L’UTOPIE DE L’HUMAIN
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L’Utopie de l’Humain, j’emprunte ce titre à Catherine Chalier(1). Lorsqu’elle évoque la pensée d’Emmanuel Lévinas, l’auteure met l’accent sur le divin bien, le bien comme essence du sujet à être-autrement-qu’être. Cet être là nous porte vers les autres, et vers nous-mêmes. Laisser dire et bien faire, pourrait commencer une éthique communiste.
Cette tension, cette attention à l’autre, à tous les autres, et à travers eux à soi, est une posture aux conséquences politiques cruciales, devant lesquelles les débats de ‘chapelle’ me semblent désuets et dangereux, à perdre de vue l’essentiel, qui n’est ni le parti, ni son nom, mais son être, son essence, ce qui nous lie à vouloir autrement que vivre.
Pour l’avoir écrit, et dit plusieurs fois, la question n’est pas politique mais éthique, c’est-à-dire qu’elle nous oblige à nous hisser au-dessus de nous-mêmes, à décider et trancher, dans un risque personnel de la nomination et de l’action, un autre monde est possible, disons le communiste.
L’Utopie de l’Humain, pourrait être son corollaire. A vouloir juxtaposer ces deux termes nous engageons la voie du désir et celle du souhait à bien faire le bien, avec-pour tous, les opprimés, les exploités, les démunis, et parmi les plus fragiles d’entre eux, les étrangers dont on déporte les enfants dans les écoles de la mal-dite République.
Ici, nous devrions tous nous lever comme un seul homme, une seule femme, et dire : Non ! Basta ! Les limites sont dépassées, les bornes qui définissent dans la loi l’humain, sont abolies, piétinées, chaque jour. L’humain, n’est pas l’ignoble ou l’abject, il en est son contraire, son opposé. Il est construit, tissé, métissé, chaque jour, chaque nuit, dans les tous les lieux où l’homme lutte à être autrement que lui-même. Cette volonté, ce choix, cet effort, ce courage, n’a pas de prix, n’a pas de limite.
Aujourd’hui, et depuis plus de trente ans, l’entame est profonde, comme une blessure, l’homme s’arrache à lui-même son humanité. Par un long travail où convergent l’emprise politique, médiatique, des renoncements aux valeurs de solidarité, de fraternité, de justice, par un long travail personnel depuis deux générations, où chaque-un et tous ensemble s’acharnent à se défaire de sa propre humanité, dans cette folle convergence, une scission anthropologique met à nu l’écorché de l’humain.
Il n’a plus de nom, il est a-nonyme, il n’a plus de valeurs, il compte, il n’a plus d’espoir, il chute, entraînant avec lui toutes les générations qui lui succèdent. On aurait tort de croire qu’il s’agit ici d’une sinécure, ou d’un plaisir cynique, tout au contraire –au début tout au moins- c’est dans la douleur que l’homme enfante l’inhumain, par un long travail de dé-croyance, de dépression, de négation en lui-même de ce qui l’a constitué vaguement comme sujet, dont il se déshérite à coups de canifs dans la valeur.
Dans la valeur-travail d’abord, dans la valeur morale ensuite, dans la valeur humaine enfin. Le bien chute, le bien comme valeur, comme intangible se délite. Il ne guide pas l’action. La liberté guide-t-elle encore nos pas ? Où est le sens ? La direction ? D’aucuns se prennent la tête sur la direction du parti sans interroger radicalement l’essence même de notre raison d’être autrement que communiste. C’est ici que le bât blesse.
Evoquer le bien, n’est pas un moralisme, ni un idéalisme, tout au contraire, la valeur est un enjeu concret, matériel, réel. Elle constitue le concret du sujet, guide sa pensée, son action. Elle est produite par chacun, à chaque instant, dans les effets du discours qui sont les siens, dans les causes de l’amour qui pourraient être les nôtres.
L’Utopie de l’Humain et l’Humaine Utopie nous convoquent dans l’urgence à retisser dans la parole et dans l’action le concernement incroyable de l’homme pour l’autre homme, de l’homme pour lui-même, car il n’est de rapport à l’autre qui ne soit de rapport à soi, ni de rapport à soi qui ne soit un rapport aux rapports sociaux.
Dans la tribune de discussion, dans le journal l’Humanité, Bernard Sigg, Jacques Bidet, Maurice Decaillot ont pointé chacun à leur manière l’obligation de dépasser, les registres de la pensée pré-conçue. Il est encore temps dans la discussion, l’élaboration, de fonder une éthique communiste, elle s’obligerait à ne jamais céder sur son désir de justice, et d’humanités au risque de la pensée en actes(2).
(1) Chalier C (1993), Lévinas, l’utopie de l’humain, Albin Michel, Paris
(2) Aglan A Azéma J.P (2002) , Jean Cavaillès Résistant, ou la pensée en actes, Flammarion, Paris.
Notes :
« Ne constate-t-on pas, journellement, que les hommes tolèrent le pire à côté d’eux, en préférant regardant ailleurs ou en prenant prétexte d’un manque de temps, puisqu’ils doivent de toute urgence vaquer à leurs tâches ? La multiplicité des emplois du temps si serrés et si frénétiques laisse-t-elle la possibilité d’entendre celui qui frappe à la porte et, à fortiori, s’intéresser au sort de celui qui n’ose s’y risquer… » (3)
Jean-Pierre Vernant, résistant, alias commandant Berthier, propose une clé dont nous sommes la serrure : « Dans une société telle que la nôtre, dit-il, faite d’exhibition et d’indifférence, chacun prétend pouvoir mener sa barque comme il l’entend. Mais le sentiment de la dette demeure néanmoins chez un grand nombre de gens, sous des formes variées. Germaine Tillon avait raison de dire récemment que lorsque quelqu’un frappe à porte, il y a ceux qui ouvrent et ceux qui n’ouvrent pas. Celui qui ouvre, c’est celui qui se sait en dette. Les Grecs disaient déjà qu’il fallait ouvrir quand on venait frapper chez vous parce que, comment savoir si le clochard ‘qui pue’ n’est pas en réalité un dieu venu vous visiter pour voir si vous vous sentez bien en dette ? » (4)
(3) Chalier C, op cité
(4) Vernant J.P (1996), Entre mythe et politique, Editions du Seuil, Paris.
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