CONTRIBUTION A UNE HISTOIRE DU FADO À PARIS
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Le fado, musique née dans les bas-fonds de Lisbonne voici un peu plus d’un siècle et demi, cousin germain du tango argentin, autre musique portuaire, bénéficie d’une certaine vogue en France et notamment à Paris. Au-delà des concerts des vedettes du genre lors de leurs tournées, des cercles d’amateurs de fado se retrouvent régulièrement pour partager des après-midi ou des nuits dédiés au fado. Comment, où et quand ils se sont constitués, où les trouver aujourd’hui, telle est l’ambition, modeste, de cette contribution, qui ne demande qu’à être enrichie par les informations, les mémoires, les souvenirs de toutes celles, de tous ceux qui apprécient, connaissent ou pratiquent cet art élégant et populaire.
Après Amalia Rodrigues, des interprètes de la « nouvelle génération » du fado remplissent aujourd’hui, parfois plusieurs fois l’an, les salles de concert parisiennes : Mariza (Bataclan, salle Pleyel, Cirque d’Hiver), Cristina Branco (Olympia), Katia Guerreiro, Camané (Théâtre des Abbesses, Trianon), Aldina Duarte (Trianon), Mafalda Arnauth (Cité de la Musique, Trois Baudets), les jeunes Ana Moura (Abbesses, La Cigale, Alhambra) et Antonio Zambujo (Abbesses, IMA), sans même compter Misia, qui résida quatre années à Paris ou dans un genre différent Bevinda, arrivée en France dans sa prime enfance. Une large part de leur public n’est pas d’origine portugaise. Effet de mode ? Talents exceptionnels apparus en même temps ? Attrait durable pour les « musiques du monde » qui profite aussi au fado ? Sans doute tout cela en même temps.
Mais il est un autre aspect de la pratique du fado à Paris et dans ses environs, qui est intimement lié à la présence d’une communauté portugaise nombreuse, qui a peu a peu créé ses réseaux associatifs, ses cafés et restaurants, autant de lieux ou se chante, régulièrement ou occasionnellement, le fado.
1. LES PRECURSEURS
Le premier lieu dédié au fado à Paris fut le club-restaurant justement appelé O Fado ouvert par la chanteuse Clara d’Ovar en 1958, rue de Verneuil. Familière des milieux artistiques, Clara d’Ovar, assistée de son frère Zeni, sut attirer sans son établissement des vedettes de l’époque : Line Renaud, Françoise Dorléac, Fernandel, entre autres en franchirent les portes. Et Amalia Rodrigues y faisait escale lors de ses passages à Paris. Outre Clara et Zeni, des figures du fado lisboètes sont contractées : Maria Albertina y passera deux saisons, on y entendra aussi Rui de Mascarenhas ou Madalena Iglesias. les guitaristes sont prstigieux : Jaime Santos, puis Domingos Camarinha, accompagnés par la viola d’ Americo Silva. Lieu à la fois chaleureux et mondain, ce club n’était pas rattaché aux milieux de l’immigration. Une décision malheureuse de le transférer de Saint-Germain des Prés au quartier plus gourmé des Champs-Elysées lui fut fatale.
Il faudra attendre la deuxième moitié des années 1960 pour voir apparaître deux nouveaux lieux de fado. L’un, le Ribatejo, café-hôtel-restaurant, situé rue Planchat, non loin de la place de la Nation, proposait le fado en fin de semaine à une clientèle quasi exclusivement portugaise. L’autre, le Portugal, à deux pas des Folies Bergères, visait une clientèle plus aisée des milieux portugais de la capitale.
Le Ribatejo
Hôtel sans étoile, accueillant, dans des conditions parfois sommaires, une population de migrants portugais, muni d’un café-bar, O Ribatejo est créé et géré par José Lopes, o Lopes, disparu dans les premières années de ce siècle. Dans les premiers temps (milieu des années soixante), le lieu a tout de la taverne populaire des vieux quartiers de Lisbonne, odeurs de sciure et de vin inclus. Au fil des ans, le lieu s’agrandira et le fado sera transféré dans une salle du sous-sol, dont la décoration sera améliorée au fil des ans. Le fado aura droit de cité au Ribatejo jusqu’à la deuxième moitié des années 1970. L’animation musicale du lieu se poursuivra encore quelques années, avec le guitariste et chanteur José Machado, décédé brutalement en 2008, dans un répertoire de chansons de variétés. Nous retrouverons au cours de cette contribution José Machado, qui, davantage en tant que musicien que chanteur, fut présent longtemps dans le milieu du fado. Mais revenons à l’époque de la taverne. Le Ribatejo bénéficie alors de la présence d’un grand chanteur de fado, malheureusement tombé dans l’oubli : Joaquim Silveirinha.
Son histoire mérite d’être contée, tant elle illustre une certaine tradition fadiste. Joaquim Silveirinha est le fils d’un patron pêcheur de Costa de Lavos, un village proche de Figueira da Foz, au centre du Portugal. Au grand dam de son père, il part vivre sa vie à Lisbonne et entre dans le milieu du fado. Dans les années 50, le fado est encore un milieu interlope (rappelons ici que, en ce temps, « fadista » veut aussi bien dire chanteur de fado que proxénète). Joaquim Silveirinha se fait vite remarquer, on lui attribue le sobriquet de « rossignol de Madragoa » (quartier de Lisbonne). En ce temps là, comme disait l’autre, il y a encore une mode fadiste : les cheveux sont gominés, certains, tel Filipe Pinto, une star de l’époque, rougissent leurs lèvres. Le père Silveirinha ne décolère pas de savoir son fils hanter les nuits lisboètes, au milieu, selon lui, de « femmes de mauvaise vie », ce qui n’est pas tout à fait faux, où l’alcool coule à flots. Plusieurs fois, il menace de déshériter celui qu’il considère comme un fils indigne. Joaquim fait un serment lorsque la santé de son père s’altère : à la mort de celui-ci, il quittera le milieu du fado.
Il tient parole, ou presque. Il émigre loin de Madragoa, à Paris, avec sa compagne qui deviendra sa femme. Ouvrier chez Renault, puis dans un laboratoire pharmaceutique, il resterait loin du fado, s’il n’y avait pas le Ribatejo. Il y chantera chaque fin de semaine jusqu’à ce que sa santé ne lui permette plus de le faire. Au soir de sa vie, il espérait, retraite venue, repartir au Portugal, dans la magnifique maison de famille de Costa de Lavos, où à l’époque la seule rue goudronnée est la rue Silveirinha, que son père a créée. La maladie ne le permettra pas et c’est à Paris que Joaquim Silveirinha décède. « Essa historia é tão fadista », dira l’auteur de ces lignes, qui a choisi son pseudonyme de littérateur en hommage au « rossignol de Madragoa ».
Fadiste exigeant, scrupuleusement dans la tradition, ennemi des effets de voix ou de gestes, bien que doté d’un puissance vocale étonnante, calé derrière ses guitaristes, Joaquim Silveirinha est un maître du fado « castiço », le fado typique. Ses manières simples, son goût des soirées entre amis, l’ont fait apprécier de nombreux amis. Contrairement à d’autres fadistes de son temps, tel Carlos Ramos , décédé avant lui et qui continue de marquer l’histoire du fado, il a disparu de beaucoup de mémoires. Aujourd’hui, rares sont ceux qui s’y réfèrent : Nuno de Aguiar, toujours en activité, s’en est beaucoup inspiré, revendiquant même le surnom de « Silveirinha Junior ». Chez les chanteurs amateurs, le français Jean-Luc Gonneau a repris deux fados du répertoire de Joaquim Silverinha. L’une figure sur le CD hors commerce édité par Résistance 7e ART et la Gauche Cactus. Il laisse une discographie peu abondante : quatre 45 tours enregistrés au Portugal, introuvables, mais dont trois ont été réédités en CD dans une collection dédiée aux fadistes des années 1950 à 1980. Deux enregistrés en France sont introuvables eux aussi.
Au Ribatejo, Joaquim Silveirinha est accompagné par deux musiciens talentueux. A la guitare portugaise (guitarra, que nous nommerons ainsi dans ce qui suit), Robles Monteiro, musicien autodidacte et sensible, joyeux fêtard par ailleurs, virtuose d’un genre en disparition (sauf peut-être en milieu rural, sur d’autres musiques que le fado), le « fado ao desafio », où deux interprètes improvisent et se répondent, souvent sur des paroles grivoises. A la guitare « espagnole » (viola, que nous nommerons ainsi dans ce qui suit), Antonio Pires Ascenção, « o To Moliças », également auteur et compositeur de fados et de chansons. Robles, à la ville, travaille à l’agence de voyages Wasteels, To Moliças est carrossier chez Matra. Encore aujourd’hui, les artistes de fado ont, à de très rares exceptions près, un autre métier. Ce sont, en quelque sorte, des semi-professionnels. Robles Monteiro sera emporté dans la fleur de l’âge par un cancer fulgurant (ce sera aussi le cas de José Machado trente années plus tard). To Moliças décidera de rentrer au Portugal peu après le 25 avril 1974. Il y mènera diverses activités, de la carrosserie à l’élevage de poulets, mais surtout en tant que musicien, accompagnant régulièrement le fadiste Rodrigo, très connu au Portugal, et surtout la grande Amalia Rodrigues à la fin de la carrière de celle-ci, se spécialisant alors dans la viola baixa (la guitare basse). On le vit ainsi lors du dernier concert donné par Amalia à l’Olympia à Paris. Il continue aujourd’hui, assez régulièrement, à accompagner des fadistes (Nuno de Aguiar, la jeune Ana Sofia Varela…), et fabrique artisanalement des violas. Il se lancera deux fois dans la création d’une maison de fado, à Estoril. Alfredo Marceneiro fut un visiteur régulier de la première. La toute jeune Mafalda Arnauth fit ses débuts dans la seconde. Les deux furent malheureusement éphémères.
Après le retrait de Joaquim Silveirinha, de Robles Monteiro et de To Moliças, divers artistes prirent la succession. Certains venaient du Portugal, pour quelques semaines ou quelques mois (Nuno de Aguiar, Adriana Franco, José Da Cruz, Isaura Gonçalves, le guitariste Manuel Ferreira…), d’autres issus de l’immigration (Joaquim Botelho, décédé en 2009, Manuel Boavida et Alves de Oliveira, toujours en activité, les guitaristes José Ramos, José Meneses, Arem Pinto, également chanteur, José Machado, tous disparus, …). Comme dans la plupart des lieux de fado à Paris, le Ribatejo proposait un artiste et deux guitaristes sous contrat, mais chaque convive pouvait chanter le fado. Ce sera par exemple le cas de Maria da Luz, qui rencontra To Moliças au Ribatejo et en devint l’épouse, interprète sensible (un 45 tours enregistré en France, dont un duo avec Joaquim Silveirinha l’atteste, quoique aujourd’hui introuvable), qui cessera malheureusement de chanter en public après le retour du couple au Portugal. Ce sera aussi le cas de Jean-Luc Gonneau, qui fut un client assidu de l’établissement. On y voyait aussi régulièrement Zeni d’Ovar, le précurseur du fado à Paris, admirateur inconditionnel d’Amalia Rodrigues, dont il fut un ami proche, auteur de poèmes, assistant réalisateur et décorateur de cinéma (entre autres sur Changer la vie, de Paulo Rocha, Le passé et le présent, de Manoel de Oliveira…), et fadiste sincère. Une compilation de ses enregistrements et un album dédié à Amalia ont récemment été édités en CD. On y entend les guitaristes Manuel Corgas et José Machado. Zeni s’est depuis peu installé au Portugal, dans sa bonne ville d’Ovar. Pendant quelques années, il y eut fado tous les soirs au Ribatejo. Mais peu à peu, le fado y deviendra épisodique, avant de disparaître des activités de l’établissement. José Lopes en cédera la direction à sa fille, Marie Myriam, qui fut lauréate d’un grand prix de l’Eurovision mais ne s’aventura jamais sur les terres du fado. Transformé en Auberge de Marie, l’ancien Ribatejo a été cédé en 2008 à de nouveaux gérants pour en faire un bar qui s’espère branché.
Le Portugal
Le patron de ce restaurant situé rue de Trévise, Jeronimo Gonçalves, un ancien boxeur, voulut faire les choses en grand. Un lieu confortable, une cuisine soignée, et un programme alléchant. Il fit par exemple appel à deux guitaristes virtuoses : Domingos Camarinha, à la guitarra, l’un des plus respectés de sa génération, et Castro Mota à la viola, venu des orchestres de variétés et des (rares en ce temps) formations de jazz portugaises, solide rythmicien et joyeux compagnon, contrastant avec l’austérité courtoise de Camarinhas. Tous deux furent les accompagnateurs d’Amalia Rodrigues à sa grande époque. Comme les musiciens, les chanteurs venaient aussi de Lisbonne : Beatriz da Conceiçao, aujourd’hui l’une des divas du fado, Candida Ramos, qui se produisait dans les meilleures maisons de fado lisboètes, et Francisco Martinho, autre fadiste de renom, connu entre autres pour ses duos avec l’un des maîtres du fado, récemment disparu, Fernando Mauricio.
Contrairement au Ribatejo, implanté au début dans l’immigration populaire, le Portugal visait une clientèle aisée d’hommes d’affaires et de diplomates. On y donnait du fado cinq jours sur sept. Jeronimo Gonçalves ne put tenir longtemps son pari très audacieux. Les coûts, importants pour un restaurant de taille moyenne, de ses artistes, auxquels s’ajouta une jalouse passion, non partagée, du patron pour Beatriz da Conceiçao (« outra historia tão fadista ») eurent raison du projet au bout d’une saison. Le Portugal inaugurait une longue série d’établissements présentant du fado qui ne connurent qu’une existence éphémère.
2. LES LIEUX DISPARUS
La Cour des Miracles
En 1969, le chanteur Helder Antonio et son compagnon ouvrent une maison de fado en face de l’actuel Centre Pompidou, alors en chantier. Le cadre est ravissant, dans cet édifice datant du quinzième siècle. La Cour des Miracles commence sa brève carrière, faisant venir de Lisbonne deux musiciens remarquables, Domingos Camarinha, déjà cité, et, à la viola, Américo Silva(1), qui se produisait dans les plus huppées maisons de fado à Lisbonne. Outre Helder Antonio, des habitués s’y produisirent fréquemment (Zeni d’Ovar, Jean-Luc Gonneau…). Louise Verreault, québecoise férue de fado, participa un temps à l’équipe de la salle. Le champagne y coula à flots (et coula même la maison), avec des clients parfois excentriques, tel Wladimir Kovalski, qui dirigea à Lisbonne un compagnie de ballets russes… dont les danseuses étaient presque toutes portugaises, et bambocheur impénitent. Fado tous les soirs. Il arriva ce qui devait arriver : les coûts des musiciens devinrent prohibitifs pour l’équilibre de l’établissement. Domingos Camarinha et Américo Silva repartis à Lisbonne, Helder Antonio débauche, à la grande fureur de José Lopes, le patron du Ribatejo, ses musiciens, Robles Monteiro et To Moliças, et son cuisinier. Cela fit du ramdam. Il y eut des accusations mutuelles et même, dit-on, des caillassages.
Afin d’équilibrer les comptes, deux des trois sous-sols furent aménagés en discothèque, avec une clientèle essentiellement gay. Ce fut le début de la fin pour le fado, et n’évita pas la banqueroute. Jean-Luc Gonneau raconte : « Helder et Bernard m’avaient demandé un coup de main pour regarder leurs comptes. On ne comprend pas, disaient-ils, nous gagnons de l’argent un jour sur deux et en perdons l’autre jour, ça devrait s’équilibrer. Un rapide coup d’oeil suffit pour voir que les jours de gains produisaient un résultat minime, tandis que les jours de perte étaient plutôt salés. Il fut convenu que je revienne le lendemain pour faire un inventaire plus précis. La porte était close, des scellés mis, la Cour des Miracles avait vécu, à peine deux ans ».
Des projets éphémères
Entre 1970 et la fin des années 1990, d’assez nombreux lieux tentèrent de proposer du fado. Beaucoup furent éphémères, durant quelques mois, au mieux un peu plus d’un an. Citons, liste non exhaustive, Sol e Sombra, avec le guitariste Adriano Dias et Arem Pinto à la viola, dans le cinquième arrondissement, un autre dont le nom nous échappe, qui dura quelques mois malgré une ambiance agréable, dans le quartier des Halles. Citons encore le restaurant Le Tonneau, à Saint Maur, qui aménagea une partie de ses locaux en « Clube Amalia » pour y donner du fado vadio (2) une fois par semaine, avec Robles Monteiro et To Moliças aux guitares, pendant environ un an. Plus récemment, à Saint Maur toujours, le restaurant Don Cesar faisait de même, une fois par mois (Manuel Silva à la guitarra). Plus récemment encore, l’Europa, à Ivry, ne produisit du fado que quelques mois.
D’autres bénéficièrent d’une longévité plus importante
Le Fado
Le Fado fut installé rue du Roi d’Alger dans le 18e arrondissement. Une première gérance proposa du fado, d’abord sous le nom de O Lisboa, puis celui de Le fado en 1981. Financé par un entrepreneur présent dans diverses activités dont, à l’époque, l’agence de voyages Lusitania, c’est la chanteuse Deolinda Rodrigues qui en fut l’animatrice. Manuel Miranda fut l’un des premiers guitaristes à se produire dans l’établissement, ainsi que le violiste Adriano Dias. En 1985, le relais est pris par Mario Melo, associé notamment au chanteur Sousa Santos, qui proposeront du fado pendant un peu plus d’un an, plusieurs fois par semaine. Avec Manuel Miranda à la guitarra et José Machado à la viola, le Fado fut un lieu haut en couleurs, attirant même les « brésiliennes » qui, à l’époque, travaillaient sur les trottoirs de l’arrondissement. Car si les lieux de fado franciliens ferment en général entre minuit et une heure du matin, le Fado, lui, avait l’autorisation d’ouverture jusqu’à trois heures. Et les initiés savaient que l’on pouvait y accéder, une fois le rideau tiré, par la sortie de secours qui donnait dans le couloir de l’immeuble. Des bisbilles entre associés mirent fin à l’aventure, mais d’aucuns gardent le souvenir de nuits mémorables (et disons-le franchement, fortement arrosées), de fado vadio. Une tentative de reprise du fado eut lieu en 1989, sans lendemain.
Saudade (Versailles)
D’autres établissements s’installèrent davantage dans la durée. Ce fut notamment le cas du Saudade, à Versailles, sous la férule joviale d’ « o Agostinho », à la moustache napoléonienne (le troisième). En 1978, il propose à des artistes de Lisbonne de se produire pendant un mois. Le chanteur Filipe Pinto, continuateur d’une tradition de « fado de charme » dont un des grands noms fut Tony de Matos, arrive accompagné de Carlos Macedo à la guitarra et Casimiro Silva à la viola, ces deux derniers également chanteurs. Après ce contrat, Filipe Pinto s’en retourna à Lisbonne, Carlos Macedo fit quelques aller-retour entre Paris et Lisbonne, où il continue à se produire régulièrement, ayant notamment tenu la guitare pendant de longues années au très couru restaurant de fado Senhor Vinho, l’un des plus réputés de Lisbonne, maison de la chanteuse Maria da Fé, et où débutèrent, toutes jeunettes, Mariza et Ana Moura, entre autres. Casimiro Silva, lui, resta à Paris, s’y maria et est aujourd’hui un pilier des nuits de fado franciliennes. Avec des artistes venus de Lisbonne (les chanteuses Isaura Gonçalves, qui vécut quelques années à Paris au début des années 70, et Vicenzia Lima, une habituée des bonnes maisons de fado lisboètes) ou venant de l’immigration (les guitariste José Ramos, Alberto Maia, le violiste Adriano Dias, resté sept ans dans l’établissement…), le Saudade proposa du fado pendant une dizaine d’années. On y passa d’agréables soirées fort conviviales. Agostinho ferma ensuite son restaurant, pour se consacrer à l’importation et la distribution de produits portugais. Entre temps, il reprit pendant un an la gérance du Ribatejo, mais l’expérience tourna court, José Lopes préférant donner les clés de l’établissement à sa fille, tout en faisant, lui aussi, dans l’importation et la distribution de produits portugais.
Avril au Portugal
Avril au Portugal, dans le neuvième arrondissement, ouvre en avril 1982 avec la chanteuse Deolinda Rodrigues, sa collègue Maria-José Valerio, venue de Lisbonne et les musiciens Manuel Miranda (guitarra) et Casimiro Silva (viola). Divers artistes s’y produiront, dont les chanteurs Zeni d’Ovar, un temps directeur artistique, et Joaquim Campos, les guitaristes Carlos Macedo, Francisco Carvalhinho, Pedro Machado. Des vedettes du fado lisboètes y passèrent lors d’escales à Paris : Amalia Rodrigues, Carlos Do Carmo, Tony de Matos, Antonio Calvario… En 1985, Avril au Portugal devint (logiquement) Escale au Portugal avant de disparaître en 1987.
O Patio das Cantigas et O Palacio das Guitarras
La chanteuse Maria Galhardo, plus spécialisée dans la variété que dans le fado, fut plus obstinée, ouvrant, sous des enseignes (Palacio das Guitarras, Patio das Cantigas…) différentes et en des lieux différents (Levallois, boulevard Ney à Paris, quartier Saint-Lazare), avec le concours du chanteur Joaquim Campos (3) . A la toute fin des années 1980, et pendant neuf ans, le Patio das Cantigas proposa du fado, parfois tous les soirs. Les guitaristes José Ramos, Manuel Corgas et Flaviano Ramos y jouèrent, et Filipe De Sousa, à peine sorti de ses études musicales, y débuta fin 1998, peu avant la fermeture de l’établissement (celui-ci conserva son nom pendant une dizaine d’années, mais sans y proposer de fado). Maria Galhardo transféra son activité à Levallois : le Palacio das guitarras, avec Joaquim Campos, Filipe De Sousa à la guitarra et Flaviano Ramos à la viola, proposa du fado deux ans durant. Plus récemment, une tentative de Maria Galhardo, dont il faut saluer l’opiniâtreté, de proposer du fado dans le quartier Saint-Lazare n’a pu s’inscrire dans la durée.
L’Express
Autre établissement installé dans la durée, l’Express (O Expresso), café restaurant populaire où le gérant de l’époque, « o Oliveira », donna du fado en fin de semaine, à partir de 1979. La fadiste Cinda Castel en fut un pilier. Oliveira céda progressivement la gérance de l’établissement à Nuno Alves, « o senhor Alves » entre 1982 et 1984, qui continua le fado encore longtemps, jusqu’en 1996. On y entendit alors, entre autres, Sousa Santos, Mario Saraiva, fadiste de qualité, à la voix rauque et prenante, qui resta un peu plus d’un an en France avant de repartir au Portugal, Cinda Castel et d’autres dans des soirées de fado vadio avant de prendre la gérance du Parc, quelques mètres plus loin dans la rue Cardinet à Paris 17e. Le Parc propose toujours des soirées de fado. Oliveira dirigea pendant quelques mois, après l’Express, le restaurant Les Jardins du Portugal, à Boulogne-Billancourt, où il donna du fado pendant cette courte période. Passant de mains en mains, l’Express reprit, pendant quelques mois, le fado avec une nouvelle gérance, (parmi les artistes programmés, Conceição Guadalupe, Julia Silva, et, à la guitarra, José Rodrigues), avant qu’il devienne un restaurant français. Début 2009, l’Express est redevenu « portugais », sous la houlette de Ruy Alves. Depuis octobre 2009, l’Express propose de la musique de variétés en fin de semaine, et renoue depuis novembre avec le fado les dimanches en soirée, avec les fadistes Julia Silva et Sousa Santos, accompagnés à la guitarra par Manuel Corgas et à la viola par Flaviano Ramos, avec aussi des artistes invités et du fado vadio. Fin 2011, Ruy Alves a ouvert au fado chaque vendredi un autre établissement, O Lusitano, à Clamart. Début 2012, chassé par la spéculation immobilière, l’Express ferme ses portes
O Beirão
Le Beirão, rue Lecuyer à Saint Ouen, fut ouvert par Alfredo « o Beirão » au milieu des années 90. Fin cuisinier, Alfredo sut se constituer une clientèle, et ses soirées de fado, le dimanche soir, réunirent un public nombreux, parmi lesquels les fidèles de la vie fadiste parisienne. Chaque dimanche, un artiste invité y côtoyait ses consoeurs ou confrères ainsi que les chanteurs amateurs du fado vadio. Presque tous les fadistes de la région se sont produits au Beirão : Ana Paula, Cinda Castel, Claudia Costa, Conceição Guadalupe, Eugenia Maria(4) , Jenyfer, Julia Silva, Mané Santos, Susana Lopes, Liza Maria(5) , Manuel Boavida, Joaquim Botelho, Carlos Neto, Diogo Rocha, Joaquim Campos, Paulo Manuel, Sousa Santos et d’autres encore, la mémoire de l’auteur ayant des défaillances dont il tient à s’excuser. A la guitarra, Manuel Corgas fut remplacé par Filipe de Sousa. A la viola, Casimiro Silva fut un fidèle pilier de la maison. Parmi les clients du fado vadio, Zeni d’Ovar, le pittoresque « Senhor » Ramos, l’élégant et sensible Hugo Manuel, Fernando Rosa, Maria José, les français Karine Bucher et Jean-Luc Gonneau s’y firent entendre fréquemment. Là aussi beaucoup d’autres ont échappé à notre mémoire.
Au printemps 2008, Alfredo, qui souhaitait vendre son fonds depuis quelques temps, ne trouvant pas de repreneur portugais, cède le Beirão à trois associés libanais, qui s’engagent à continuer les soirées de fado du dimanche soir. Rapidement, deux des trois associés se retirent, laissant Charbel Aphram seul à tenir la barre. Courtois et sympathique, celui-ci, ignorant tout des milieux portugais et des métiers de la restauration (il est conseiller financier), ne parvient pas à conserver la clientèle : c’est en effet une occupation à plein temps, ce qu’il ne peut assumer. De plus, l’Europa, restaurant-bar d’Ivry, jusque là plutôt tourné vers des activités de dîners dansants va tenter de capter une partie de la clientèle du Beirão en organisant lui aussi de soirées de fado le dimanche soir. Cette expérience ne durera pas, mais compliqua plus encore la tâche de Charbel Aphram. Malgré l’appui de Conceição Guadalupe, de Casimiro Silva et de Jean-Luc Gonneau, la fréquentation diminue de plus en plus. Ce dernier, en décembre 2008 mobilisera les réseaux de Résistance 7e Art, de la Gauche Cactus et de Léo Lagrange Paris pour organiser une soirée de fado avec, outre lui-même et Conceição Guadalupe, Karine Bucher et Hugo Manuel, Filipe de Sousa et Casimiro Silva, et où apparut inopinément la grande Mariza pour un fado d’anthologie, et avec la participation de Paulo Manuel et de Carlos Neto. Le Beirão, ce soir là, comme aux plus beaux jours, affichera complet. Succès malheureusement sans lendemain. En mars 2009, Charbel Aphram met les clés sous la porte après avoir vainement cherché un repreneur portugais. Un des hauts lieux du fado parisien a cessé de vivre.
Chez Claudia Maria
En 1981, Claudia Maria ouvre le restaurant qui porte son nom et propose du fado en fin de semaine. Elle y chante et est accompagnée pendant près de trois ans par le guitariste José Rodrigues, frais arrivé de Lisbonne où il officiait dans les maisons de fado et, à la viola, par José Machado. Le fado s’y maintint pendant une demi décennie environ. José Rodriguès continue aujourd’hui sa carrière en France, et José Machado est décédé en 2007, victime d’un cancer foudroyant.
On le voit, à l’instar de bien des activités nocturnes, il n’est pas facile de pérenniser une maison de fado à Paris. Si les concerts des stars du fado attirent de plus en plus de français, ce n’est pas assez le cas des restaurants qui offrent du fado. La communauté portugaise, le plus souvent d’origine rurale ou du nord du pays n’est pas attachée au fado aussi communément que les lisboètes. Et les jeunes lusodescendants sont le plus souvent davantage attirés par le rock et les musiques de danse à la mode que par le fado. Cependant, on le verra, une nouvelle génération commence à apparaître sur la scène du fado parisien, des lieux perdurent ou se créent.
L’équilibre économique d’une soirée de fado n’est pas facile trouver : les artistes (chanteurs ou musiciens) sont certes mal payés (en moyenne 100 euros, entre parfois 80 et rarement 150). En comptant trois artistes, il faut amortir ces cachets sur, en moyenne, trente à quarante couverts, tout en conservant des prix de repas raisonnables. Equation difficile à résoudre pour un exploitant de restaurant. Nous reviendrons à partir d’exemples plus précis sur ce problème.
3. LES CONCOURS DE FADO
Le premier concours de fado eut lieu en 1982, à l’initiative du restaurant Le Petit Cardoso, qui devint ensuite A Torre de Belem. L’idée fut reprise en 1986 par le guitariste Casimiro Silva, qui sollicita et obtint l’appui actif du chanteur Joaquim Campos. La Radio Portuguesa participa à l’évènement. Antonio Cerqueira, retourné depuis au Portugal, en fut le vainqueur en 1988. Chaque restaurant qui, à l’époque, présentait du fado, désignait, souvent par un mini concours interne, un participant à la finale. Celle de 1988 réunit des artistes dont beaucoup, vingt ans plus tard, sont toujours actifs à Paris (Alves de Oliveira, Sousa Santos, Manuel Miranda, l’alors tout jeune Paulo Manuel). Joaquim Botelho, disparu en 2009, figurait également parmi les concurrents.
Après dix années d’interruption, deux concours de fado furent organisés consécutivement en 1999 et 2000. La cheville ouvrière de ces manifestations fut le chanteur Joaquim Campos, avec l’appui de plusieurs restaurants portugais de la région, où se déroulaient les éliminatoires. La finale de l’un des concours eut lieu à l’Olympia. Le concours de 1999 eut pour lauréate Edite Maria, qui ne persévéra pas dans le milieu fadiste francilien. L’édition de 2000 couronna Conceição Guadalupe, devenue depuis l’une des artistes les plus actives des soirées portugaises, qu’elles soient dédiées au fado ou aux musiques dansantes de variétés. Parmi les autres candidats, signalons deux noms qui demeurèrent, en amateurs de soirées de fado vadio, parmi les assidus : Acacio Nunes, et Carlos Alberto.
4. LE FADO AUJOURD’HUI
Où entendre du fado aujourd’hui en Ile de France ? Comment s’en informer ? Que lire si on s’intéresse au fado ? Nous essaierons ici de donner quelques réponses (on trouvera sur notre site les coordonnées des établissements cités ci-dessous dans l’article Ou écouter du fado).
Outre les concerts donnés par les vedettes venues du Portugal, parfois annoncés par la presse nationale, parfois signalés par des affiches, toujours présentés par la radio et la presse de la communauté portugaise (voir infra), le fado « made in France » est présent dans un certain nombre de manifestations associatives ou culturelles, et dans des restaurants qui le donnent plus ou moins régulièrement.
Les associations
C’est principalement à partir des années 1960 qu’une vie associative intense a irrigué les communautés portugaises en France et dans d’autres pays européens. En France, on en compte plusieurs centaines, parfois regroupées en fédérations, parfois « indépendantes ». Les activités les plus fréquentes de ces associations sont les cours de langue (français dans un premier temps, et de plus en plus portugais à l’usage des deuxième et troisième générations), le sport (football essentiellement), les danses folkloriques (la majorité de l’émigration provient de régions rurales où les traditions folkloriques sont vivaces), les activités culturelles (expositions, théâtre parfois, littérature dans certains cas) ou festives (bals, banquets). Beaucoup d’associations organisent des soirées de fado, généralement au cours de banquets, parfois suivies d’un bal. La liste en serait fastidieuse. Les associations s’adressent avant tout à leurs adhérents et sympathisants. Leurs initiatives sont parfois annoncées par la radio et la presse communautaire. Il s’agit principalement d’un phénomène francilien, dans la mesure où la plupart des artistes du fado résident dans cette région, et où les coûts de déplacement ou de défraiement de ces artistes seraient lourds pour des associations de province. Certaines s’y adonnent cependant, n’hésitant pas, parfois, à faire venir des artistes du Portugal. Citons aussi, dans ce cadre non francilien, l’existence d’un groupe de musiciens (Lusomelodias) franco-portugais à Strasbourg, qui se produit régulièrement en Alsace-Lorraine, invitant à quelques concerts en 2009 le grand guitariste portugais Carlos Gonçalvès, longtemps accompagnateur d’Amalia Rodrigues.
Certaines collectivités locales, ou équipements culturels, en liaison ou non avec des associations, organisent des concerts de fado, faisant appel soit à des artistes venus spécialement du Portugal, soit à des artistes locaux. Une des premières initiatives de ce genre eut lieu en 1971 au Centre Culturel de l’Ouest Parisien de Suresnes, avec au programme Isaura Gonçalves, Joaquim Silveirinha accompagnés par José Ramos à la guitarra, et José Meneses à la viola. Il s’en est produit régulièrement, ici et là, depuis. Il n’est pas toujours aisé d’en avoir connaissance, même quand on est résident dans la commune d’accueil.
Les lieux de fado hebdomadaires
Cinq établissements en région parisienne présentent du fado chaque semaine, de septembre à mi-juillet. Nous avons déjà évoqué l’Express, récemment ressuscité, situé rue Cardinet à Paris, qui s’ouvre au fado tous les dimanche soir.
Coimbra do Choupal
A tout seigneur tout honneur, Coimbra do Choupal, aux Pavillons-sous-Bois (93) est maintenant la plus ancienne maison présentant du fado chaque semaine (le samedi soir et un dimanche après-midi sur deux) : l’endroit a fêté récemment ses vingt ans d’existence. C’est un lieu familial où le patron, Manuel Miranda, chante et joue à la guitarra, où son épouse Maria tient la cuisine, et où vient régulièrement chanter Maria Manuela, ancienne employée de la maison. C’est une maison de fado vadio le samedi soir. Le dimanche aussi, quoique s’y produise, en « bonus », un artiste invité.
Coimbra do Choupal est fréquenté régulièrement par la petite communauté des fadistes franciliens. Ici, on ne badine pas avec la tradition : le silence est de rigueur pendant les séquences de fado, ce qui n’empêche pas une grande convivialité entre ces séquences. Depuis toutes ces années, la viola était tenue (solidement) par Pompeu Gomes, « o Pompeu », qui a préféré depuis 2010 poursuivre sa carrière en divers lieux, la viola de la maison étant maintenant tenue en alternance par divers musiciens. Parmi les habitués les plus fidèles, citons le français Louis Agattan, récemment disparu. Longtemps employé à Air France, en poste en Afrique lusophone et à Lisbonne, il maîtrise parfaitement la langue portugaise et chante, dans le respect strict de la tradition, des textes de grande qualité. Il a peu avant sa mort, participé à une séquence d’un film long métrage, où il chante un fado accompagné par Manuel Miranda et Pompeu. Parmi les autres clients fadistes très ou assez réguliers, citons les artistes professionnels (6) Augusto Graça, Claudia Costa, João Rufino, Julia Silva, Luisa Reis (à la ville madame Pompeu), et les amateurs Fernando Rosas, Maria da Conceição, Miguel Faneca (fado de Coimbra) et les français Karine Bucher et Jean-Luc Gonneau.
Coimbra do Choupal accueille aussi les vedettes portugaises du fado lorsqu’elles sont de passage à Paris. Entre autres, Ana Moura, Antonio Chainho, Camané, Carlos Do Carmo, Jorge Fernando, Mariza ont déjà franchi la porte de Coimbra do Choupal, sous-titré par Manuel Miranda « la cathédrale du fado ». Surnom approprié grâce à la qualité de l’écoute du public, même si cette cathédrale a plutôt les dimensions d’une chapelle.
Le Parc
Depuis une trentaine d’années, Nuno Alves, « o Senhor Alves » est restaurateur rue Cardinet (Paris 17e). D’abord à l’Express (voir infra) puis, depuis 1996, au Parc, restaurant confortable. Pendant longtemps, le fado y fut hebdomadaire, voire bi-hebdomadaire, avec un artiste attitré pendant une saison. C’est Cinda Castel qui y oeuvra les premières années, puis, en 2002, la chanteuse Conceição Guadalupe fut plusieurs années la vedette maison, dans un répertoire de fado le samedi et de variétés le vendredi. Aux guitares officiaient alors Filipe De Sousa et le violista Flaviano Ramos. Le chanteur Sousa Santos lui succéda, tandis que la défection de Filipe De Souza, puis le retour au Portugal (momentané, il est ensuite revenu en France où il réside aujourd’hui) de Flaviano Ramos, entraînèrent la participation de divers musiciens, dont les plus constants furent Fernando Risso à la guitarra et Tony Lopes, à la viola et au chant. On annonce la fermeture du Parc pour mars 2012 : après plus de 30 ans à la tête de restaurants proposant du fado, Nuno Alves entame une nouvelle vie, et le Parc devenir une pizzeria.
Il est difficile pour un restaurant de fado de présenter régulièrement du fado le samedi : c’est aussi le jour favori des soirées organisées par les associations, qui en général rémunèrent davantage les artistes que les restaurants. Cette difficulté est surtout sensible au niveau des musiciens. On compte un peu plus d’une demi-douzaine d’interprètes à la guitare portugaise, et s’il y a en France des milliers de guitaristes, une petite dizaine est en mesure d’accompagner le fado. Les samedis où tous sont occupés ne sont donc pas rares. C’est probablement l’une des raisons du départ du Parc de Filipe De Sousa, qui pouvait trouver ailleurs de meilleures conditions de rémunération.
Ceci constitue l’une des raisons du passage du Parc au rythme mensuel pendant deux ans. Depuis septembre 2010, le parc est revenu au fado hebdomadaire, avec des artistes et des musiciens différents. Avisé commerçant, Nuno Alves affiche pratiquement complet à chaque soirée de fado, ce qui est fort rare dans le milieu. Le public y est parfois peu attentif (on vient au Parc aussi pour fêter des anniversaires, des baptêmes etc, ou avant d’aller guincher ailleurs ; la cuisine soignée pour un prix abordable est aussi un argument de vente), mais on y passe des soirées en général agréables. Parmi les habitués, les amateurs Maria João et Jean-Luc Gonneau (un « historique » de l’établissement) et le professionnel Carlos Neto (qui est aussi à l’affiche régulièrement en tant qu’artiste invité), tout comme Conceição Guadalupe, Ana Paula ou Monica Cunha.
Le Saint-Cyr Palace
Chaque jeudi, depuis 1998, une soirée de fado est donnée le jeudi soir au Saint-Cyr Palace, situé comme son nom l’indique boulevard Gouvion Saint-Cyr, à deux pas de la porte Maillot (Paris 17e). Au rez de chaussée, le restaurant, élégant, sous une verrière entourée de plantes vertes, où a lieu le fado. Au sous-sol, un bar-discothèque : deux mondes bien différents, mais bien isolés l’un de l’autre. La clientèle est aisée, touristes ou gens d’affaires, pas toujours attentive au fado. Disons au passage que les prix sont adaptés à cette clientèle mais sont récemment devenus plus raisonnables. A la guitarra, Philippe De Sousa a succédé à Manuel Corgas, qui y fut longtemps présent, à la viola, Casimiro Silva (qui est aussi un excellent chanteur de fado), présent depuis l’ouverture. Et depuis peu, Philippe Leiba, un musicien français venu du jazz, tient la contrebasse. Après une période où on entendait chaque semaine un artiste différent, la patronne, Manuela, toute en grâces, a préféré présenter chaque semaine le ou la même interprètes. S’y sont collés successivement Joaquim Campos, durant près de neuf ans, puis, depuis 2008, la fadiste Mané Santos, qui s’était déjà produite dans l’établissement, en compagnie de Joaquim Campos. Après le décès de Mané, les jeunes (et talentueux) Diogo Rocha et Monica ont repris le flambeau.
O Sinfonia
C’est le dernier né (2008) des « hebdomadaires ». Une vaste salle de restaurant dotée d’une petite scène où s’installent les guitaristes. Une autre salle équipée pour les soirées dansantes. O Sinfonia est aussi une maison familiale, sous la houlette du patron Jorge Silva, qui dirigea auparavant un restaurant à Paris qui donnait aussi du fado. Le fado s’y produit chaque vendredi soir. La chanteuse maison est la jeune Andreia Filipa, fille du patron, épaulée souvent par un artiste invité le vendredi. A la guitarra, Filipe De Sousa, à la viola, Hugo Miguel, fils de la maison. D’autres musiciens s’y produisent occasionnellement (Fernando Risso ou Manuel Miranda à la guitare, Casimiro Silva à la viola)
O Sinfonia est un rendez-vous fadiste bon enfant. Parmi les habitués, citons les amateurs Antonio Barros et Jean-Luc Gonneau, les professionnels Claudia Costa, Jenyfer et João Rufino ainsi que l’excellent chanteur de fado de Coïmbra Alves de Oliveira. On y croise aussi régulièrement, hors fado, l’excellent guitariste et chanteur luso-angolais Nascimento. O Sinfonia a une autre corde à son arc : chaque samedi, un dîner dansant (rock, salsa…) est animé par les enfants de la maison, Andreia Filipa et Hugo Manuel et leur orchestre, parfois rejoints par d’autres artistes, dont Nascimento.
Les mensuels
Parmi les établissements présentant du fado chaque mois, citons le cas particulier du restaurant Saudade, rue des Bourdonnais à Paris 1er. Créé en 1979, le Saudade a été le premier (et le seul) restaurant portugais en France à avoir les honneurs du guide Michelin, a reçu deux fois le prix Marco Polo du meilleur restaurant étranger à Paris. Des gages de qualité pour une cuisine qui a son prix. Pas de fado vadio au Saudade. Chaque premier mardi du mois, Filipe De Sousa et Casimiro Silva y accompagnent une artiste. Cinda Castel, Julia Silva, Monica Cunha et Andreia Filipa, entre autres, s’y produisent souvent, dans une ambiance un brin compassée.
Le Petit Chalet « Chez São »
Comme au Parc, le Petit Chalet, à Colombes, donna du fado chaque semaine, le samedi, et même certains dimanches dans l’après-midi. Celle-ci, avant le Petit Chalet offrit pendant huit ans du fado à la Belle Epoque, un établissement voisin, avec notamment la chanteuse Arminda Cruz, une excellente artiste qui s’y produisit durant cinq ans, accompagnée d’Antonio Almeida et Casimiro Silva. Il y eut même une saison où le fado du samedi se partageait entre le Petit Chalet et la belle Epoque, São, la chaleureuse patronne, et les artistes se démultipliant Ce dualisme n’eut qu’un temps, et São ne se consacre à nouveau qu’au Petit Chalet, ouvert en 2002. Un samedi par mois (il faut être au courant duquel, car cela varie), c’est Cinda Castel, maintenant remplacée le plus souvent par Monica Cunha qui y chante, accompagnée par Casimiro Silva et Filipe De Sousa, que Fernando Risso remplace parfois. Les dimanches de fado ont lieu épisodiquement. On y voit, ou voyait assez souvent la présence de Tony do Porto, Louis Agattan, Alves de Oliveira, Jean-Luc Gonneau, entre autres. Le « senhor Ramos » y est souvent présent. Zita Ribeiro, qui s’est produite pendant trois décades dans tous les lieux de fado parisiens, vient y donner un coup de main lors de ses passages en France. Ambiance simple et sympathique, à la manière de la patronne, lieu trop peu connu à notre avis.
O Canto do Portugal
Ce restaurant situé à Goussainville (Val d’Oise) proposait du fado plusieurs samedis par mois. Repris depuis quelques mois, il annonce des soirées de fado chaque jeudi
Les intermittents
Plusieurs établissements proposent du fado plus ou moins régulièrement. C’est le cas de l’Alfama, à Nanterre, où à chaque fin de semaine, des artistes se produisent, le plus souvent dans le domaine des variétés, mais de temps à autre dans celui du fado (Joaquim Campos, Tony do Porto…). L’Arganier, rue Edouard Jacques à Paris 14e, restaurant de très bonne qualité gastronomique (le maire de l’arrondissement, Pascal Cherki, est un client régulier, qui vient aussi aux soirées de fado) propose quelques soirées de fado chaque année. Il vient, en avril 2012, de passer à un rythme hebdomadaire, sous la houlette artistique de Sousa Santos, avec Manuel Corgas et Flaviano ramos aux guitares. L’ambiance y est conviviale, la chère excellente et abondante, le vin coule avec générosité. Un petit bémol : la formule (menu) n’est pas donnée.
Les Jardins de Montesson, dont la cuisine est réputée, ont un temps proposé du fado chaque semaine. Après une période où les soirées devinrent plus rares, un retour à un rythme hebdomadaire est prévu sous le patronage fadiste du chanteur Tony do Porto Après une tentative de courte durée de fado hebdomadaire, l’Europa, à Ivry propose le plus souvent des dîners dansants en fin de semaine, et parfois du fado. O Braga, à Fontenay sous Bois, a proposé en 2008 et 2009, une soirée fado tous les deux mois (et une soirée dansante dans les mois intermédiaire), tout cela animé par la chanteuse Conceição Guadalupe, accompagnée pour le fado à la guitarra par Manuel Corgas et à la viola par Flaviano Ramos. La maison a changé de direction et il ne semble pas que des soirées fado y soient envisagées. Chez Carla, à Montreuil, propose des variétés en fin de semaine, et parfois des soirées de fado, entre autres avec le groupe « Tudo isto é fado », composé de Luisa Reis qui a succédé à Susana Lopes et Carlos Neto, accompagnés par José Rodrigues (guitarra), Pompeu (viola) et parfois Philippe Leiba (contrebasse). Le Vasco de Gama, dans la rue éponyme, à Paris 15e, bon restaurant portugais, organise à l’occasion des soirées de fado. O Douro, au Bourget, fait de même ainsi que A Barraca à Villejuif. Citons également le 2sans3, avenue Gambetta à Paris, la Boule d’Or à Vayres sur Marne, lieu de prédilection de la chanteuse Susana Lopes, la Mendigote, à Saint-Prix, le Lieutades à Gentilly, O Abrigo à Aubervilliers, avec le chanteur Paulo Manuel et, parfois, ses amis, Conceição Guadalupe, Jean-Luc Gonneau...
Plus récemment, à un rythme mensuel, le restaurant Sur un R’ de Flora, boulevard de Charonne à Paris, a donné depuis 2010 des « promenades fadistes », où étaint suggérées les interactions entre le fado et d’autres musiques (tango, samba, morna, bolero, jazz) tout en restant fidèles à l’esprit du fado. Le français Jean-Luc Gonneau jouait le guide de ces soirées où l’équipe de base comprenait aussi la chanteuse Conceição Guadalupe, Philippe De Sousa à la guitarra, Pompeu à la viola et, sur certaines chansons, une jeune batteuse (venue du rock), Nella Gia. D’autres interprètes y ont été invités : Eugenia Maria lors d’un passage à Paris, Paulo Manuel, Mané, João Rufino, la française Karine, Hugo Manuel, la très jeune Diane Santos, Luisa Reis. Cette formule originale, dans un restaurant qui propose une cuisine de tous les pays lusophones, séduit un public en bonne partie français. Ce sympathique endroit fermera malheureusement ses portes en mars 2012.
D’autres lieux accueillent aussi parfois des soirées de fado : la liste que nous produisons ne se prétend pas exhaustive.
Les informations sur le fado
Les livres en langue française consacrés au fado sont très peu nombreux, aucun ouvrage portugais n’ayant été traduit. On citera donc « Le fado », d’Agnès Pellerin (Editions Chandeigne, réédition 2009), qui est assez complet et prend notamment en compte le fado comme fait social, voire politique, accompagné d’un CD enregistré « live » à Lisbonne dans des lieux de fado vadio, et celui (actuellement épuisé) de la journaliste de Monde Véronique Mortaigne (Editions Le chêne, 1998), également accompagné d’un CD, davantage tourné vers la musique. Aucun de ces ouvrages ne traite cependant du fado à Paris. Ils sont cependant très utiles pour aborder ce genre musical à partir de son histoire, de ses thématiques et de ses principaux interprètes.
Pour se renseigner sur les évènements de fado à Paris (et plus généralement en France), la presse communautaire portugaise (journaux gratuits distribués surtout dans les lieux fréquentés par les communautés) constitue une source, certes non exhaustive, mais utile. Les journaux les plus distribués sont LusoJornal, hebdomadaire, au contenu rédactionnel soigné, Portugal Sempre, bimensuel dirigé par Alves de Oliveira, par ailleurs figure historique du fado de Coimbra en France, dont les éditoriaux, qui penchent à gauche, sont parfois acides et polémiques, et Vida Lusa, qui publie le journal Encontro, davantage institutionnel. Il est possible de les consulter sur internet (7). En 2011, un nouveau magazine mensuel, Portugalmag est apparu, édité sur papier glacé.
D’autres sites internet donnent également des informations, parmi lesquels www.portugalvivo.com et www.portugal-luso.eu/fr. Le site de la Gauche Cactus propose aussi une information sur les soirées de fado actualisée en permanence (www.la-gauche-cactus.fr/SPIP)
Enfin, les radios communautaires annoncent les concerts des vedettes venues du Portugal, certaines soirées spéciales ou associatives, mais rarement les activités des restaurants et clubs proposant du fado. En Ile de France, hors certaines émissions de radios locales, « la » radio de la communauté portugaise est Radio-Alfa (98.6), qui diffuse aussi en ligne du fado. Radio Alfa dispose dans ses locaux à Créteil d’une salle de spectacle, la salle Vasco de Gama, où se produisent parfois des fadistes, venus du Portugal le plus souvent, mais pas toujours : des fadistes « de France » s’y sont aussi exprimés. Début 2009, par exemple, un concert fut organisé en hommage à Joaquim Botelho, fadiste depuis une quarantaine d’années en France, que chacun savait condamné par une maladie incurable, et qui mourut quelques semaines plus tard. Il y chanta malgré son état de faiblesse, avec un plateau comprenant le ban et l’arrière-ban de la communauté fadiste francilienne. A cette occasion, il y eut dans le milieu fadiste parisien quelques regrets que cette manifestation ait été trop courte : pour certains, Joaquim Botelho méritait plus et mieux. Fin 2011, le guitariste Manuel Miranda présente le vendredi soir sur les ondes de radio Alfa l’émission So Fado. Signalons également l’émission Lusitania, tous les samedis de 18h à 19h sur Aligre FM (93.1), qui aborde l’actualité culturelle de la lusophonie et accueille parfois des invités pour parler de fado, et en écouter.
Si la presse et la radio diffusent volontiers les initiatives associatives, ou les concerts des grandes vedettes, qui font de toutes façons évènement, il n’en va pas de même, en général, pour les clubs ou restaurants proposant du fado. C’est qu’ils constituent pour ces médias une source possible de recettes publicitaires. A quelques exceptions près, ne sont annoncés que les lieux qui paient un encart publicitaire. Plusieurs patrons de restaurants ont estimé que le jeu n’en valait pas la chandelle, et n’ont pas, ou plus, recours à ces médias. Les sites internet cités signalent en général les adresses de ces établissements, mais ne donnent guère d’informations sur leurs programmations. Conscients de la nécessité de mieux communiquer, certains d’entre eux ont ouvert leur propre site. Coimbra do Choupal (www.coimbradochoupal.blogspot.com) dispose d’un site très complet avec des vidéos et des photos d’artistes. O Sinfonia (www.restaurantsinfonia.com) et le Saint-Cyr Palace (www.stcyrpalace.com) ont des sites moins élaborés.
NOTES
(1) Américo Silva est décédé dans les années 1990. Un homonyme, sans liens de parenté, est guitariste, de talent, à Lisbonne.
(2) Fado vadio : se dit de soirées de fado où il n’y a pas de chanteurs programmés : qui vient peut chanter. Dans la totalité des lieux de fados franciliens, on pratique le fado vadio. Même si un artiste y est programmé, le public est convié à chanter. Seule exception, le restaurant Saudade à Paris, rue des Bourdonnais, qui donne du fado une fois par mois, ou seul l’artiste invité chante.
(3) Autre homonymie : Joaquim Campos, l’autre, fut un fameux fadiste et compositeur dans les années 1940 à Lisbonne. Cette homonymie a parfois joué des tours à « notre » Joaquim Campos : certaines de ses créations furent en effet attribuées, à tort, à son prédécesseur.
(4) Repartie en 2008 au Portugal, Eugenia Maria est une représentante émérite du fado classique « bairrista » (de quartier, relativement à un fado plus mondain ou plus sophistiqué. Elle s’est produite pendant une vingtaine d’années en France, où elle était, aussi, gardienne d’immeuble). Elle a enregistré un CD au Portugal. On peut également l’entendre sur le CD produit hors commerce par Résistance 7e Art et la Gauche Cactus.
(5) Liza Maria a retrouvé le Portugal en 2009, après, elle aussi un très long séjour en France. Fadiste « castiça », fidèle à la tradition, elle laisse un souvenir de discrétion et d’élégance. Une de ses dernières apparitions en France eut lieu à la Maison du Portugal de la Cité Universitaire, lors d’un spectacle donné à l’occasion de la sortie du livre d’Agnès Pellerin sur « Les Portugais à Paris » (Chandeigne éditeur) le 30 avril 2009, en compagnie de Paulo Manuel, des français Karine Bucher et Jean-Luc Gonneau, accompagnés par Filipe de Sousa et Casimiro Silva.
(6) La « ligne de démarcation » entre « professionnels » et « amateurs » est ténue : le fado ne nourrit pas suffisamment son homme ou sa femme, et la quasi-totalité des professionnels a une activité professionnelle autre, ou un ou une conjoint-e subvenant principalement aux revenus du ménage. Seuls, à notre connaissance, les musiciens Casimiro Silva, Filipe de Sousa et Manuel Corgas vivent uniquement de la musique. Le cas de Manuel Miranda est particulier, étant à la fois aubergiste et musicien.
(7) Leurs sites : www.lusojornal.com ; www.vidalusa.com ; www.portugalsempre.fr ; www.portugalmag.com
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