COMMENT COMPRENDRE LA « CRISE » QUAND ON EST ABONNE A L’AVEUGLEMENT ?
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Les « spécial crises » se suivent et se ressemblent. Des revues de qualité nourries de compétences techniques ne trouvent toujours pas une perspective stratégique d’explication et donc de traitement. Ainsi, parmi divers articles, un seul – de Michel Aglietta - effleure dans "Alternatives économiques", les explications fondamentales. Après avoir rappelé qu’ à partir de la fin des années 80, le business modèle a consisté à maximiser la recherche du profit pour l’actionnaire il écrit courageusement que... : « l’ouverture mondiale crée un marché du travail beaucoup plus vaste avec un excès global d’offre de main d’oeuvre , une accentuation de la concurrence sur le marché des biens , une forte pression sur les revenus salariaux . ».Ces deux phénomènes ont conduit à « déconnecter la dépense et le revenu en stimulant la consommation par le crédit » Pour faire plus de crédits en en transférant les risques, les banques ont géré "une économie de la dette" qui a dérivé dans les excès que l’on sait. (*) Alors que la globalisation a encore réduit l’efficacité de l’action par les taux d’intérêt (cf. notre papier sur Galbraith) l’intervention étatique doit prendre la forme de provisions en capital, ainsi qu’une surveillance publique jusqu’au coeur même des institutions financières, pour imposer des règles de comportements qui doivent être universelles (pour que paradis fiscaux, pays émergents, empires sans scrupules y soient subordonnés, il y aura bien du chemin à faire) ce qui devrait impliquer une nouvelle coordination monétaire d’autant qu’il y de fortes tensions pour aller vers des changes plus flexibles.
L’intérêt de cette approche - ici très résumée - est de deux principaux ordres. D’abord elle met bien en évidence derrière les imprudences ayant catalysé le cyclone conjoncturel, la question structurelle des échanges (à laquelle il y avait toujours eu, en doctrine du moins, deux types de réponse, par la maîtrise des flux commerciaux ou par les taux de change). Ensuite elle pointe ce que nous vivons « la crise d’un modèle de croissance inégalitaire » (ce qui est d’ailleurs le titre de l’article) en proposant un traitement de croisière pour en sortir.
Voyant dans le degré des inégalités notre frein à la croissance, constatant que la réglementation financière... (et encore, ajoutons-nous, faudrait-il qu’elle soit vraiment possible alors qu’un autre article de la même revue montre toutes les difficultés des dix chantiers nécessaires de cette régulation ) ne suffira pas à refonder un système capitaliste capable de faire de la croissance régulière, estimant que celle-ci ne pourra plus être dopée par l‘endettement (mais alors à quoi servent les énormes liquidités virtuelles mises en place pour permettre de faire du crédit ?) l’auteur, du moins à nos yeux, commence à rêver lorsqu’il écrit « il va falloir que le revenu salarial se remette à,progresser en ligne avec la productivité ». Or cette progression du revenu salarial est, à notre sens, sauf changement majeur dans les coûts rendus en Occident des produits importés, précisément ce qui est impossible dans le contexte du libre échange mondial.
Et disons le tout franc : il n’est pas bien, il n’est pas sain de laisser croire aux citoyens qu’une politique sociale plus juste suffirait à faire que les problèmes économiques soient mieux résolus. C’est tellement tentant de croire que l’agréable est aussi utile qu’il faut les mettre en garde. Sans remise en cause du libre échange général rien de raisonnable n’est possible. L’illusion que ce le soit est la clef de la paralysie intellectuelle du PS sur laquelle daubent tant de commentateurs (cf. « Les intellectuels jugent le PS » in Le Monde du 14.11.08 ) dont la notoriété n’empêchent pas l’aveuglement envers une explication de bon sens : la plupart des équipes de ce parti n’ont pas vu - ou pas voulu dire - que garanties sociales et a fortiori progrès social (dont les modalités restent des débats secondaires par rapport à l’enjeu capital de savoir à quelles conditions de base telle ambition est réaliste) sont incompatibles avec le libre échange mondial.
Celui-ci - il faut le rappeler - est un système de compétition (sur tous biens et services et essentiellement par les prix, comme on le méconnaît trop souvent, et seulement pendant des phases provisoires, par la qualité, la haute technologie et l’innovation pour quelques produits peu producteurs d’emploi et dont les fabrications sont, en outre, largement sous traitées à l’extérieur ) pour l’acquisition et l’accumulation dans les mains des plus performants des marchés les plus rentables. C’est bien d’ailleurs la diminution de la part relative des marchés rentables nourris par le travail de personnels résidant dans nos pays socialement avancés, qui a conduit à la défaillance des revenus salariés (et dans certains cas au relais par l’endettement) ainsi qu’au besoin pour les firmes d’avoir toujours une longueur d’avance et de réserve de capacités capitalistiques, donc de chercher à cette fin un profit maximal au détriment des rémunérations salariées dans la distribution de la valeur ajoutée et lorsque des marchés classiques n‘y suffisaient pas de chercher une optimisation risquée dans la spéculation financière.
Le « business modèle » que l’on chercherait à dépasser n’est en fait que le produit inévitable de la compétition libre-échangiste. Celle-ci est la vraie cause de ce qui se passe et qui perdurera puisque cette compétition a institué un système de prime aux moins disants en niveaux fiscaux, en coûts publics, en coûts sociaux. Et pour tenir un tel challenge les pays avancés devraient avoir des gains considérables possibles de productivité (ce qui n’est plus guère le cas dans notre type d’économie). C’est un système qui siphonne les liquidés injectées dans une économie nationale au profit des économies concurrentes à bas coûts de revient structurels : tout supplément de pouvoir d’achat chez nous ira d’abord à l’importation de produits moins chers que les produits nationaux ; de même une dotation pour investissements sera consommée de préférence là où l’équipement est le moins cher, et les créations d’emplois des relances se feront d‘abord dans les pays où le travail coûte le moins cher. Pareillement à l’action par les taux d’intérêts, les actions de dépenses keynesiennes sont largement inopérantes, sinon contre productives, en économie ouverte.
C’est un système qui par les investissements étrangers si prisés dans son cadre peut faire dépendre les politiques salariales et les arbitrages dans l’allocation de la valeur ajoutée d’une entreprise (sans parler des arbitrages sur les localisations d’activités) de management et d’actionnariats n’ayant en aucun cas les mêmes objectifs ni les mêmes valeurs que nous ( nos économistes et nos sociaux libéraux devraient tous avoir géré des entreprises sur la brèche des concurrences impitoyables avant d’écrire leurs analyses et leurs recettes ou, au moins lire de Mordillat, "les vivants et les morts ").
C’est un système qui maintient partout la pression sur les salaires et sur les coûts publics et sociaux. Les revenus salariaux ne peuvent augmenter que dans les secteurs qui sont épargnés par la concurrence frontale, encore que ces secteurs étant les fournisseurs de ceux qui sont sur la brèche, l’imprégnation de toute notre société économique (où il n’y a que les productions de luxe qui s’en sortent ) va forcément dans le sens de la rigueur salariale et de la compression de tous autres coûts.
L’État engagerait-il une politique économique qui se fonderait sur la relance du pouvoir d’achat salarial, les entreprises le feraient-elles que les sanctions du libre échange tomberaient vite sous forme de délocalisations, faillites, fermetures, chômage. Il faut échapper à la contrainte du libre échange pour pouvoir faire une politique de la croissance par les revenus salariés. C’est là d’ailleurs la clef de l’alliance politique dont la France à besoin : une alliance entre les entreprises, les salariés et les établissements de crédit pour avoir un système de sauvegarde qui peut prendre bien des formes en combinant des protections directes, des accords commerciaux, des jeux de taux de change. C’est pour cela que nous avons besoin de faire bouger l’Europe, que nous avons besoin de la réflexion des économistes non résignés et où l’on doit regretter qu’il n’y ait plus l’imagination de Maurice Lauré sur les droits d’entrée à ristourner aux pays d’origine, pour les inciter à se créer une forte demande intérieure.
Il ne faut pas rêver que le marché apporte lui-même la réponse. Pour ne pas mourir guéris, il faut changer une part des regles du jeu des échanges commerciaux mondiaux qui interdisent le succès durable de toute politique économique nationale qui ne rentrerait pas dans des normes très libérales
(*) C’est la même bonne analyse que fait L. Fabius dans son intervention à Amiens : la question de fond est celle de la répartition des fruits de la croissance entre le capital et le travail. Fondamentalement, c’est parce que l’exigence de rentabilité annuelle du capital a été portée à 10, 15, 20%, chiffre sans rapport avec la croissance moyenne des richesses dans l’entreprise, qu’ont été cherchées des procédures sophistiquées pour sur-rémunérer le capital. Fondamentalement, c’est parce qu’aux Etats-Unis, matrice de la crise sans épargne intérieure, on a convoqué l’endettement immobilier pour compenser la compression des salaires qu’est né le tsunami des fameuses « subprimes ». La course au profit maximum a généré les produits toxiques. La course aux salaires minimums a débouché sur le surendettement. Produits toxiques plus surendettement ont déclenché la crise financière.
C’est pourquoi les éventuelles convergences d’analyses politiques entre la gauche et la droite, avec l’UMP et le modem, n’ont pas de sens. La solution ne peut être comme le propose en effet le Modem d’amputer les revenus du travail de 5% au bénéfice du capital. Une autre crise se profile, plus redoutable encore car elle ne concerne pas seulement le niveau de vie mais la possibilité même de vivre, c’est la crise écologique. Il ne suffira pas d’injecter de l’argent pour l’arrêter : si cette crise éclate on ne pourra pas revenir en arrière. Elle a aussi pour origine l’argent fou, l’argent roi. Cela fait des années qu’on nous brocarde, nous les régulateurs, nous la gauche européenne, en particulier nous les socialistes français, mais nous avions vu juste. La répartition injuste est largement à l’origine de la crise.
De même qu’il y a bataille sur les analyses de la crise, il y aura bataille sur les solutions à la crise. Hier soir, j’ai relu les motions. Elles prennent presque toutes en compte la crise, quoique d’une façon différente, mais elles sont insuffisamment alarmistes sur les conséquences en termes d’emploi. En ce moment même, les entreprises sont en train d’établir leurs projections pour le début de l’an prochain. Elles sont soumises à l’exigence maximum de rentabilité dont j’ai parlé. Beaucoup d’entre elles ont déjà prévu des plans massifs de licenciement. Je les évalue à près de 300 000 suppressions d’emplois. C’est une « horreur économique et sociale » qui se profile, contre laquelle il faut apporter nos solutions, nos réponses. »
Et c’est bien à ce stade qu’il y a débat entre la portée des actions par la distribution différente de revenus ou par le contrôle du libre échange mondial, à nos yeux, l’un ne servant à rien sans l’autre débat qui paraît esquivé dans l’intervention susvisée par la recherche d’une synthèse sur l’Europe : il n’est dit si elle doit rester ouverte ou si elle doit être à la recherche d’accords commerciaux sauvegardant ses emplois.
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