ECONOMIE, P.I.B. ET RICHESSES

Par Roger Luce
samedi 10 mai 2008
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Un tract, citant le Conseil d’Orientation des Retraites, affirmait qu’ « une augmentation de 0,375% par an de la part du PIB (richesses produites) réservées aux pensions assurerait le financement du retour aux 37,5 années de cotisation pour tous ». Ainsi le PIB (Produit Intérieur Brut = total des « valeurs ajoutées ») représenterait les « richesses » produites. D’abord Denis Clerc, fondateur d’ « Alternatives économiques », remarque que « dans notre système capitaliste, la production (évaluée par le P.I.B.) ne désigne pas ce qui est utile à l’homme, elle désigne ce qui résulte d’un travail rémunéré. » Ainsi pour ce système économique « seule compte la valeur marchande »...ou d’échange (Déchiffrer l’économie, Syros 1997 p21). Autrement dit, les « richesses » produites ne sont pas forcément utiles, et tout travail n’est pas utile non plus, même bien payé ! Mais il faut aller plus loin, constatant l’urgence écologique et l’urgence sociale mondiale, indissociables, revenir à la réalité, ou essayer, bref guérir de notre schizophrénie... Ces fameuses « richesses » proviennent - il faut le dire - pour une bonne part de la destruction de la planète et de l’échange inégal.

La destruction de la planète

Faut-il rappeler que l’homme ne crée ni matière ni énergie. Il utilise, transforme la matière, avec actuellement énormément d’énergie. Il transforme aussi à petite échelle de la matière en énergie (nucléaire). En utilisant matière et énergie, il fabrique, produit des « utilités » trop souvant inutiles et spoliatrices des « générations futures ». Pas seulement. Faut-il rappeler que la nature n’a aucune valeur économique (et je ne réclame pas qu’elle en ait une !). C’est gratuit. Mais l’économique veut tout évaluer selon ses critères. On ne paie pas l’oxygène que respirent - beaucoup plus que nous - nos voitures, avions, usines à combustion..., on ne paie pas la photosynthèse, ni la pluie qui arrose nos cultures. On ne paie pas non plus le pétrole : ce qu’on paie là, c’est la mise à disposition : repérage, exploration géologique, forage, extraction, transport, raffinage, distribution, profits au sens large, profits des actionnaires et/ou de l’Etat, mécanisme du marché (raréfaction temporaire (ou définitive), conditions géostratégiques, spéculation...) On ne paie pas le pétrole !

L’origine de la valeur, c’est le travail, disent les économistes. Ils oublient facilement que le travail, c’est toujours le travail sur la nature avec la nature... transformée(« travail mort »), que ce soit avec la pierre taillée ou avec une usine automatisée...Le travail seul n’existe pas, c’est nature+travail. Le capital provient de l’accumulation du surplus produit par le travail des humains sur la nature, avec la nature. Il n’y a pas de génération spontanée du capital. Le capital ne se reproduit pas lui-même. Il ne « donne » pas de travail, au contraire il a tendance à en supprimer. Il accapare les gains de productivité - au nom de la concurrence destructrice, de la compétitivité - qui ainsi ne sont pas utilisés pour réduire le labeur humain, pour laisser le temps au plaisir de vivre, le temps de la formation normale du citoyen pour qu’il puisse assurer correctement ses responsabilités sociales, démocratiques...

Dans le système « valeur ajoutée » (PIB) , la nature n’existe pas. Ce qui intéresse l’économique, c’est juste ce qui alimente le système productif : les matières premières (nos « approvisionnements », pour la garantie desquels « on » est prêt à faire la guerre : installation récente de l’armée française sur le Golfe Persique) et même d’abord leur prix. A l’autre bout de la chaîne production-consommation, il y a les déchets - de toutes sortes - que l’économique ignore (voir les manuels d’initiation, même des plus grands économistes comme Paul Samuelson). L’économie prétend maintenant les « valoriser » (encore de la « richesse ») en les brûlant et en produisant de nouvelles substances toxiques - et imprévues - pour l’homme et la Nature, ultimes réceptacles qui ne font qu’un, même si l’humanité n’est pas une espèce comme les autres. (La culture est un prolongement de la nature, ou la nature est la condition de la culture, elles ne peuvent s’opposer.)

Le système « valeur ajoutée » dévalue le peu qu’elle prenne en compte de la nature, rejette la nature. La part des matières premières diminue dans le prix des produits finis au fur et à mesure que la valeur ajoutée augmente. La hausse actuelle de ces matières premières ne change rien au phénomène fondamental. Et puis le développement du béton, du bitume, lié à la valeur ajoutée rejette bien concrètement la nature, la détruit. Le système « valeur ajoutée » permet de transformer la destruction de la planète en salaires, impôts et bien sûr profits, alors que la nature constitue la « richesse » (s’il faut employer ce mot) de base, fondamentale, vitale. Travaillons - plus ? - à la détruire... pour « créer des richesses » ! Pour François Quesnay (1694/1774), seule la terre est productive. Il avait tort : l’artisanat aussi était (est) producteur de « richesse » ou plutôt d’ « utilités ». Mais il avait raison, car sans agriculture pour nourrir les artisans et toute la population, pas d’artisanat et toutes ses « utilités » possibles.

C’est toujours vrai aujourd’hui : l’agriculteur (ou plutôt l’industriel agricole) nourrit l’informaticien, et tous les producteurs d’autre « valeur ajoutée ». Sans agriculture, pas d’artisanat, pas d’industrie, pas de services. Pourtant la part de l’agriculture dans le PIB est faible : son importance fondamentale, vitale, ne peut pas être reconnue par le système « valeur ajoutée-PIB » qui est pourtant notre référence majeure.

C’est au XVIIIème siècle, que « l’économique » a fixé son cadre conceptuel, avant même la révolution thermo-industrielle. La « science » économique, élaborée depuis Quesnay (son « Tableau économique » date de 1758, et la circulation des richesses qu’il décrit est inspiré par la circulation du sang : il était médecin et chirurgien et est passé du corps humain au « corps social ») et Adam Smith (« la gravitation des prix », la mécanique céleste de Newton) sur un modèle mécanique circulaire (cf.Circuits économiques), est incapable de rendre compte de la réalité fondamentale - matérielle- de l’activité économique : transformation d’énergie et de matière d’une forme utilisable en une forme inutilisable (déchets), usées, dégradées, dissipées, inutiles. Cela ne fait pas partie de ses représentations. Elle ignore les conditions biologiques et physiques de la production/consommation. Il faut toujours refaire le plein de sa bagnole, et extraire toujours du pétrole, même à consommation globale constante. On connaît un peu le second principe de la thermodynamique (principe de Carnot (1824)-Clausius (1865), dit de la dégradation de l’énergie, en fait plutôt de la chaleur). En ouvrant les yeux, en observant les faits, on constate que la matière subit en gros le même sort, celui de la dégradation, de la dissipation en fines particules, de l’usure, en particulier par les frottements, conséquences du mouvement (même les sols s’usent si l’on n’y prend garde, cela s’appelle l’érosion), mais aussi par oxydation, par rayonnements. Ces phénomènes, plus lents que la dégradation de l’énergie, ne nous obligent pas moins à puiser dans le sol, à consommation globale constante, de nouvelles ressources non renouvelables. Des économistes, même « antilibéraux » tel Michel HUSSON (« Six milliards sur la planète. Sommes nous trop ? » p.27 « Le gourou de l’entropie » : une secte quoi !) nient cette réalité et ses implications parce qu’elle ne correspond pas aux dogmes économiques. Si Karl Marx (1848-1867) a été sensible aux idées de Darwin (1859), duquel il a souhaité la caution, il est passé complètement à côté du débat énergétique chaleur-mouvement pourtant contemporain pour une part : Sadi Carnot (1824), Clapeyron (1834), James Joule (1847), William Thomson, Lord Kelvin (1851), Rudolf Clausius (1850, et 1865 avec le concept d’entropie). Et on peut penser que plus nous disposons d’énergie, plus nous usons de matière par plus de mouvements (déplacements, machines...) de transformations, etc. Et il nous faudra plus d’énergie, alors que nous en aurons moins, pour chercher plus profond des ressources non-renouvelables, moins accessibles. Cette conception de l’économie « hors nature » ( cf.:l’agriculture « hors sol ») et hors des limites naturelles, que beaucoup nient, permet ainsi depuis quelques dizaines d’années à la monnaie, essentiellement moyen d’échange, de s’autonomiser de plus en plus par rapport à la production/consommation (création de monnaie : abus du crédit par anticipation du revenu - crédit à la consommation-, par anticipation de la production - crédit aux entreprises-, et si on a connu le recours à la « planche à billets », à présent c’est aux déficits généralisés et systématiques.).

Déjà, à la fin des années 50, les banques pouvaient prêter 11 fois les dépôts des clients. A présent, totalement « émancipée », prolifique, la monnaie se reproduit elle-même rapidement (taux d’intérêts élevés, profits des actionnaires très élevés, produits dérivés et spéculation financière.) : l’économie dite financière, spéculative, c’est 35 fois ou plus l’économie dite « réelle », celle qui produit des biens et des services... mesurés par le PIB. Dans ces conditions, en aucun cas, elle ne constitue une quelconque « richesse » comme certains voudraient nous le faire croire, même si elle permet une augmentation de la consommation,démesurée, néfaste, ostentatoire, et du pouvoir, illégitime, de ses détenteurs (cf :« Comment les riches détruisent la planète », Hervé Kempf, Le Seuil).

La monnaie s’autonomise, comme l’économie, fonction sociale importante mais parmi d’autres et mêlée à d’autres, hypertrophiée. Elle s’autonomise par rapport à la société et son environnement bio-physique, qu’elle domine de plus en plus et détruit progressivement, un peu comme un cancer. Depuis le début, la science économique serait-elle la science de la domination par la course à l’enrichissement ? Dominer la nature, dominer d’autres humains, c’est toujours du registre de la domination. Et la mathématisation, la modélisation de l’économie ne changent rien aux présupposés de base, d’origine, aux dogmes. Un glissement de l’irrationnel, que l’on reproche justement aux religions, affecte le discours scientifique en général - la science miracle - et affecte le discours économique,pas forcément le discours direct des économistes, mais en conséquence du leur. Ainsi la « croissance » est une bonne fée vénérée : on attend avec impatience « qu’elle traverse l’Atlantique » ; ou « elle est tirée » par un attelage simple (la consommation des ménages), double (+ l’investissement des entreprises), parfois triple (+les exportations) ; des salauds la séquestrent : « il faut la libérer » d’autant plus que là elle est française ! (Lire plutôt « Le divin marché » de Dany-Robert Dufour, Denoël sept.2007).

Il faut analyser la réalité des « gains de productivité », de la fameuse concurrence, et leurs conséquences écologiques et sociales. L’économie de la nature maximise les stocks (biomasse), par la photosynthèse, à partir de flux (rayonnement solaire) et le vivant recycle pratiquement tout année après année : seuls les arbres et plantes à racines profondes prélèvent éventuellement des minéraux de la roche-mère. Et c’est l’ensemble du vivant qui transforme de l’énergie solaire en… conscience, réfléchie, ou repliée, ou conscience d’être consciente, ou conscience d’être. L’économie humaine développe les flux jusqu’à la consommation et aux déchets en épuisant les stocks (ressources tirées du sous-sol non renouvelables énergétiques et minérales, fossiles). L’énergie dite « renouvelable », ne l’est en aucun cas. Quand elle est dissipée, c’est irréversible : elle est perdue pour l’utilisation humaine, définitivement. Elle ne sert qu’une fois : on devrait dire « source durable d’énergie ». La géothermie provient de la chaleur originelle de la Terre (durable... combien de temps ?) et de la chaleur produite par les réactions nucléaires qui ont lieu dans les profondeurs terrestres, durable aussi longtemps que ces réactions dureront. Toutes les autres énergies dites « renouvelables » sont d’origine solaire (plus la pesanteur pour certaines) et devraient permettre à l’espèce humaine - l’Humanité en quête d’ « humanitude » - de vivre quelque 3 milliards d’années, ce dont on peut douter pour des raisons économiques et politiques.

C’est plutôt au niveau de la matière que cela « coincera », alors qu’on est « préoccupé » actuellement par l’énergie. L’économie humaine commence à recycler. Surtout au niveau « macro », quelque 40%. Pour le « micro », voir le contenu de nos poubelles (chaque fois qu’on jette quelque chose machinalement, posons-nous la double question : est-ce recyclable ? Sera-ce recyclé ?) et sans doute ce qui traîne partout, sur les trottoirs comme dans la nature. Mais nous ne pouvons pas tout recycler : la gomme de la bande de roulement des pneus usée sur le bitume, les débris de verre cassé dans les conteneurs pour... recyclage, la limaille mêlée à l’huile de vidange, les couvercles, aluminium et papier, de pots de yaourt sont-ils recyclables ? Et tous les déchets de l’informatique ? Et l’acier et le béton des centrales nucléaires quand elles seront démantelées, si possible ? Et les « nanoparticules » ? Notre recyclage prolonge,en consommant de l’énergie, la durée de vie utile de la matière, qui deviendra en définitive, avec le temps, après plusieurs utilisations, inutilisable, usée, dissipée en fines particules, dégradée, en consommant beaucoup d’énergie. Combien de temps durent nos « richesses » ? Que sont devenues nos richesses d’il y a 30 ou 50 ans ? Elles n’existent plus, pour la plupart. Restent des barrages des années 50,mal entretenus ; seules les centrales nucléaires des années 70-80 dureront longtemps, mêmes inactives. Restent aussi des bâtiments ; presque toutes les usines ont disparu, de même que tous les objets d’utilisation courante dont réfrigérateurs, machines à laver, télé, meubles, sans parler des vêtements. Pas même la monnaie, pièces et billets qui la représentaient à l’époque usés, inutilisables également. Il doit juste rester dans des archives des jeux d’écritures, des statistiques.

Dans la comptabilité nationale, PIB – amortissement = PIN (Produit Intérieur Net). Net tement moins utilisé ! Apparemment, cet amortissement ne prend en compte que l’usure, l’obsolescence des seuls « biens de production » : machines, usines, mines...Le reste n’est pas déduit de notre richesse-PIB. Cet indicateur n’a qu’un intérêt comptable, sur une année : « production=revenus » (les revenus qui ne viennent pas directement de la production, spéculatifs et financiers, illégitimes, en seraient donc exclus ?). Il ne devrait pas être utilisé comme mesure d’un quelconque progrès, car la production ainsi mesurée n’est pas forcément utile (cf. Denis Clerc), et ses coûts sociaux et environnementaux ne sont pas pris en compte.

Un PIB « vert » ne vaut donc pas mieux. L’ « Indicateur de Progrès Qualitatif » proposé par Jean-Marie Harribey (L’économie économe, L’Harmattan 1997, résumé de sa thèse de doctorat en sciences économiques soutenue en sept.1996 ; directeur choisi Serge Latouche) est indépendant du PIB mais il est exclusivement « anthropocentrique ». Là aussi, « la nature » n’existe pas. Un indicateur fondamental mais incomplet est l’empreinte écologique, davantage un indicateur de biodiversité...en baisse. Pas besoin de produire de plus en plus pour partager et permettre à toute l’humanité de poursuivre sa route biologique et culturelle. L’« enrichissement perpétuel » n’est pas plus possible que le « mouvement perpétuel ». Pour résoudre la question écologique, la plupart des économistes proposent d’ « internaliser les externalités », c’est à dire d’évaluer en termes monétaires les coûts des dégâts, ou les coûts de « réparation », et de les intégrer dans le modèle économique global : combien vaut une espèce qui disparaît ? Ces économistes prétendent ainsi réduire toute la « biosphère », toute la planète, à des concepts issus de la « sphère économique » qui est et ne peut-être qu’un sous-produit de la « biosphère » : l’activité économique, même envahissante, n’est qu’une partie de l’activité humaine, l’espèce humaine n’étant qu’un élément de la biosphère. La sphère économique veut, peut ainsi « phagocyter » toute la biosphère. On constate là la prétention dominatrice de ces économistes.

Une autre approche est proposée aussi : capital naturel + capital « artificiel » (technico-industriel et biens de consommation durables) = capital total. L’activité économique diminue le premier, mais augmente le second : le total serait identique. Il n’en est rien : de l’énergie d’origine fossile a été consommée et de la matière « perdue », usée, dissipée, inutilisable.

L’échange inégal, autre aspect de la valeur ajoutée

Certes l’échange inégal est généralement présenté comme l’échange d’une production ayant nécessité beaucoup d’heures de travail à bas prix contre une autre production ayant nécessité peu d’heures de travail à prix élevé. Mais il a une autre traduction : lorsque l’échange se fait entre secteur économique, région ou pays à faible valeur ajoutée (matières premières agricoles ou minérales, produits peu ou pas transformés) et secteur, région ou pays à forte valeur ajoutée (produits industriels de plus en plus sophistiqués), il se fait au détriment des premiers. C’est une raison pour laquelle la recherche-développement - R.D.- innove en mettant sur le marché des produits à toujours plus de valeur ajoutée (salaires plus élevés, profits très élevés, accumulation forte).

Un exemple ancien et classique : l’Angleterre importait le coton indien, le transformait et produisait des vêtements - grâce à des filatures et métiers à tisser actionnés par des chutes d’eau (« écologique » ! le début du capitalisme industriel avant même la machine à vapeur) et les vendaient aux Indiens : ainsi commença l’appauvrissement de l’Inde et son « sous-développement ». C’est la raison pour laquelle Gandhi filait, filait : symbole et condition d’autonomie et d’indépendance. Cette exploitation, comme l’exploitation des paysans anglais chassés de leurs terres - « l’expropriation originelle » - et l’exploitation des colonies américaines, favorisa le fameux « décollage », et l’accumulation « féroce » qui lui est liée et occultée la plupart du temps au nom du Progrès.

Certes il y eut aussi des innovations agricoles importantes, du XVII au XIXème siècle, qui ont permis à ce secteur, malgré une augmentation notoire de la population, de dégager des surplus consacrés à l’industrie textile puis sidérurgique, entraînant la révolution industrielle, puis thermo-industrielle avec le feu de la machine à vapeur. Ensuite l’agriculture européenne a stagné et ce sont les productions des empires coloniaux qui ont fourni le surplus et ont permis au processus industriel de s’accélérer et de s’affirmer. S’il n’y a plus de tels empires coloniaux, les rapports de domination persistent sous d’autres formes (« concurrence libre et non faussée » : le « dur commerce ») et s’aggravent dans la mondialisation, pour que continue l’accumulation du capital technico-industriel et financier et la croissance/concentration du pouvoir qui lui est lié. Que l’accumulation soit privée ou publique, elle provient de l’exploitation et de la nature et du travail. Voir les dégâts du « socialisme réel » - beurk ! - ou plutôt « le communisme à la soviétique », « le soviétisme ». Certes, après plusieurs générations sacrifiées, les populations russes qui n’étaient pas en Sibérie bénéficiaient d’un revenu sans doute modeste mais sécurisé et de services publics, éducation, santé. Les rapports économiques avec les « démocraties populaires » étaient basées sur l’échange inégal, sur l’exploitation. La Russie fixait les prix. Vers la fin des années 50, Khrouchtchev voulait montrer la supériorité du « socialisme » sur le capitalisme et le battre sur son propre terrain ! En exploitant le peuple et détruisant la nature ? Ce soi-disant « socialisme (ir-)réel » n’a pas empêché la « nomenklatura », pouvoir et privilèges, qui s’est vite reconvertie dans le « capitalisme ». L’échec et le désastre écologique trouvent leurs origines dans certains aspects de la théorie de Marx (pas dans ses analyses de base de l’époque). La mise en oeuvre de la théorie par certains (notamment Staline), la fascination du pouvoir totalitaire « pour le bien du peuple », ont fait le reste.

L’exploitation n’est pas seulement dans l’opposition profits contre salaires, capital contre travail. Des auteurs ont opposé dans le passé le « centre » (pays industrialisés) et la « périphérie » (le « Tiers-Monde »), le centre s’enrichissant au détriment de la périphérie. Les pays industrialisés le sont restés, même s’il y a certaines délocalisations, et sont toujours plus riches, soi-disant (il y a eu un « recul » économique en Russie et dans les anciennes colonies soviétiques : la consommation globale d’énergie, de matières premières, les émissions de CO2 ont baissé...). Centre et périphérie existent toujours dans la mondialisation, mais des nouveaux « centres » - des ilôts, des pôles d’accumulation- sont apparus dans des pays dits « émergents » (de quoi ? : des limbes du « sous-développement » ?). Ce qui satisfait les Etats et les économistes : les indicateurs « macro » se portent bien, production industrielle, PIB et son taux de croissance, exportations. Même le PIB par habitant augmente. Une classe moyenne se constitue et consomme selon notre modèle. Des multinationales.Tout cela camoufle la paupérisation d’une partie de la population (la misère remplace la pauvreté), camoufle aussi la stérilisation importante de sols qui sont perdus pour les cultures vivrières alors que la population augmente. De très nombreux paysans sont chassés de leurs terres : le « développement » confondu avec l’industrialisation systématique, l’accumulation... Il est plus que vraisemblable que cette paupérisation gagnera plus tard les couches aujourd’hui un peu plus riches de la population, accumulation et concurrence obligent.

Guerre économique suicidaire

Revenons à l’Inde. A l’époque coloniale l’exploitation se réalisait au profit d’une accumulation externe (« décollage » de l’Angleterre), ce qui n’a pas empêché certaines familles de s’enrichir, comme Tata depuis 1870 : actuellement dans les principaux secteurs de l’industrie et des services (Acier, énergie, moteurs, chimie, automobiles, communications et autres services). A présent, l’accumulation est interne (et externe par ses multinationales).Il faudrait tenir compte des investissements étrangers en Inde et des bénéfices « rapatriés ». Plusieurs milliers de suicides de paysans par an, des millions de paysans sans terre, quelques 350 millions d’Indiens pauvres souffrant de malnutrition chronique, quelques 40% d’analphabètes, l’explosion des inégalités, la dégradation des sols. L’Inde est toujours un pays « sous-développé » et le restera sans doute malgré - ou à cause de - son taux de croissance élevé. La « croissance » enrichit d’abord les riches (demande solvable) et entraîne la croissance des inégalités. Pour qu’elle entraîne une petite amélioration de la condition des pauvres, il faudrait, selon les théoriciens une « croissance forte et durable » : c’est le cas de l’Inde ! Ce qui entraîne jusqu’à présent une croissance forte de la consommation d’énergie et de matière et de la production de déchets/pollutions durables. Insoutenable écologiquement et en conséquence socialement. De plus, il semblerait que le processus appauvrisse une partie de la population : les 53 milliardaires indiens possèdent 31% du PIB de leur pays : un record ! Et beaucoup de riches vivent dans des zones protégées par des barbelés,etc. « On a beaucoup glosé sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais il y a une autre catégorie d’humains qui est apparue : c’est l’homme inexploitable, car personne n’a intérêt à l’embaucher ». Cette phrase citée de mémoire, lue aux environs de 1970, m’a fait frémir (en fait, ces humains exclus du système sont exploités tout de même, car ils n’ont plus de terre, ni d’autres possibilités de travailler, à part sur les montagnes d’ordures). Cela concernait le Tiers-Monde, où les premiers bidonvilles et favelas étaient apparus quelque 15 ou 20 ans auparavant. C’étaient déjà les effets du développement économique, à l’initiative, au bénéfice, sur le modèle du « centre », les pays indutrialisés .

Depuis ce phénomène a gagné le centre même, nos pays « développés » : chômage de masse, exclusion, paupérisation d’une partie importante et croissante de la population, tentes ou voitures comme maisons , été comme hiver, en ville et alentour (bois, bosquets...). Et il progressera...si... Lutter contre tel ou tel symptôme ne guérit pas de la maladie... « Changer le pansement ou penser le changement », a-t-on pu lire ou entendre. Le problème est que le mot d’ordre est : « Ne pas penser, dépenser ». Et travailler plus.

En guise de conclusion

« On » préfère fabriquer des trucs très sophistiqués à forte valeur ajoutée (« développement », « enrichissement »), mais « on » n’enraye pas (on sait faire, pourtant) les processus de désertification et de détérioration des sols plus ou moins répartis sur tous les continents : valeur ajoutée faible, nulle ou « négative » (?). Alors les sols cultivables et cultivés diminuent. Et cela conduit et conduira encore plus d’humains à la malnutrition, à la disette et à la famine. Cela n’affectera pas la « croissance », au moins pendant un premier temps : l’humanité survivante se sera enrichie. Les « agro-carburants » ont et auront le même résultat : réduction des surfaces nourricières, expulsion des paysans pour ces cultures industrielles (ex. : palmier à huile) pour que les « riches » puissent rouler en voiture, voler en avion le plus longtemps possible. Ce qu’on a appelé le Progrès. Sans oublier le transport routier. « Rouler ou manger ». Mais ce ne sont pas les mêmes qui sont concernés par l’un ou l’autre terme de l’alternative : certains emploient donc « nécro-carburants » avec justesse. A propos du Progrès, quelqu’un a pu écrire il y a quelque 35 ans qu’on ne pouvait appeler « progrès » que ce qui était généralisable à l’ensemble de l’humanité présente et future : définitivement acquis pour elle. Ce qui se fait au bénéfice d’une minorité sur la planète, au détriment de la majorité et des générations futures, ne peut être le Progrès. Il n’y a de progrès que de toute l’humanité.

L’accumulation spolie, dépouille les populations et du surplus qu’elles produisent et du pouvoir de décider de l’importance de ce surplus et de son utilisation. On peut appeler la fin de cette exploitation-dépossession la démocratie véritable. Prisonniers de la société de consommation, nous acceptons que le « pouvoir d’achat » tienne lieu de « pouvoir » c’est à dire de démocratie réelle. Il n’empêche que la fin du mois est une dure préoccupation qui envahit l’esprit de toujours plus de personnes. Et c’est l’angoisse permanente pour d’autres. Cette accumulation « perpétuell » repose sur un gaspillage énorme, en particulier l’obsolescence provoquée le plus souvent par la course à la productivité et la concurrence, au pouvoir. C’est bien là une destruction du travail humain, du travail mort, et un gaspillage énergétique et matériel grave : cf. la fameuse « destruction créatrice » reprise par Schumpeter et son « ouragan perpétuel », qui en fait ne pourra pas être perpétuel. Dans cette seconde expression, la notion de création a disparu : que « crée » un ouragan sinon des dégâts (de « dégaster » = dévaster) ?

Illusoire donc d’envisager l’avenir (et les retraites) à partir du PIB. Il y a ci-dessus des données fondamentales qui ne doivent rien à une secte (tout le monde peut constater les faits de base, et il y aura, à terme des problèmes de pénurie de ressources, sauf « miracle scientifique ») et une analyse, l’accumulation, un tableau qui demandent à être précisés, affinés. Il me semble primordial d’avoir une conscience aussi vaste et juste que possible des choses. D’abord comprendre hors de toute doctrine. Toutes discussions, précisions sont les bienvenues. On ne peut pas être « anti-capitaliste » si on tient une partie du discours dominant, si on n’a pas « nettoyé son imaginaire » de l’idéologie dominante, ou « décoloniser l’imaginaire ». Et si on n’a pas de piste pour des alternatives. Le discours revendicatif, nécessaire certes dans l’immédiat, sans autres explications et propositions ne mène nulle part. L’approche plurielle est nécessaire : il est temps de contrer réellement le discours de la domination, présenté comme scientifique, qui est trop souvent repris par la gauche, même dite « extrême ». Car au-delà de la « marchandisation » du monde, il y a sa « déchettisation ».


Commentaires

Logo de Kruissel Patric
mardi 3 juin 2008 à 10h12 - par  Kruissel Patric

excellent article

si vous souhaitez un article sur le chômage qui complète bien cette analyse, connectez-vous à
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cordialement Patric 06 08 04 28 25

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