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 LA GUERRE AU CONSUMERISME, NOUVEAU LEVIER HISTORIQUE ?

Par Liet Kynes
mardi 16 octobre 2007
par  Liet Kynes
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(LA CLASSE OUVRIERE N’EST PLUS LE MOTEUR DE L’HISTOIRE)

Longtemps, les luttes ouvrières ont pu être considérées comme le moteur de l’histoire car la révolution industrielle avait créé un prolétariat relativement homogène et se nourrissait du seul asservissement des corps, négligeant en partie celui des esprits, disponibles ainsi pour l’organisation de la résistance. Le capitalisme d’aujourd’hui ne laisse plus les esprits de côté. D’une part il en a plus que jamais besoin pour alimenter ses innovations, d’autre part il a appris à recycler le découragement né des échecs de luttes passées en frustrations consuméristes. Ainsi le capitalisme actuel ne se nourrit plus seulement de la force de travail mais de toute activité sociale, et dévore même ce qui prétend lui résister. Face à cela, il est plus important que jamais de nous interroger sur nos pratiques militantes.

La consommation joue aujourd’hui un rôle aussi important que le travail dans l’exploitation capitaliste, car elle nourrit l’économie libérale et détruit toute velléité de résistance. La prophétie marxienne de dépassement inéluctable du capitalisme repose sur la baisse tendancielle du taux de profit. Pour y échapper, les entreprises multiplient les stratégies pour découvrir de nouveaux marchés, et notamment et successivement : élargir la base sociale des consommateurs (projet du Fordisme et du Welfare State), élargir l’aire géographique de distribution (c’est l’une des raisons d’être de la mondialisation), augmenter la capacité d’absorption des marchés existants, solvables et matures. Ce troisième axe semble le plus important dans les sociétés post-industrielles, où l’abondance des moyens matériels devrait être propice aux luttes de redistribution.

En créant sans cesse de nouveaux besoins - plus ou moins artificiels et écologiquement insoutenables - la société de consommation maintient durablement la primauté absolue de la course à la croissance, sans considération pour la justice sociale. Sans la publicité et les cycles de la mode pour soutenir le « moral des ménages », les crises de surproduction ne seraient pas cycliques mais permanentes, et la capacité du système à enrichir encore les nantis serait largement réduite. Plus que l’intensification du travail, ce sont donc bien les progrès du marketing qui permettent au capitalisme de si bien supporter ses contradictions. Mais cette prédominance de la consommation ne se contente pas de sauver le système de lui-même, elle le protège aussi contre la contestation.

Moyens privilégiés de l’aliénation dans la consommation, la publicité et la communication ne se contentent pas de pousser à l’achat. Elles sont aussi les véhicules omniprésents de l’idéologie dominante, redoutablement efficaces dans la récupération des luttes(1), jusqu’à accréditer l’idée qu’il n’y a pas d’alternative au système en place(2). A l’heure des neurosciences(3), la publicité n’est plus une simple affaire de séduction mais bien une entreprise massive de lavage des cerveaux rendus disponibles aux « annonceurs » par l’emploi très calculé de l’envie, de l’émotion et de l’abrutissement massif. Avec pour corollaires la compétition des paraître, l’individualisme comme mode de résignation à la solitude, la banalité de l’égoïsme. L’apathie collective.

De fait, l’individu déjà souvent soumis à une très forte pression au travail - où sous couvert de gains de productivité on lui demande de mettre à profit son capital humain, c’est-à-dire tout son être - ne trouve souvent comme seul acte de résistance que le refus d’être utile. Il s’abîme alors volontiers dans le loisir creux, la télé poubelle, le shopping, le cocooning, le tourisme farniente, le jeu vidéo brutal. Des pratiques souvent vendues comme culturelles mais d’une culture vidée de sa substance émancipatrice au bénéfice des « industries culturelles ». Et donc de l’argent. Dès lors, les frustrations nées du travail (ou du chômage) sont recyclées non en combat collectif mais en nihilisme consumériste futile et autodestructeur. Ce qui devrait mener à la contestation du système au contraire l’alimente.

La société de consommation réussit donc le double coup de donner sans cesse de nouveaux marchés aux capitalistes et d’empêcher les frustrations de se transformer en actes de résistance. Il est indispensable de prendre la mesure de cet enjeu pour mettre toutes nos forces là où elles ont réellement la possibilité de changer le cours des évènements. Or le développement d’une lutte conséquente contre la société de consommation est aussi un pari plein d’espoir, pour peu que l’on en tire les conséquences dans notre militantisme. Les victoires du mouvement ouvrier ont nécessité de larges mobilisations populaires. Pour les obtenir, les forces politiques se sont appuyées sur des outils intellectuels : la lutte des classes et l’idée d’une communauté de destin du prolétariat.

Depuis trente ans, les pouvoirs se sont attachés à multiplier les statuts et les situations, à opposer les travailleurs, à individualiser les situations sociales et professionnelles, à mettre le travail « en miettes ». La mondialisation met les économies en concurrence et les multinationales se sont hissées à une échelle où elles n’ont plus guère à souffrir de contre-pouvoirs. Puisque la plus-value est toujours extorquée, il faut sans doute œuvrer à retisser le lien entre les travailleurs, à rebâtir dans le salariat une conscience de classe. Mais il est vraisemblable que ce chantier n’est pas à la veille de ses premiers succès.

Il est donc intéressant de se demander quelles autres luttes peuvent recréer du commun. Et justement, la totalité de la population est soumise à une publicité oppressante et omniprésente, privée d’information fiable et indépendante, est intoxiquée par la malbouffe et les pollutions chimiques et s’inquiète de voir les dommages causés à la planète. Non seulement le combat contre le consumérisme est un combat pour le dépassement du capitalisme, non seulement c’est un combat par l’intelligence contre la résignation et la peur, mais c’est aussi un combat particulièrement porteur d’énergie, d’unité et d’espoir.

Si un front populaire peut être mis sur pieds aujourd’hui, ce n’est pas seulement autour des revendications du monde du travail - indispensables mais décrédibilisées - mais pour obtenir de nouveaux droits et protection contre l’aliénation mentale par la publicité, la manipulation et la bêtise. Tous ne se battront pas pour le SMIC à 1500 euros ou les 32 heures, mais tous applaudiront le droit à l’intelligence et l’honnêteté télévisuelle, à la qualité alimentaire et au partage gratuit de la culture, ou la protection des cerveaux et de l’espace public contre Coca Cola. Sans doute ces combats sont déjà les nôtres, mais pas avec la force et la volonté nécessaires au regard des immenses mobilisations dont sont potentiellement porteurs ces combats. Si nous sommes conséquents, nous n’en ferons pas un supplément d’âme à nos luttes, mais bien le cœur de notre pensée stratégique.

Cependant, puisque notre cheval de bataille est traditionnellement celui du travail et que la société de consommation est rarement appréhendée autrement que comme un symptôme de la contre-révolution néolibérale, il est nécessaire de construire notre expérience et notre légitimité sur ce combat. Cela passe par l’examen de nos pratiques militantes. La distribution de tracts, le collage d’affiche et la course aux plateaux télévisés ne diffèrent pas fondamentalement des méthodes de communication de nos adversaires. Pire, ils ne diffèrent pas fondamentalement des méthodes publicitaires. Lorsque nous cherchons des slogans percutants, une esthétique parlante qui décline nos symboles (ou les rejette), nous agissons en publicitaires. En publicitaires désargentés. Or en matière de communication, l’heure n’est plus à l’artisanat. Nos adversaires ont des budgets « com’ » colossaux, des équipes de spécialistes de la psychologie et des neurosciences pour vendre leurs produits politiques et le monde médiatique dans la poche. La dernière campagne a vu par exemple les communistes déployer une énergie folle à coller et tracter, et pourtant faire 1,93%. La population est tellement écrasée sous les messages qui cherchent à s’imposer à son esprit que seuls les mieux calibrés ou les plus percutants peuvent franchir les barrières mentales dont chacun est bien obligé de se doter. Si l’on souhaite atteindre les gens par ces moyens traditionnels, il faut faire du trash, du fashion, créer une marque, jouer vraiment le cynisme publicitaire. Le voulons-nous vraiment ?

La communication par tracts, affiches et télé est intrinsèquement passive et descendante. Si l’on ne prétend plus être une avant-garde éclairée, il faudrait au contraire axer nos actions militantes sur l’éducation et l’émancipation active de la population. Préférer de plus faibles volumes mais être intraitable sur l’objectivité des informations que l’on donne et la rigueur des analyses que l’on diffuse. Donner aux gens des outils pour réfléchir plutôt que les gaver de prêt-à-penser. Et le référendum de 2005 a montré que ce pari de l’intelligence pouvait s’avérer payant : pendant que les médias tambourinaient leur oui, les français dotés du texte participaient à d’innombrables débats et échanges pour construire leur opinion. Avec le résultat que l’on sait, sur lequel nous n’avons pas su rebondir, aveuglés sans doute par l’idée que c’était notre posture politique qui en était la cause, quand seul le génie propre de notre peuple eût été à applaudir. De la même façon, l’intelligence collective a su s’appuyer sur les technologies de l’information pour créer ces dernières années de formidables moyens de contourner la mainmise des puissants sur l’information comme de résister au contrôle policier de la société et à toutes les formes de censure. Finalement, au lieu de jouer si mal le jeu de la publicité, nous ferions mieux de regarder attentivement les voies employées par ceux qui font le pari de l’intelligence contre l’abrutissement médiatique et le contrôle des esprits, et d’y puiser la matière de notre militantisme.

En conclusion, il ne s’agit en aucun cas de bazarder combats et engagements aux côtés des travailleurs, pas plus que d’abandonner bêtement tracts et affiches à d’illusoires réseaux informels. Mais si nous voulons relancer une dynamique progressiste en ce début de 21ème siècle nous devons savoir identifier nos forces et faiblesses, identifier les terrains de lutte qui nous sont favorables et ceux qui ne le sont plus ou pas encore, connaître les énergies dont nous disposons et les outils techniques et intellectuels qui nous permettront de les transformer en forces historiques de progrès. Bâtir une stratégie. Le champ du travail, notre terrain historique, est en cours de reconquête par le capital. Nous nous défendons pied à pied mais ce faisant nous paraissons conservateurs et nous nous épuisons. Sans abandonner ce champ de lutte, il semble donc judicieux de chercher à déplacer le combat sur d’autres terrains.

Le champ de la consommation n’est pas vraiment vierge, puisque le capitalisme y cherche depuis longtemps déjà des ressources pour se maintenir. Et il y a d’ailleurs trouvé aussi le moyen d’étouffer une grande part des contestations qui auraient pu éclore sous les mirages de la société du divertissement. Il n’empêche que ce champ porte un énorme potentiel de mobilisation, et que tous les outils existent pour y mener des luttes victorieuses. Mais sur ce champ l’adversaire est plus que jamais la bêtise et l’ignorance, et nous ne saurions nous y montrer crédibles sans une remise en cause de nos armes, de notre communication et de nos pratiques. Sans cette remise en cause, il n’y aura pas de stratégie pour une gauche du XXIème siècle, et pas d’espoir de voir nos sociétés renouer avec le progrès.

(1) Que l’on songe au succès publicitaire des formules détournées de mai 68

(2) TINA, There Is No Alternative, formule attribuée à Margaret Thatcher

(3) Institut Impact Mémoire, cité par Marie Bénilde in « On achète bien les cerveaux »


Commentaires

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lundi 22 octobre 2007 à 20h48 - par  xtinedel

Bien sur que la lutte au consumerisme est essentielle pour combattre le systeme puisque celui ci est base la dessus

C’est meme le seul moyen de le combattre
Pendant longtemps nous avons essaye des luttes qui devaient toucher le systeme par le haut ; mais en fait nous n’avons jamais essaye par le bas

Alors vive la decroissance , l’arret de la consonmation , la recuperation , les marches paralleles , les legumes du jardin , les chiottes seches , la cueillette , les legumes de son jardin , et gagner moins pour payer moins ,

Le bonheur n’est pas là ....

Tous les jours ont peut faire un geste pour moins consommer et c’est en plus : la plus facile des manieres de lutter

Soyons objecteurs de croissance

CHRISTINE

Logo de SIMON
samedi 20 octobre 2007 à 16h44 - par  SIMON

Votre article donne les clés de nos futurs combats, le "mode d’emploi" ! Nous essaierons tous d’en tirer profit. J.-R. SIMON

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