Savoir dire NON !
popularité : 91%
Savoir dire NON
Par Emmanuel Dupuy, Diane Le Béguec et Emmanuel Saussier
Lorsque plusieurs dirigeants du Parti socialiste ont franchi le pas, expliquant pourquoi le projet de Traité constitutionnel n’était pas à la hauteur de l’ambition européenne de la France, ils ont naturellement réconcilié autour de leurs positions tous ceux qui, au-delà de leur parti, se reconnaissent dans une gauche républicaine, laïque et européenne.
Car le traumatisme créé, il y a douze ans de cela, par les résultats ô combien serrés du référendum de Maastricht a eu pour effet de biaiser et de caricaturer à l’extrême le débat politique, comme s’il n’était d’autre alternative qu’entre un souverainisme conservateur - qu’il soit de droite ou de gauche - et une marche aveugle vers l’idéal européen. Comme s’il n’était pas permis de s’arrêter, entre nous, un instant, afin de regarder notre carte, de consulter notre boussole et de nous interroger : sommes-nous sur la bonne voie ? Vers quelle Europe nous dirigeons-nous véritablement ?
Cette absence délibérée de débats, cette crainte de toute remise en cause, aidée en cela par une pensée dominante particulièrement vive à dénoncer ce qui lui est hostile, n’a pas empêché de faire des choix majeurs. Mais elle a privé les citoyens, théoriquement les premiers bénéficiaires de l’idéal européen, d’en prendre la mesure, d’en comprendre les enjeux et, surtout, de donner leur opinion souveraine. Car, entre l’approfondissement, tellement cher à François Mitterrand, et l’élargissement qu’il redoutait, la décision a été prise sans que l’on ne puisse rien en dire. L’Europe a changé de nature ? C’était inévitable, ce n’est que le sens de l’Histoire, passez votre chemin !
Les décisions ont déjà été prises, elles n’étaient pas forcément mauvaises, mais il faut aujourd’hui en tirer les conséquences. En dix ans, l’Europe a profondément changé et l’avenir est plus que jamais riche de ses possibles. De quelle Europe voulons-nous désormais ? D’un grand continent-marché, cette vaste zone de libre-échange qui, peu à peu, s’ouvrirait à d’autres voisins « géographiquement » proches, à défaut d’être « philosophiquement » membres d’une même communauté, ou d’une véritable Europe de projets, qui permettrait de construire enfin une Europe volontariste, politique et solidaire ?
Ce projet de Traité constitutionnel, en noyant des dispositions essentielles dans une interminable suite d’articles accessoires, en sapant cette « Europe puissance » à laquelle nous aspirons par des références explicites à l’OTAN, en rendant quasiment impossible le développement de coopérations renforcées, en conditionnant l’émergence véritable d’une politique étrangère et de sécurité commune à des coopérations structurées devenues aveuglément conditionnées par une compilation d’intérêts extra-communautaires, en proclamant le principe de cohésion tout en conditionnant son financement à un vote à l’unanimité, en empêchant, de facto, les possibilités d’augmentation du budget européen, constitue, en tout état de cause, un véritable recul de l’idée européenne. Surtout, ce projet dans lequel il avait été placé tellement d’espoirs n’est en définitive qu’une série d’occasions manquées. Que dire de la « résignation » quasi unanime des Conventionnels, à l’exception notable de Pervenche Berès, face à un texte qui a largement été remanié au cours de la CIG de juin dernier, aux gré d’intérêts sectoriels qui ont une fois de plus sacrifié la reconnaissance de droits sociaux, pourtant chèrement reconnus comme tels avec l’adoption de la Charte des Droits fondamentaux ?
Le passage à 25 dont on aurait dû faire une chance n’y est synonyme que de difficultés, de contraintes, de paralysie. Qu’en sera-t-il demain, à plus de trente ? Le dépassement de l’Europe marché ne s’impose qu’à travers quelques formules qui se révèleront bientôt extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Et encore, les objectifs fixés à la Banque Centrale Européenne n’ont-ils même pas été complétés ! Cette Europe-là n’est assurément pas celle dont nous rêvions.
Notre génération, bercée par les avancées fondamentales d’un moteur franco-allemand consolidé, par l’ancrage de la solidarité Nord-Sud dans et au-delà du continent européen, par l’idée d’une identité stratégique européenne jumelle d’un lien transatlantique rééquilibré, cette génération-là peut-elle se satisfaire des arguments de la résignation et du défaitisme, qui n’hésitent pas à invoquer le risque du retour en arrière voire d’un chaos généralisé...A l’échec de la CED en 1954 a pourtant bien succédé le traité fondateur de 1957 !
Un « non » partagé par beaucoup de citoyens français et chez nombre de nos voisins, sera ainsi générateur de cette même énergie constructive, qui a permis, « pas à pas », de proposer le mieux disant et non accepter à l’aveugle, voire par délégation à ceux qui prétendent maîtriser les enjeux cachés de la construction européenne. Cette dernière ne pourra se faire, in fine, que par la reconnaissance de la suprématie de la souveraineté populaire qui fonde la démocratie et ancre la République, comme garante des droits et devoirs des citoyens.
Faudrait-il donc accepter, malgré tout, ce traité constitutionnel, en se berçant du vague espoir de perfectionnements à venir, ou se donner les moyens de se battre pour notre ambition européenne ? Faut-il s’empêcher de dire « non », de peur que l’on nous croie incapables de dire « oui » ? Faut-il se résigner à un mauvais acquis au motif que le meilleur demandera bien du courage et bien de la ténacité ? Les convictions qui sont les nôtres, républicains progressistes, exigeants et volontaires, attachés au projet d’une Europe puissante, démocratique et solidaire ne sauraient laisser place à l’ombre d’une hésitation. Et aujourd’hui, en faisant le choix de la discussion, en confrontant l’ampleur de leur ambition à des craintes légitimes, en affirmant avec force l’urgence du débat et l’importance de leur décision, ceux qui portent le non au sein du Parti socialiste et ailleurs renouent avec l’idée que nous nous faisons de la politique.
Ils ont plus que notre estime, ils ont notre soutien et connaissent notre détermination à ancrer l’idéal républicain, essentiellement fondé sur la liberté de choix, au cœur du débat européen. Nous serons à leurs côtés, pour répondre à cette interrogation fondamentale : êtes vous pour un projet européen partagé, car assimilé, ou pour un simple ensemble quantitatif, statistique, géographique, bref une « chimère » aux yeux des vrais enjeux qu’offrent la complexité du monde ?
Emmanuel Dupuy est Secrétaire Général de l’Union des Républicains Radicaux (U2R), Diane Le Béguec, ancienne Secrétaire Générale du Pôle Républicain, et Emmanuel Saussier, Président de l’Union des Jeunes Républicains (UJR)
Commentaires