La démocratie participative à l’épreuve de la commission Thélot
par
popularité : 1%
La démocratie participative à l’épreuve de la commission Thélot
Par Eric Ferrand et Paul Baquiast
On a beaucoup glosé sur le rapport Thélot et ses propositions sur l’Ecole. On a tout dit à son sujet et son contraire. Les auteurs qui s’expriment ici ont d’ailleurs publiquement fait part, pour l’un, de son adhésion globale, pour l’autre de ses vives réticences, voire de son opposition totale à certaines recommandations (Cette situation fonde d’ailleurs l’originalité de leur démarche). Or, on a peu vu que ce qui restera du rapport, d’ici une dizaine d’années, ce seront moins peut-être ses propositions sur l’Ecole que l’expérimentation d’une forme de démocratie participative qui, si elle devait perdurer, serait de nature à renouveler profondément la pratique politique dans le pays.
Lors de la remise du rapport de la commission au premier ministre, le 12 octobre, Claude Thélot y a lui-même insisté : « cette démarche novatrice pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres sujets fondamentaux pour notre société et constituer une réponse à l’affaiblissement de nos procédures démocratiques habituelles. »
De quoi s’agissait-il ? De renouer le lien entre les Français et leur Ecole et, plus concrètement, d’amorcer la réflexion sur la prochaine loi d’orientation amenée à remplacer celle de 1989. Pour cela, il a été décidé de faire débattre les Français. La chose est suffisamment nouvelle pour mériter d’être signalée. A la différence du travail classique de commission, il faut le reconnaître, on ne s’est pas contenté d’écouter les organisations professionnelles ou catégorielles et les experts, tout en gardant une oreille attentive aux commentaires et analyses des éditorialistes : par delà les relais d’opinion classiques, c’est chacun des citoyens qui cette fois a été convié au forum.
Débattre, c’est échanger des arguments. C’est affirmer les siens mais également entendre ceux des autres et être prêt à changer d’avis. Pour que le débat ne vire pas à la discussion du café du commerce, encore faut-il savoir de quoi l’on parle. C’est pourquoi la commission a dans un premier temps élaboré des documents préparatoires, dont chacun a pu s’accorder sur la qualité, posant les données essentielles et les problématiques.
Faire débattre les Français, c’était aussi s’assurer de la participation la plus large et la plus diversifiée. D’où le choix de débats organisés par les circonscriptions primaires et les établissements secondaires, mais aussi dans les sous-préfectures et sur un site dédié sur l’Internet. Au total, 1,5 millions de personnes ont participé, ce qui est à la fois très impressionnant et évidemment trop peu par rapport au nombre de personnes directement concernées par les questions scolaires.
Cette parole des Français, il fallait ensuite en rendre compte. En avril 2004, la commission a publié un document essentiel malheureusement trop peu remarqué : le miroir du débat. Plutôt que de passer les comptes rendus de réunions à la moulinette édulcorante des synthèses de synthèses, la commission a tenté, accordons lui ce mérite, de refléter la diversité de ce qui s’était dit. Ce document est plus important peut-être que le rapport lui-même, dans la mesure où il est le reflet de la réflexion du pays, dans ses lignes de forces, ses lignes de fractures et ses contradictions. Au terme du débat, la commission a clôt son travail d’organisation pour amorcer son travail de réflexion. L’objectivité a alors fait place à une subjectivité critiquable à bien des égards, mais qui, après tout, pourrait être la finalité assumée d’un tel processus. Après avoir entendu les Français, la commission a défini ce qui lui est apparue être les préoccupations majeures du pays. Renouant alors avec les méthodes classiques du travail de commission, elle a auditionné experts, organisations et associations puis a délibéré en son sein pour formuler ses propositions au premier ministre. Bien des confusions n’en ont pas été levées pour autant. C’est pourquoi le débat national et le rapport de la commission Thélot ne peuvent avoir de sens que comme préambules, et seulement comme préambules, au débat parlementaire : débat que le citoyen sera d’autant mieux à même de comprendre qu’il se sera lui-même investi dans la réflexion ; débat qui devra prendre en compte les attentes de l’opinion et les propositions de la commission, peut-être pour les mettre en œuvre, mais peut-être aussi pour les interpréter, voire les critiquer et les combattre ; débat, surtout, qui devra rester inscrit dans le cadre de la démocratie représentative. Car pour décriée quelle soit, celle-ci demeure une forme indispensable de la démocratie en ce qu’elle repose sur des méthodes de travail permettant l’émergence du sens et sur la double responsabilité des élus devant leurs mandants mais aussi devant leur conscience. Articulée à la démocratie représentative mais ne s’y substituant pas, la démocratie participative est potentiellement une voie féconde de renouvellement de la vie politique. A condition, ne nous y trompons pas, de s’inscrire dans les règles illustrées par les méthodes de la commission Thélot. Des dérives sont en effet possibles qu’illustrent ça et là les consultations d’opinion par voie de sondage ou de questionnaires d’entreprises : a consulter la population sans méthode, on s’expose au risque de démagogie (suivre l’air du temps) comme à celui de manipulation (faire légitimer par l’opinion des décisions prises à l’avance). L’expérience démocratique amorcée par le débat sur l’Ecole ne doit pas se terminer. Le parlement est souverain et vote la loi, mais l’expression citoyenne doit continuer à se faire entendre, notamment par le biais du forum sur le site Internet dédié : www.loi.ecole.gouv.fr, qui reste ouvert à l’expression. Que les Français en profitent et expriment leurs sentiments sur les projets en cours ! Comme si souvent au cours de l’histoire de la République, c’est au sujet de l’Ecole que se joue l’avenir de notre démocratie et le renouvellement de ses pratiques.
Eric Ferrand est Maire adjoint de Paris chargé des Affaires scolaires, Conseiller régional d’Ile-de France ; Paul Baquiast est Principal adjoint de collège, Secrétaire général de l’Union des Républicains Radicaux (U2R)
Commentaires