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PAS DE GPS SUR LES CHEMINS DE L’AUTONOMIE

Par Jean-Louis Sagot-Duvauroux
jeudi 24 avril 2008
par  Jean-Louis Sagot-Duvauroux
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Le système publicitaire de diffusion des "produits culturels" a été décrit par l’un de ses principaux agents comme de la "vente de temps de cerveau disponible". Dealer cette marchandise comporte, comme tout échange commercial, un fournisseur, la chaîne de télévision, et un client, l’annonceur. Le programme est l’appât (c’est pour cela qu’il est gratuit ; les tanches ne financent pas l’asticot). La pub est l’hameçon. Il en découle une modification anthropologique dans la production de langage. Ce n’est plus vérité contre vérité, comme lorsque la télévision publique sans publicité était gouvernée par le gouvernement (vérité gouvernementale contre vérité de l’Huma, de Témoignage chrétien ou de radio-Moscou), ou encore quand Molière écrit Tartuffe parce qu’il croit l’hypocrisie néfaste et que la pièce est interdite par le roi qui compte sur les dévots pour conforter l’ordre monarchique. Sous le système publicitaire, les fonctions de vérité et d’échange du langage deviennent aléatoires et passent au second plan. Seules ses fonctions de séduction subsistent à tout coup - le "spectacle" selon Debord. Comme "rien n’est linéaire", il peut très bien arriver que du vrai ou du beau constituent un appât tentant. Mais au hasard. Le critère décisif est ailleurs. Il est hétérogène au langage. Le critère décisif est la capacité qu’a un programme, vrai ou mensonger, délicat ou vulgaire, à produire l’effet recherché : l’amollissement de la vigilance critique quand vient la pub. Il en résulte un étourdissement général qu’on voit tous autour de nous, une défiance ("on ne peut plus croire en rien" dit-on au zinc), finalement la segmentation généralisée d’humains privés d’espace symbolique commun par cette privatisation du langage et qui se réfugient dans des communautés infralangagières, voire dans la fascination solitaire du chacun chez soi.

Nous ne pouvons donc pas réagir au nouveau pouvoir culturel du marché comme s’il était analogue aux pressions politiques de naguère. Il faut une réponse appropriée, une réponse nouvelle. Toute limitation de l’emprise publicitaire est bonne à prendre et doit être soutenue sans détour. Mais comme Xavier le dit très justement, ça ne suffit pas. Il faut aussi inventer des pratiques culturelles de construction de soi, de construction de la collectivité qui nous rendent une certaine autonomie, non pas seulement sur la vieille question politique (dans quelle société voulons-nous vivre ?), mais sur une autre qui se place au niveau de profondeur de l’attaque : quel type d’humains voulons-nous être ?

Dans cette affaire, il ne suffira pas d’appeler les masses à fermer la télé et à lire les bons livres. L’émergence des sans-voix ne se fera pas non plus dans la bonne conscience et le bon goût tels que définis par les actuels héritiers des mots (dont je suis), même si leur pastorat est éclairé. Les esclaves ont construit une partie de leur langage autonome à travers de pieuses suppliques à Dieu. Quelques adeptes du rap le font dans une violente rage consumériste. Il y a beaucoup de raisons convaincantes pour voir dans ces deux chemins des opiums du peuple. Je partage le scepticisme d’aucuns sur le contenu de tels discours quand je les lis sur le papier. Mais quand je les entends dans la forme sonore dont ils sont un des éléments et dans l’environnement social qu’ils dénoncent, je ne peux m’empêcher d’être traversé par des affects tout différents. C’est comme si j’entendais quelqu’un se lever. Ça me touche. Et curieusement ça touche en moi ce qui se lève quand il m’arrive d’exprimer sur le papier une critique de la soumission religieuse ou de l’avachissement consumériste. Il est possible que d’aucuns aient raison, que mon sentiment soit naïveté. Il est possible que dans les raps incriminés le consumérisme l’emporte sur la rage. C’est possible aussi dans un tout autre domaine, quand nous exprimons régulièrement dans la rue notre frustration à ne pas (assez) "participer à la société de consommation" en criant dans les années 60 "Charlot, des sous !", dans les années 70 : "Augmentez nos salaires de misère !" ou que nous disqualifions aujourd’hui la politique sarkozyste au nom de l’insuffisance du pouvoir d’achat. Vrai sujet de débat. Mais il me semble hasardeux de conclure de façon trop péremptoire. Et je suis sûr en tout cas qu’il n’y a pas de GPS pour se guider sur les chemins de l’autonomie.


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