EDVIGE, LE MATCH
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C’était un soir sur A2, dans l’émission Mots croisés. A ma droite (très), le député UMP Jacques-Alain Bénisti (catégorie poids lourdingues) et le porte parole du ministère de l’Intérieur, Gérard Gachet (catégorie poids morts), pros-Edvige. A ma gauche (un tout petit peu), Corinne Lepage, avocate écolo-MoDem, et Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des Droits de l’Homme (catégorie poids moyens), anti-Edvige. Arbitre : Yves Calvi. Juge de touche : Thierry Rousselin, co-auteur de « Sous surveillance, démêler le mythe de la réalité (catégorie poids légers).
Pour mémoire, car l’affaire fait du bruit, Edvige est ce nouveau fichier qui permet de collecter des renseignements sur quiconque a des activités politiques, syndicales, associatives, ou soupçonné (simplement soupçonné) d’être en rapport avec des activités illicites. Et pas n’importe quels renseignements : adresse, déplacements, santé, orientations sexuelles, fréquentations et on en passe. Ceci pour tous les plus de13 ans. Ce qui fait du monde.
Reconnaissons qu’un machin pareil est difficile à défendre, et disons tout de suite que le tandem Benisti-Gachet n’y a pas réussi. Il faut dire aussi qu’ils n’y ont pas mis du leur. Gachet, d’abord, avec cette morgue de certains hauts fonctionnaires qui considèrent que toute personne qui n’est pas de leur avis est un imbécile. Patelin au départ : Edvige n’est pas une nouveauté, c’est juste la reprise du fichier des Renseignements Généraux, mis en forme en 1991 par les socialistes (et pan) et à peine modifié. A peine ?, rugissent nos poids moyens : extension aux mineurs de plus de 13 ans, indications sur la santé et les orientations sexuelles, inclusion dans le fichier non seulement des élus politiques, associatifs ou syndicaux, mais aussi des candidats aux élections, mazette ! Il en faut plus pour émouvoir un Gachet, qui commence cependant à se raidir. Mais, encore patelin, il explique que Edvige n’est pas un fichier anti-délinquance (il y a d’autres fichiers pour ça).
C’est alors qu’intervient l’ineffable Bénisti. Le nom ne vous dit rien ? C’est pourtant le rapporteur d’une commission parlementaire qui préconisait de détecter la délinquance dès l’age de trois ans. Un pro, donc, du dérapage sécuritaire, et ça n’a pas manqué. Edvige, dit-il, est un outil indispensable pour détecter la délinquance. Gueule de Gachet qui venait de dire l’inverse. Hilarité des poids moyens. Mais rien ne gêne Bénisti (définition du sans-gêne ?), dont la moustache rappelle fortement Séraphin Lampion, le VRP fâcheux des aventures de Tintin. Moi, dit-il en s’adressant aux poids moyens, je suis en contact avec la réalité et je défends les victimes, et vous, vous défendez les assassins. La démagogie la plus vile, on le constate une fois de plus, ne fait pas peur à Bénisti.
Gachet doit trouver que ça commence à bien faire, car il revient dans le match, et plus patelin du tout. Vous voulez empêcher la police de faire son travail, lance-t-il aux poids moyens, et pire encore, vous vous apprêtez à mettre en péril la sécurité du pays en critiquant Cristina. Pour les distraits, rappelons que Cristina est une sorte de super-Edvige, mais classé secret-défense. Dubois dénonce cette incongruité française. Même aux Etats-Unis, les parlementaires peuvent enquêter sur les fichiers confidentiels. En France, personne hors le pouvoir n’aura accès à Cristina.
L’arbitre pose alors quelques questions sur les garanties des citoyens par rapport au fichier Edvige. Gachet, sévère, tente de rassurer. Lepage, texte du décret sous les yeux, commente avec une régularité quasi métronomique : ce n’est pas dans le texte. Gachet est excédé. Bénisti considère maintenant nos poids moyens comme de dangereux gauchistes. L’arbitre consulte son juge de touche, car il se fait tard.
Thierry Rousselin explique gentiment qu’Edvige, ce n’est pas grave, car il y a pire, les sites sociaux et les données accumulées par internet et les téléphonies mobiles. Le relativisme mal compris a ce genre de conséquence : tout se vaut, tout ne vaut donc rien. Pain bénit pour le couple Gachet-Bénisti ? Ils essaient bien de s’appuyer sur cet avis de dernière minute, mais c’est peine perdue. Les poids moyens, eux, font du relativisme conséquent : on ne peut confondre fichiers publics et privés, on ne peut confondre des données fournies volontairement par des personnes (type sites sociaux) et celles collectées à leur insu. Vous voulez notre avis ? Les poids moyens ont gagné largement aux points.
Mais le combat continue : 120 000 signataires de la pétition Non à Edvige, 13 recours déposés en Conseil d’Etat. Et après, on se fait Cristina en tout bien tout honneur, bien sur) ? Aux dernières nouvelles, l’omniprésident a demandé à sa ministre de l’Intérieur de revoir la copie. Ils ont bonne mine, Alliot-Marie et Fillon, ardents défenseurs de l’actuelle version. Ils ont bonne mine, les duettistes Bocher-Bénisti (quoique ce dernier semble du genre godillot à toute épreuve). Méfiance cependant : nous connaissons trop cette tactique éculée qui consiste à proposer d’abord un projet provocateur, pour ensuite en négocier l’ « adoucissement » en sauvegardant ce à quoi le pouvoir tient le plus. Les opposants sont alors cocufiés tout en criant qu’ils ont gagné. Ainsi madame Pécresse fit-elle gober à l’UNEF sa « réforme » de l’Université au prix modique de quelques concessions mineures.
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