenne
mardi 4 septembre 2007
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« Devoirs de vacances à Lorient », avait annoncé RLB n°61, donnant rendez-vous à ses lecteurs dans le port breton les 24 et 25 août. Sens inné de la discipline ? Tentation de soulager ma conscience de la trouble culpabilité de n’avoir rien écrit pour le Cactus depuis ... des lustres ? Toujours est-il que j’étais bien présent au rendez-vous lorientais par une soirée ensoleillée (c’est la vérité, je l’affirme) un certain 24 août, à la salle Colbert du Palais des Congrès, et que je vais m’efforcer d’en faire un petit compte-rendu à mes camarades-lecteurs, compte-rendu agrémenté de quelques remarques personnelles afin de dire en une fois ce que j’aurais dû écrire en plusieurs au cours de l’année écoulée.

Trois invités de l’association Vents d’Ouest, organisatrice et « d’obédience communiste », comme on ne dit plus, étaient appelés à s’exprimer dans ce colloque intitulé « De l’inventaire à l’invention » : Jean-Claude Gayssot, « figure historique du PCF » comme l’a présenté l’animateur, Marylise Lebranchu, député PS du Finistère et notamment ancienne Garde des Sceaux, et notre Jean-Luc Gonneau (inter)national, tout à la fois socialiste, communiste et républicain - et bien d’autres choses encore que nous ignorons, sa modestie oblige. Disons-le tout de suite, c’est bien sûr ce dernier qui fut le meilleur, nous faisant honneur à tous. Merci, patron.

Marylise Lebranchu s’est livrée à une analyse assez honnête des difficultés de la gauche, et l’on souhaiterait qu’elle se fasse entendre de la sorte auprès de ses petits (et surtout grands) camarades : « la gauche, depuis 2002, a perdu faute de courage. Elle s’est aussi montrée incapable de gérer la nouvelle ère médiatique. Le courage, c’est de s’exprimer et de se faire entendre face à une droite qui hurle sur les questions de société, et notamment de sécurité. Il faut avoir le courage de résister, même quand on entend de vieux militants ouvriers approuver l’idée que les militaires s’occupent des jeunes déviants ». Elle se démarque donc de Ségolène Royal, de Julien Dray ou de Manuel Valls sur ces questions, et avec une certaine autorité due à ses anciennes fonctions ministérielles, mais pour autant la position de ces « vieux militants ouvriers » devrait l’interpeller plus que la choquer ou la navrer de voir ses référents basculer dans la curée médiatico-sécuritaire. En effet, en voulant tout nuancer, elle en oublie que les classes populaires veulent vivre en sécurité, et que la seule insécurité sociale n’est pas la seule insécurité ; elle paraît assimiler les délinquants au prolétariat, du fait de leur milieu social généralement modeste, alors que nous sommes plutôt face à un Lumpenproletariat (en « classe pour soi »), méprisant profondément le monde du travail, gens sans foi ni loi « ni feu ni lieu » comme l’écrivit Karl Marx.

Ceci ne retire pas le mérite de la députée Lebranchu de s’être opposée à l’intrumentalisation d’une récente affaire de pédophilie et d’avoir blâmé une politique événementielle et émotionnelle, mais il ne faut pas amalgamer les délinquances, et comprendre que tenter de s’opposer à une sévérité policière et judiciaire accrue ne convaincra plus des millions d’électeurs de gauche qui voient de la complaisance là où manque surtout le temps médiatique d’expliquer les ressorts de la déviance et le détail des politiques de prévention et de répression. A titre d’exemple du temps médiatique qui joue contre une gauche qui ne le maîtrise pas comme l’orfèvre Sarkozy, Marylise Lebranchu a cité la politique fiscale, expliquant l’absurde popularité de celle de la droite par le fait que « les gens confondent droits de succession et frais de notaire ».

Elle s’est aussi prononcée « pour la mondialisation par exemple le codéveloppement », déclarant « regretter que le seul économiste qui en ait fait une bonne critique soit Stiglitz ». Là, on est un peu surpris du mélange des notions, puisque le codéveloppement peut exister même sans mondialisation, et que la mondialisation financière doit être combattue pour toutes les raisons exposées par exemple par ATTAC depuis près de dix ans, et aussi parce que c’est l’un des seuls points d’accord assez large dans la gauche française. Quant à la mention de Stiglitz, elle passe injustement sous silence que des dizaines d’économistes, français ou étrangers, ont mené de très bonnes analyses critiques d’un phénomène que les plus barbus d’entre nous estiment avoir connu le grand oncle Vladimir Illich. L’internationalisme prolétarien, plus ambitieux que l’actuel « codéveloppement », était déjà une réponse avancée, après analyse, au capitalisme mondialisé d’il y a plus d’un siècle.

Plus convaincant fut le passage consacré aux « tabous de la gauche, qui sont aujourd’hui ceux de la droite : immigration, sécurité... Il faut s’y attaquer mais aussi aux vrais tabous de la gauche, que sont la Sécurité sociale, le salaire minimum, la fonction publique... Il y a aujourd’hui 3000 fonctionnaires qui s’ennuient au ministère de l’économie et des finances. Quand j’étais ministre de l’artisanat, ces fonctionnaires me demandaient du boulot. Il y a donc vraiment des réformes à faire. On a eu le tort de faire les 35 heures dans la fonction publique deux ans trop tôt. Je me souviens des discussions au ministère de la Justice, où des syndicats de la PJJ demandaient une réduction d’horaires pour des fonctionnaires travaillant alors 32 heures, alors qu’à côté la pénitentiaire croulait sous le travail, situation que la RTT allait aggraver. Autre tabou de gauche : les associations. Si le politique doit confier des missions de service public aux associations, s’il faut promouvoir l’éducation populaire, c’est tout ; à part cela, il ne faut rien faire pour les associations, dans lesquelles - les sportives par exemple - on est aussi individualiste qu’ailleurs. Il faut que la gauche lève aussi les tabous de la droite, comme les PEA, la défiscalisation des riches. Il faut refiscaliser beaucoup de produits : les pauvres y perdront 4 € par an, les riches 300, que l’on récupérera pour le budget de l’Etat. Taxons les capitaux, ils ne partiront pas. Autre sujet de réflexion pour la gauche : le fait que ce sont les zones de travailleurs blancs qui l’ont électoralement quittée ».

Enfin Marylise Lebranchu s’est livrée à quelques remarques au sens politique plus étroit du terme : « Oui, il y a une aile droite au PS » (bon, on s’en était aperçu ; elle visait surtout les « traîtres » qui ont rejoint le gouvernement, mais on a senti que Manuel Valls n’était pas loin du viseur, lui qui venait de déclarer que le PS « pouvait faire un bout de chemin avec la majorité »). Une gentillesse à l’endroit du PCF, de facto invitant : « Les idées du PCF aujourd’hui, c’est toute notre histoire sociale, et non la Révolution de 1917 ». S’ensuit alors une attaque envers le Modem, dont François Rebsamen avait la veille estimé qu’il était un allié tout à fait acceptable aux municipales - ruinant d’un coup près de 40 ans de travail d’union de la gauche : « Je ne fais pas de différence entre les accords nationaux et municipaux. Il n’est pas explicable aux électeurs de s’allier avec le Modem, même s’il reprend des thèses du Conseil National de la Résistance » (on se demande lesquelles) ; « je préfère perdre proprement que gagner par de petites compromissions. Bayrou a voté l’apprentissage à 14 ans, il refait la démocratie chrétienne sans le dire » ; malheureusement, la député conclut ainsi : « Mais je comprends que la question du Modem se pose pour certaines villes. Mais pour l’instant je suis contre, c’est ma position ».

Jean-Claude Gayssot manifestait lui une bonne humeur alternée de gravité, dans un bagout très communiste français, presque du Marchais. Il a estimé que la gauche avait accompagné la montée du libéralisme, « pas moi en particulier, ni Marylise », a-t-il précisé, oubliant que c’est bien lui qui a inauguré la privatisation (pardon : l’ouverture du capital) d’Air France. A moins bien sûr que toutes les responsabilités reposent sur Lionel Jospin qui, «  lorsqu’il s’est exprimé sur les licenciements de Michelin en disant que l’Etat ne pouvait s’y opposer, a donné du poids à l’idée de fatalité ». Or « la dette n’est pas le diable en soi » ; et JCG se prononce « pour la codécision entre les actionnaires et les salariés, même dans les entreprises publiques ». Il a défendu son bilan : «  41 000 embauches à la SNCF de 1998 à 2002, contre 27 000 suppressions d’emploi depuis ». Il s’est aussi expliqué sur la mission que Borloo lui a proposée sur les ports, et qu’il a refusée. Il rappelle que le ministre l’a invité suite à son point de vue dans la presse critiquant la politique de l’Etat et de la SNCF en matière d’environnement, et qu’il s’attendait à la proposition car le Canard Enchaîné l’avait appelé la veille pour le prévenir. Appelant les personnes dans la salle « copains » et non « camarades », Jean-Claude Gayssot a appelé la gauche à « écouter ». Or, c’est là le discours perdant de Ségolène Royal, quand Sarkozy avançait ce qu’il pensait, lui, nécessaire pour la France. Si la gauche avait un projet solide, sans doute aurait-elle moins tendance à croire qu’elle doit sans cesse écouter. D’ailleurs, souvenons-nous que Patrick Besson expliquait fin 2001 la bonne tenue de Chevènement dans les sondages par le fait «  que lui parle aux Français, quand d’autres se contentent de les écouter ».

Enfin Jean-Luc Gonneau s’est montré bien entendu le plus spirituel de tous. Il a démarré par un thème qui lui est cher, pour ceux qui le connaissent : le plaisir : « Le plaisir est important en politique. Il y en a eu dans la campagne référendaire, dans les comités anti-libéraux, qui auraient dû se nommer alternatifs au libéralisme. Puis ces comités ont inventé ce drôle de concept de double consensus. Le PCF a mal joué, la LCR nous a baladés. Seul le Cactus a été responsable du début à la fin ». Osons un bémol : c’est être un peu injuste envers nos camarades du MARS et de la CNGR que de leur retirer ce mérite partagé. Mais applaudissons bruyamment Jean-Luc quant au rôle du PCF ; ce parti porte en effet une responsabilité importante dans la situation actuelle de la gauche. Il aurait dû céder le devant de la scène, pour se rendre plus indispensable en coulisses. Encore eut-il fallu qu’il choisît sa stratégie ; soit le soutien à une candidature alternative et radicale non partisane, soit le soutien précoce, dès l’automne 2005, à Laurent Fabius, comme il le fit pour François Mitterrand en 1965 et 1974.

Mais cessons d’interrompre Jean-Luc, qui continuait, imperturbable, son propos décapant : « Le projet des quadras au PS aujourd’hui, c’est d’avoir les places. Manuel Valls était déjà la terreur des moquettes à 18 ans. Il y a en France un courant social-libéral, respectable comme tous les courants politiques (tous, Jean-Luc ?), mais qui doit être clairement représenté par un parti. La gauche est en crise sémantique ». Et comme il n’a pas froid aux yeux, enhardi par l’air marin, JLG a balancé : « Patrice Cohen Seat, éminent responsable d’Espaces Marx, a demandé après la campagne de Marie-George Buffet si l’on n’avait pas raté une marche. Je lui ai répondu que l’on n’avait jamais prévu d’escalier. Le club Gauche Avenir adoucit les mœurs : c’est la première fois que Paul Quilès me dit qu’il est content de me voir ». Et une petite pour Yves Salesse, « qui ne veut pas comprendre que l’on ne peut se faire respecter et gagner en Europe que si l’on dit non. Il a eu peur que la France soit exclue de l’UE. De Gaulle et Thatcher, eux, avaient compris ». Et de conclure, essentiel et iconoclaste : « La gauche manque d’un projet de société. Le problème, c’est le pognon : qu’en faire, pour qui ? La dette est un faux problème, une blague » - mais pas celle du Cactus, alors payez votre cotise, merci.

Voilà, vous savez tout. Mon devoir de vacances accompli, comme elles n’étaient pas tout à fait terminées, je m’en suis allé, laissant Jean-Luc représenter le Cactus le lendemain, et lui passant la plume pour vous en narrer les débats.


Commentaires

Logo de Gargas Nishi
mardi 11 septembre 2007 à 23h58 - par  Gargas Nishi

La dette est un faux problème, une blague”. Elle est de qui, celle-là ? J’ai bien compris qu’il s’agissait d’un Jean-Luc mais duquel ?

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