LE TOUR DE LA GAUCHE (DE GAUCHE) EN UN TIERS DE COLLOQUE

Par Jean-Michel Dejenne
vendredi 28 décembre 2007
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La jeune et sérieuse association Raisons d’Agir, qui publie la non moins jeune et déjà riche revue « Savoir/agir », a organisé les 14 et 15 décembre derniers à Paris un colloque d’universitaires intitulé « Pour une gauche de gauche ». Pour des raisons d’agir professionnel le vendredi soir et d’agir personnel le samedi matin, le reporter du Cactus/Réchauffer la Banquise n’a pu se rendre qu’à la session du samedi après-midi ; un temps pour l’homme, un pour le travailleur, un pour le citoyen, voilà qui correspond à un certain projet social, sinon socialiste.

Les sessions sacrifiées sur ce triptyque autel se penchaient l’une sur le processus allant « du mouvement social à la constitution d’un espace à la gauche de la gauche », l’autre sur « les nouvelles règles du champ politique ». Celle qui sera développée sans attendre était consacrée aux « traditions politiques en mal de redéfinition ».

Rémi Lefebvre s’est intéressé à ceux (il s’en trouve encore) qui veulent « rester au PS pour le transformer ». Il nous a fait compatir sur le sort des militants « les plus moraux, qui doivent sans cesse faire des contorsions ; militer à gauche au PS, c’est synonyme de souffrance ». Ces militants souffrent notamment de dissonance cognitive. « L’économie morale du cynisme domine ce parti, ce que les militants de gauche vivent très mal ». En même temps, ils restent par animosité et volonté de revanche envers leurs camarades : « la haine socialise au parti socialiste ».

Le congrès de Rennes a sonné le glas des courants d’Epinay ; on ne s’embarrasse plus dès lors d’homogénéité idéologique, les écuries peuvent mettre bas les masques. Les revues disparaissent dans les années 90. La Gauche Socialiste, devenue LE courant de gauche après le départ de Socialisme et République, est affaibli par Jospin qui nomme Mélenchon et Lienemann au gouvernement, mais constitue un vivier de cadres, qui se scinde lors du congrès de Dijon en 2003. L’héritier résiduel serait Pour la République Sociale, de Jean-Luc Mélenchon, qui fonctionne pourtant « comme un entresoi hors du PS, permettant de militer comme l’on aimerait mais ne peut plus le faire au PS ». Il s’agit d’un club formant des militants, par exemple avec ses ateliers de lecture (de Marx, Blum, Jaurès) - Mélenchon étant convaincu qu’ils doivent être « les garants d’une culture du texte ». Ce qui fait dire de PRS à Christian Picquet qu’elle est « la dernière organisation bolchévique de France ».

Florence Johsua nous a entretenu de « la LCR et du nouveau parti », idée pas si neuve puisqu’elle en retrouve trace dans les débats préparatoires au 6ème congrès de cette organisation qui s’est tenu en 1984. La LCR est en forme depuis 2002, estime la chercheuse, qui signale le doublement des effectifs (de 1500 à 3000) cette année-là, et a diffusé en questionnaire lors du congrès de 2006, recueillant le taux impressionnant de 50% de réponses. Devant ces nouvelles recrues plus jeunes, moins homogènes, moins cultivés politiquement, moins diplômés, moins enseignants, encore moins ouvriers, moins hommes et beaucoup plus employés (25% des nouveaux adhérents contre 12% des présents antérieurement à 2002, permettant d’évoquer un « tournant employé »), la proposition de « nouveau parti anticapitaliste » servirait surtout à résoudre la nouvelle donne identitaire de la Ligue, qui n’aurait pas assez de cadres intermédiaires pour former cet afflux.

On se permettra de ne pas comprendre la crédibilité accordée à cette stratégie, surtout portée par les médias. En effet, rien ne dit que ce futur parti « antitout » sera bien portant. Entre LO qui gardera le dogme et une recomposition possible de la gauche sur un modèle à l’allemande, quel est l’espace de cette formation ? De plus, la dynamique du succès de la LCR est contestable. Elle a duré en fait des élections régionale de mars 1998 au 21 avril 2002. Tous les scrutins suivants ont été traditionnellement catastrophiques, dont les législatives de 2007. Il y a un vote Besancenot, mais y a-t-il vraiment un vote LCR ?

Georges Ubbiali a présenté « les usages du trotskyme dans l’extrême-gauche française » à travers ses trois organisations emblématiques : LO, LCR, PT. Ce dernier est composite, plusieurs courants de pensée sont censés s’y côtoyer sous la houlette des lambertistes. Le parti des travailleurs a porté plainte contre le ministère de l’Intérieur en 2007 pour classement officiel dans la rubrique électorale « extrême-gauche ». Il compterait plus de 5000 adhérents, multiplie les structures-gigognes et a effectué un virage politique « vers un discours de type IIIème République, une sorte de souverainisme social ». Il aurait tenu les meetings les plus fréquentés des trois candidats lors de l’élection présidentielle 2007 (on osera cependant, pour en avoir couru quelques uns, et sans vouloir froisser ce jeune chercheur, en douter).

Lutte ouvrière se caractérise par un fonctionnement plus opaque et une participation systématique aux élections, y compris quand elle en a eu la possibilité, aux élections sénatoriales... Elle n’a pas la prétention de vouloir créer une internationale. Elle a mentionné l’adjectif « trotskyste » à la une de son journal qu’en 1989 à la chute du mur de Berlin. Elle s’est tenue à l’écart de la campagne unitaire contre le traité constitutionnel, et a perdu son leadership « présidentiel » le 22 avril 2007 au profit d’Olivier Besancenot, qui avait fait avec la LCR le choix inverse. D’où le paysage de la gauche ce soir-là : « une géante, un nain et des miettes de pain ».

Avec l’amertume parfois sarcastique d’un ancien adhérent, « le dépit de celui qui rêve parfois de pouvoir le redevenir », Bernard Pudal s’est demandé du PCF « si un parti pouvait en cacher un autre ». Là encore, il est question de « dissonance politique, schizophrénie et crise suicidaire » d’un parti qui parle un discours de rupture mais dépend du PS pour sa survie électorale et financière (les cotisations des élus représentant semble-t-il 53% du budget du parti). Depuis 1990 et la « Mutation » des années suivantes, le PCF est soumis à des forces centripètes, et son univers, son système d’action, se délite ou lui échappe : journaux, CGT, Secours Populaire... La vie d’une section n’est pas du tout la même selon qu’elle se situe sur une commune communiste ou non. Le nom du parti est le débat qui semble aujourd’hui le plus important, question réglée comme l’on sait en Italie depuis 1991 (Bernard Pudal omettant de rappeler où cela avait conduit l’ex-PCI devenu PDS : dans la main du démocrate-chrétien Romani Prodi ; et oubliant de rappeler la survie de l’adjectif dans Refondation Communiste). La direction bien que très affaiblie notamment par le double revers électoral du printemps, se maintient en place par la pratique du décentralisme démocratique. Malgré ou à cause de cela, « le groupe Martelli-Braouezec a quasiment annoncé qu’il scissionnerait l’an prochain ». A ce propos, si le parti était encore le parti, le camarade Patrick aurait été exclu pour avoir soutenu José Bové contre Marie-George Buffet, et la question de la scission ne se poserait plus. C’est pourquoi, lorsque Bernard Pudal répond à sa propre question : « un parti peut-il en cacher un autre ? Oui : lui-même », il faudrait peut-être plutôt dire : l’ombre de lui-même.

C’est du post-modernisme radical que Louis Pinto a voulu nous parler, s’attardant sur le cas (très lourd) de Toni Négri, l’homme des trois post : moderne, industriel, socialiste. Spécialiste de Spinoza, Toni Negri aurait effectué un tournant empirique en 2000 en analysant la mondialisation et serait entré dans le post-gauchisme (et de quatre, mais celui-là on ne s’en était pas bien aperçu), « en affinité avec Henri de Man, Serge Mallet, André Gorz, Alain Touraine ». Pour Louis Pinto, Toni Negri fait montre « d’un robuste économisme, d’un optimisme providentialiste, d’un piétisme actif ». Il se réjouit que pour mener les luttes les réseaux se soient substitué à un centre, car les réseaux convergent. Méditons : « le concept de multitude est un concept de classe, même si c’est une multitude de singularités ».

Avec Gérard Mauger enfin, nous avons cherché à savoir si l’on pouvait parler d’un « champ de la gauche antilibérale ». Sans doute parce qu’il s’agissait de la dernière intervention et que votre auto-envoyé spécial commençait à fatiguer, mais elle lui a semblé d’une opérationnalité assez limitée. Ainsi avons-nous bien pris note que la professionnalisation du champ politique en accru le prix d’entrée, qui est acquitté aux partis politiques et aux médias, et nécessite au moins du temps libre et un minimum de capital culturel » ; ce qui ne nous paraît pas si neuf, de même que « les frontières du champ politique sont un enjeu de luttes perpétuel, et que l’enjeu commun des luttes politiques est aujourd’hui ( ?) le pouvoir sur l’Etat, et l’occupation des places ». Selon Gérard Mauger, le label est un enjeu, « par exemple le label : trotskyste ». Pour qui aura été bien attentif jusque-là, il semblera qu’il n’en est rien puisque le PT n’en veut pas et la LCR n’en veut ; le label est donc à LO, nul ne le conteste et bon vent ! Dommage en revanche que l’intervenant n’ait pas développé le concept de « capital politique négatif ». Il aura indéniablement le soutien du Cactus quand il voudra « rénover le répertoire d’actions politiques, lutter contre le radicalisme de campus et les oppositions de salon ». Mais lorsqu’il s’excuse, vers la fin, de son propos sans doute un peu incantatoire », ce n’est pas le mot qui vient spontanément à l’esprit ; ce serait plutôt : touffu sûrement, confus peut-être, et cette envie de lui dire quand il se perd dans le subtil et labyrinthique dessin « des composantes frontières des sous-champs du politique, univers parfois distincts et autonomes » : choisis ton champ, camarade !


Commentaires

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mercredi 9 janvier 2008 à 21h00 - par  Régis ROQUETANIERE

Gauche, troskysme, communiste, socialisme, extrèmisme que la langue française est belle et riche pour dire seulement espoir et n’en rien faire.

A d’autres époques les croyances, qui n’étaient pas toutes politiques mais religieuses, on parlait de soumission au destin divin pour atteindre un bonheur évidemment futur, cet audelà qui règlerai bien des problêmes.

L’espérance tenait lieu de programme.

Le dogme bornait les croyances qui limitaient la liberté de chacun.

Le vent de l’émancipation à balayer quelques uns des nuages qui obscurcissaient l’horizon.

Rien n’est perdu des possibilités d’agir.

Nous ne sommes pas plus accablés que les générations antérieures.

En s’extrayant de ses propres préoccupations, le citoyen d’aujourd’hui qui se consacre au meileur fonctionnement de la cité reste un novateur.

Qu’il ose s’impliquer sans chercher d’autre appuis que sa conscience peut en faire un libérateur..

Bien sûr il y a les forces du marché.

Les lobbies, les intérêts cachés et croisés existent au point de rendre difficile toute action d’envergure.

Ce serait bien de réussir en grand, idéal même.

Il existe cependant une réalité indépassable : avant d’être grand il faut avoir été petit.

Dire non au monde dans lequel nous enferme des usages et des soummissions démocratiques est certe légitime, motivant, cent fois justifié mais finalement c’est assez irréaliste si nous ne commençons pas à la base.

Oui, on peut changer le monde mais alors pour gagner vite, loin et bien il faut une à une, remonter les marches de l’escalier de la démocratie.

Bien sûr il faut dire non au traité modificatif européen, se battre pour que les lâches ne boycottent et par conséquent facilitent la magoulle légaliste qui risque fort de remettre en cause la décIsion prise par le peuple français le 29 mai 2005.

C’est très important, essentiel, urgent mais c’est aussi très loin des préoccupations concrêtes qu’il faut toujours garder en ligne de mire.

Les batailles de proximités sont moins glorieuses mais ô combien nécessaires.

Voilà une voie (connue) à explorer encore et encore.

Dans la confiusion qui gagne il faut marteler l’idée que nous pouvons en peu de temps créer des dynamiques locales sur des enjeux locaux qui nous permettront alors, d’aller beaucoup plus loin si nous avons réussi, même un peu.

Il est temps qu’en dehors des clubs, nouveaux partis, coordinations de ceci ou de cela, fondations ou associations, syndicats ou partis politiques et tutti quanti, des femmes et des hommes agissent en conscience, cherchent à coordonner leurs efforts, mettent en commun le peu de moyens dont ils disposent pour agir en toutes liberté, là où c’est encore possible.

Les élections municipalles sont un excellent moyen d’apprendre à travailler ensemble.

Pour ma part et dans ce but, j’ai décidé de constituer hors de tous les cercles habituels, une liste ouverte.

Dans une ville comme celle où j’habite,Poitiers, c’est un énorme challenge.

Nous serions bien plus forts si ce type d’initiative se multipliait dans les semaines qui viennent.

Non pour créer une nouvelle boutique électorale, mais une entente de personnes décidées à investir en premier lieu, les places que se réservent ceux qui s’infiltrent dans la vie publique par le biais d’un programme ou d’une idéologie, simplement pour faire leur beurre.

Pensons aussi à ces citoyens, bien plus nombreux, qui se laissent abuser par de beaux discours et se comportent ensuite en mouton par solidarité, avant, de guerre lasse, de rentrer dépités et pour longtemps dans la défense égoîte de leurs intérêts personnels.

2008, pourrait être l’année de l’Entente, à condition que passent à l’action, dans la liberté, ceux qui voient clair.

Je les cherche. Ils sont pourtant nombreux.

Régis ROQUETANIERE 09 01 2008.

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