GOUVERNER, C’EST MEPRISER ?
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GOUVERNER, C’EST MEPRISER ?
Par Jean-Luc Gonneau
Voici quelques années, Action et Réflexion pour le Changement Social (ARCS), une association qui s’est malheureusement mise en sommeil, avait, lors de son colloque autour de la notion de pouvoir, attiré l’attention sur le mépris qui l’accompagne trop souvent.
Ces dernières années, nos gouvernants, de droite comme de gauche, n’ont pas failli à cette tradition. Etait-ce autre chose que du mépris, cette demeurée fameuse réplique de Lionel Jospin à des travailleurs menacés de licenciement par une firme pourtant prospère : « je n’y peux rien » ? On pourra plutôt y voir un aveu d’impuissance, mais peut-on, si on gouverne, se réfugier derrière l’impuissance ? Si on ne peut rien, on se retire, sinon, c’est, d’une certaine façon, mépriser ou sa fonction, ou celles et ceux qui vous y ont porté.
Mais au moins Jospin avait-il le mérite d’une certaine sincérité. Ce n’est évidemment pas le cas d’un jacques Chirac lorsqu’il accumule ses mirobolantes promesses sans suites. Et un titre récent dans la presse, à la une du Figaro, un jour ou deux avant le début des grèves et manifestations des salariés des services publics, illustre lumineusement ce que peut être le mépris d’un gouvernant. Voici ce titre : Jean-Pierre Raffarin : « Je mesure l’inquiétude des fonctionnaires ». On peut imaginer ce brave Raffarin sortant son double mètre et commençant à mesurer à tout va. Ce que l’on devine, c’est que ce bon Raffarin mesure surtout sa trouille vis-à-vis des mouvements à venir. Ce qui éclate, c’est que la formule veut laisser penser que ce cher Raffarin est sensible aux revendications des agents de l’Etat, alors que chacun sait qu’il n’est disposé à n’en entendre aucune. Pas un fonctionnaire n’a gobé le semblant de compassion de cet affable Raffarin souhaitait « communiquer », car c’est bien de cela qu’il s’agit. Et, comme souvent, le grand communicateur auto-proclamé se prend les pieds dans le tapis.
D’autres n’ont pas les prétentions à la subtilité toute relative du premier ministre. Renaud Dutreil, par exemple, glose sur l’inutilité et l’inefficacité des fonctionnaires dont il est le ministre devant un parterre de patrons ronronnant d’aise, et allant jusqu’à leur indiquer comment on pouvait traiter certains « problèmes de sureffectifs » (« on désigne un cabinet de consultants et on applique leurs recommandations »), ce que ces patrons savent depuis longtemps, mais Dutreil a voulu montrer qu’il était à la hauteur de leurs bassesses. Le même, dans la même réunion, soupire cependant : « le problème, c’est que les français aiment leur service public ». Ah, que la vie de ministre est dure, avec des français pareils. Le mini-napoléon de l’UMP ne fait pas dans la dentelle non plus, question mépris. Il y a beaucoup de chômage ? C’est dommage. Trop de bas salaires ? C’est dommage. Les patrons ne gagent pas assez ? C’est dommage. Les prix sont trop élevés ? C’est dommage. Sarkozy serait bien capable d’aller manifester le samedi avec la CGT et le dimanche avec le Medef. Mépris de tous, sauf de soi.
Qu’on ne croie pas que le mépris soit l’apanage des sphères gouvernantes ou aspirant à l’être : on le voit poindre à tous les étages de la vie politique, au sens large de vie de la cité. Petits chefs imbus de leur maigre pouvoir, militants éructant si on n’est pas de leur avis, sans se donner la peine d’étayer le moins du monde une position sur un raisonnement. Dans le débat actuel sur le projet de constitution européenne, le mépris pèse de tout son poids. Il y a dans ce débat trois positions cohérentes : celle des libéraux, que ce texte satisfait, celle des souverainistes, que le principe même de constitution, voire d’union, européenne révulse, et celle des anti-libéraux, que le contenu de la constitution conduit à un refus. Le reste est sophisme ou hypocrisie, dont le mépris est un ingrédient indispensable. Le récent débat à l’intérieur du Parti Socialiste fut à cet égard édifiant : les partisans du Non parlaient du texte, ceux du oui du contexte, et la majorité des adhérents qui, comme la majorité des français, n’avaient pas lu le texte, a compté les points. Il est toujours plus aisé de voguer dans les contextes (flous, sujets à de multiples interprétations) que sur des textes, dont l’interprétation est bien sur possible, mais de façon beaucoup plus limitée.
Peut-on gouverner sans mépris ? L’exercice est difficile, avait répondu l’ARCS, les tentations multiples, les bavures inévitables, mais c’est la dignité du politique de s’y essayer. A cette aune, nos actuels gouvernants sont indignes.
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