POUR MIEUX COMPRENDRE LA CRISE, RELIRE GALBRAITH
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C’est une courte plaquette publiée sous forme d’essai par Grasset en 2004 et d’une parfaite lucidité, y compris pour éclairer le présent pressenti par cet auteur décédé en 2006 (cf sa bio. et ses oeuvres dans Wikipédia) ; et je vous invite à la lire et méditer. Les "Mensonges de l’économie", c’est , entre autres, nommer "économie de marché" le capitalisme ; utiliser le même mot "travail" pour ceux qui doivent en être les esclaves et ceux qui en tirent profit ; c’est distinguer secteur public et secteur privé, alors que le second a colonisé le premier ; c’est faire confiance aux analystes financiers pour prévoir l’avenir fait de tant d’ inconnues ; c’est encore croire à la souveraineté des consommateurs aussi floués que les citoyens par les acrobaties du tricycle démocratie/média/marchés ; c’est enfin croire dans le rôle de la monnaie et des taux d’intérêt comme régulateurs de crises et levier de prospérité.
Et c’est à ce point que nous mène Galbraith par les propos suivants que je sélectionne dans ses deux derniers ironiques chapitres : "J’en viens maintenant à notre mensonge le plus prestigieux, à notre plus élégante esquive de la réalité…Aux États-Unis, I’effort pour limiter le chômage et la récession, ainsi que le risque d’inflation, incombe à la Federal Reserve,. .(Ses ) mesures n’en sont pas moins parfaitement inefficaces. …La réputation aussi flatteuse que fausse de la Federal Reserve s’appuie sur un solide fondement : la puissance et le prestige des banques et des banquiers, et le pouvoir magique qu’on prête à la monnaie….. Si, face à une récession, la Banque centrale réduit le taux d’intérêt, les banques affiliées sont chargées de répercuter cette baisse de taux sur leurs clients, et de les encourager ainsi à emprunter. Les entreprises vont alors produire des biens et des services, acheter les usines et les équipements qu’elles peuvent désormais s’offrir et qui leur font gagner de l’argent ; la consommation, financée par des prêts aux meilleurs taux, va s’accroître. L’économie réagira positivement, et la récession prendra fin. S’il y a plus tard une expansion avec menace d’inflation, une hausse du coût de l’emprunt, elle aussi décidée par la Federal Reserve et appliquée à ses prêts aux banques affiliées, relèvera les taux d’intérêt. Les entreprises restreindront alors leurs investissements, les consommateurs leurs emprunts, l’optimisme excessif sera contré, les prix stabilisés, et on sera donc garanti contre l’inflation. La difficulté, c’est que ce processus, aussi plausible que satisfaisant, est un credo économique bien ancré qui n’existe pas dans la vie réelle. …Les entreprises empruntent quand elles peuvent gagner de l’argent, et non parce que les taux d’intérêt sont bas. ….Lorsque les ventes sont mauvaises, les taux d’intérêt ne sont qu’un détail. ....Les entreprises ne vont pas emprunter pour accroître une production invendable.
En période faste, la hausse des taux d’intérêt ne ralentit pas l’investissement des entreprises. Elle n’a pas grande importance. Ce qui compte, c’est la perspective de profits. Et, en temps de récession ou de dépression, le facteur déterminant est la perspective de recettes faibles. Si les taux d’intérêt baissent, il y aura refinancement des prêts immobiliers, ils trouveront de nouveaux financements ; mais, globalement, les sommes que les débiteurs y gagneront seront assez minimes…. Autant dire que l’effet sur l’ensemble de l’économie sera nul ou insignifiant….. Les forces qui détermineront le retour de la récession sont.... le niveau de dépense des consommateurs et celui (dépendant du premier) de l’investissement des entreprises. Sur ces réalités, I’action de la Banque centrale a un impact minimal : les entreprises réagissent à la baisse de leurs ventes. La Federal Reserve ne joue ici aucun rôle décisif. Elle ne contrôle les dépenses des consommateurs et des entreprises que dans le monde de la candeur naÏve…"
Ce que Galbraith nous donne à comprendre en termes très simples c’est que la santé économique et sociale d’une société demande trois conditions : la première est que ses entreprises aient des marchés et que rien ne peut remplacer cela, la seconde est que ces marchés soient profitables et que le jeu des taux n’y suffit pas, la troisième est que le niveau de la demande produise, par l’emploi, des effets de revenus chez les consommateurs s’adressant à ces entreprises.
Si Galbraith ne va pas jusque là, on voit clairement que la dernière condition n’est bien remplie que si l’emploi est assez largement généré dans la communauté de clientèles des entreprises considérées, c’est à dire pour une proportion correcte en emplois nationaux. Sinon, dans le cas où des commandes rentables sont honorées par des tâches confiées à l’extérieur, on peut avoir une économie un temps florissante au plan de la profitabilité et un désemploi dans le périmètres d’implantation de sièges sociaux gagnant beaucoup d’argent, mais créant beaucoup de chômage et donc, à terme, un effet récessif par défaut de demande solvable interne. N’est-ce un peu ce qui vient de se passer dans les économies d’Occident ?
Les considérations terminales de Galbraith sur la fiscalité notamment sont aussi parfaitement d’actualité. Leurs passages les plus éloquents sont les suivants : "… Une des caractéristiques majeures de l’économie actuelle est l’ampleur des revenus que rapporte la « marchandisation » de l’inconnu. La renommée que peuvent s’attirer ce « non savoir » et les diverses « non-compétences » qui le fondent constituent un aspect rien moins qu’innocent de la vie économique moderne. J’ai résisté ici à la tentation de décrire l’inconnu. En revanche, on peut savoir si une politique est salutaire ou nocive. Rien n’indique, notamment, que des réductions d’impôts comme celles qui ont été préconisées et décidées ces derniers temps aient un effet positif sur la récession. On a supposé que l’investissement, la production et l’emploi seraient stimulés par le supplément de revenus après impôt ainsi promis aux entreprises, à leurs directeurs et aux actionnaires financièrement bien lotis, sous la forme d’un allégement de la ponction fiscale sur les dividendes touchés par les riches…. Mais rien ne prouve que ces sommes offertes aux cadres supérieurs prospères auront un effet positif - qu’elles seront dépensées. Pour cette petite élite, la réduction d’impôts accroît des revenus déjà plus que substantiels. Et trop c’est trop, même pour les riches. Impossible d’être sûr que les revenus supplémentaires dus à la réduction d’impôts seront réellement dépensés. La mesure risque donc de n’avoir aucun effet. Dans son histoire aux incontournables leçons, la politique économique a souvent été aux antipodes de l’intérêt économique lui-même. Et elle peut sembler fondée sans pour autant avoir d’impact net. Cela peut se traduire par de l’argent pour ceux qui ne le dépenseront pas et des privations pour ceux qui le dépenseraient… » John Kenneth Galbraith contribue à nous faire percevoir que moraliser le système ne peut être que d’effet marginal et que c’est à le changer qu’il faut s’attacher. Prendre les erreurs, les cupidités, les abus et leurs auteurs pour boucs émissaires peut satisfaire le café du commerce ; mais les punitions ne frappent en fait que ce que le système a permis. La condamnation des comportements individuels est un alibi servant plus à "sauver le capitalisme "qu’à le dépasser, de la même façon que les politiques conjoncturelles sont des esquives du besoin de réforme structurelle de l’économie mondiale et des échanges internationaux.
Voir le blog de Gérard Belorgey : http://www.ecritures-et-societe.com
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