https://www.traditionrolex.com/18 La Gauche Cactus http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/ fr SPIP - www.spip.net (Sarka-SPIP) Israël/Palestine : choisir la paix, donc le cessez le feu, et désigner les responsables. http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2921 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2921 2023-11-06T00:41:45Z text/html fr Jean-Luc Gonneau <p>Le 7 octobre, le massacre perpétré par le Hamas a sidéré et horrifié le monde occidental. La réplique israélienne a commencé à faire de même. Jean-Luc Gonneau essaie de débroussailler un peu les multiples causes de ce conflit aux racines plus que centenaires, et de voir si on peut en sortir, ce qui n'est pas gagné.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique48" rel="directory">Moyen Orient</a> <div class='rss_texte'><p>Face au conflit entre Israël et le Hamas, chacun est sommé de choisir son camp. Il y a pourtant unanimité pour condamner les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier. Point final ? Pas du tout. Voilà qu'il faut qualifier le Hamas de terroriste, sinon, ça ne compte pas, un mort est un mort, mais ça ne compte pas, il faut le qualifier. Un civil israélien massacré par le Hamas, un civil palestinien écrasé par une bombe israélienne ? ça fait deux morts qu'il faut évidemment déplorer, et de la même façon. Choisir entre les fanatiques sanguinaires, et pour le coup terroriste, du Hamas et Netanyahou et sa clique criminelle ? Plutôt dénoncer les deux, si ?</p> <p>Oui, mais « c'est qui a commencé ? ». Voilà qui a beaucoup intéressé politiciens et commentateurs, plus ou moins compétents, souvent de parti pris, parfois sous le coup d'une compréhensible émotion, mais majoritairement liés par des préjugés politiques, culturels ou ethniques, frisant parfois le racisme. Poser la question « c'est qui qu'a commencé ? », c'est réduire l'événement au niveau d'une rixe de cour de récréation. Sur cet épisode, la culpabilité du Hamas est évidente, et qu'on la désigne comme crime guerre ou action terroriste, peu importe, les deux nous vont : médiocre querelle sémantique alors que l'on déplore des milliers de morts, et d'autres milliers probablement à venir, sans compter les innombrables blessés. Curieusement, c'est Jean-Luc Mélenchon qui créa le « buzz » en ne qualifiant pas l'attaque du Hamas de terroriste : criminel de guerre lui suffisait. Vint le hourvari. Point d'orgue, le célèbre politologue Enrico Macias (qui pourtant chanta naguère « Enfants de tous pays ») « pense » qu'il faudrait « buter » des députés de la France Insoumise. Comme l'ensemble de la classe politique, et peut-être un plus, les chefs Insoumis ont le tweet facile et rapide. A ce sujet, il semble qu'il y ait deux Mélenchon, celui capable, y compris à propos de ce conflit, de proposer un discours argumenté et réfléchi, et l'autre, twitteur compulsif et parfois vindicatif.</p> <p>Bon, pour cet épisode, la question du « c'est qui qu'a commencé » est close : c'est le Hamas. Un épisode particulièrement sanglant, qui marquera pour longtemps les cœurs et les esprits et évidemment, avant tout, ceux des familles et des proches des victimes, quel que soit leur camp. Pour cet épisode, déjà épouvantable mais qui, hélas, n'est pas terminé. Mais pour les autres épisodes ? Seuls les dieux, s'ils existaient, ce dont nous, Cactusiens, doutons fortement, sauraient leur nombre exact depuis les trois-quarts de siècle de coexistence rarement pacifique entre la Palestine et Israël, tant il y en eut : escarmouches, attentats, meurtres, intifadas (révoltes et résistance face à l'occupation militaire par Israël de territoires palestiniens), blocus de Gaza (depuis 2007), colonisation continue, assortie de violences (et renforcée sous les gouvernements de Netanyahou) en Cisjordanie et expropriations à Jérusalem, toutes illégales et condamnées par les Nations-Unies.</p> <p>Le blocus de Gaza a réduit la population de cette enclave à des conditions plus proches de la survie que de la vie. Les colonies et expropriations, ont mité les territoires cisjordaniens, exaspéré (à juste titre !) l'ensemble de la population, au premier rang desquels les expropriés, affaibli la déjà vacillante autorité du gouvernement palestinien. Notons que ces colonisations continuent en Cisjordanie depuis le 7 octobre. La férocité de la répression israélienne suite à l'attaque du Hamas en rajoute encore sur le vif ressentiment (énorme euphémisme, genre quai d'Orsay) du peuple palestinien envers Israël et pourrait même le pousser à se rapprocher du Hamas, qui, ne l'oublions pas est aussi un parti politique, fanatique certes, mais qui a des bases en Cisjordanie. Cette répression, jugée « disproportionnée » jusqu'à l'ONU, entraîne, on pouvait s'y attendre, de nombreuses manifestations de soutien à la Palestine dans le monde arabe, mais aussi dans de nombreux pays dans le monde, comme en France et même aux Etats-Unis, et redonne de la vigueur à l'antisémitisme latent qui ronge depuis toujours les sociétés occidentales, et, concernant le Hamas, à l'« antiarabisme » issu des guerres coloniales.</p> <p>Tout ceci considéré, on ne peut que s'étonner que le président de la République française ait annoncé immédiatement son « soutien inconditionnel » (juste après Joe Biden) à Israël, ajoutant, mezzo voce mais soyons justes, que Netanyahou ne devait pas être trop méchant avec les civils palestiniens (traduction libre), mais se gardant (comme Biden) de prôner un cessez le feu, dont Netanyahou ne veut pas entendre parler. On voit ce qu'il en est sur le terrain. Soutenir le peuple israélien dans la douleur, évidemment. Soutenir « inconditionnellement » Israël ? Il appelle à la paix, les gouvernements de nombreux pays aussi, les sociétés civiles aussi. Et nous aussi, toujours. Facile à dire, mais pas facile à faire. Beaucoup d'entre eux sont plus précis et exigent un cessez le feu (pas Biden, donc, pas Macron), préalable inévitable pour espérer la paix. Nous aussi, mais vu le caractère borné des protagonistes, ça n'en prend pas le chemin. Ce qui n'est pas une raison pour arrêter d'exiger plus nous serons nombreux, plus nous ferons de bruit, peut-être que… Les plus timorés (dont Biden et Macron) parlent d'une trêve humanitaire : c'est mieux que rien, peut-être un pas vers le cessez le feu, ou peut-être simplement un moment pour se refaire (un peu) une santé pour repartir au charbon. Mais revenons à la paix : quelle paix, et à quelles conditions ?</p> <p>Une paix se négocie. On voit mal aujourd'hui quels peuvent être les interlocuteurs actuels capables de conduire une négociation. Du côté israélien, Netanyahou, sans foi ni loi, et ses alliés ultraorthodoxes ou représentants des colons se sont, à notre sens, disqualifiés pour toute initiative pour la paix. Du côté palestinien, ni le Hamas, qui, même en ayant gagné des points dans une partie de la population palestinienne, ni l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, totalement déconsidérée ne peuvent apparaître comme des interlocuteurs à même de sortir du conflit. A notre sens, suivant en cela plusieurs prises de position sur la question, un changement interlocuteurs est nécessaire. Côté Israël, il apparaît que les oppositions populaires à Netanyahou se renforcent tandis que son crédit international fond comme neige au soleil. Il semble qu'un début de consensus se fasse côté palestinien sur le nom de Marwan Barghouti, ex-dirigeant palestinien du Fatah détenu en Israël depuis 2002 suite à un procès pour le moins controversé et qu'un candidat, quelques années plus tard, à la présidence d'Israël, Shimon Peres, promit de gracier, ce qu'il « oublia » une fois devenu président (c'est ça aussi, l'attitude des gouvernements d'Israël face aux palestiniens).</p> <p>Si ce changement d'interlocuteurs n'intervient pas, la seule alternative pour éviter une « victoire » d'Israël sur un charnier à Gaza, serait une initiative internationale pour contraindre Netanyahou à arrêter les frais et à contraindre le Hamas à la discrétion (car il ne disparaîtra pas sous les bombes). Ceux qui peuvent le faire sont ceux qui ont les sous et/ou les armes : les Etats-Unis, le Qatar et l'Arabie Saoudite (ne comptons pas sur l'Iran sur ce coup-là, les mollahs et la paix, ça fait deux, et l'Union Européenne ne compte pas : Von der Leyen et Macron ne seront sur la photo, si photo il y a, que si Biden veut bien). Cette solution pourrait permettre de mettre fin à cet épisode, donc aux massacres actuels, mais ne garantirait aucunement d'autres épisodes. Resteront à aborder la création de deux « vrais » états (dans l'idéal un seul, laîque et démocratique, mais ne rêvons pas tout de suite), l'arrêt des colonisations, la restitution des colonisations déjà faites et des expropriations, le retour des réfugiés palestiniens, l'égalité des droits entre citoyens israéliens… Bref, comme il se dit ici, on n'est pas sortis de l'auberge.</p></div> Les humeurs de José Barros http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2917 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2917 2023-11-02T00:19:00Z text/html fr José Barros <p>José Barros a l'esprit curieux et s'intéresse, à propos du conflit israélo-palestinien, à la sémantique et à l'idonéité à propos des mots terreur et terroriste. Toujours faussement naîf, et toujours cette ponctuation personnelle à laquelle il tient.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique48" rel="directory">Moyen Orient</a> <div class='rss_texte'><p>Les mots et la sémantique</p> <p>Cette façon de traiter l'information qui entre dans nos foyers sur kes guerres qui éclatent dans le monde et particulièrement celles qui, maintenant, paraissent intéresser en premier lieu notre vieux continent européen pacificateur a interrogé ma sensibilité à propos de la sémantique ! Oui, à propos de la sémantique des mots terreur, terrorisme, terroriste ! Terreur, mot très compréhensible et en résumé « est une caractéristique de ce qui est terrible, de cequi provoque un état d'effroi. Donc, lors d'une guerre, une bombe qui réduit en bouillie des habitations et les gens qui s'y trouve provoque la terreur, quelle que soit l'organisation qui actionne la bombe ! Elle provoque toujours la terreur</p> <p>Toutefois, dans la représentation journalistique de cette guerre entre Israël et les palestiniens, guerre qui est venue « raviver » la terreur… presque tous les journalistes traitent les palestiniens de terroristes et n'utilisent pas le même vocabulaire du côté d'Israël et ceci me conduit à me défier d'une faute d'idonéité (1) des journalisteset à m'interroger sur la sémantique qui traite la partie de la grammaire qui étudie le signifiant des mots et les possibles interprétations de ce signifiant. Nous savons que « la sémantique est l'étude des signifiants qui peuvent s'appliquer aus mots et aussi aux phrases et aux déclarations insérées de forte ou faible complexité ». Cependant, en rigueur, un journaliste doit veiller à son idonéité et laisser les interprétations aux historiens, aux politiciens, et à ceux qui sont impliqués dans le conflit ! Sinon, il prend parti et oublie sémantique et idonéité !</p> <p>Moi, par exemple, si j'avais vécu ma vie d'adulte dans ce moment où De Gaulle se leva contre le nazisme courant le risque d'être perçu <i>(ce qui fut le cas, ndlr)</i> et poursuivi comme un terroriste, je pense que je n'aurais pas hésité à me mettre de son côté. Si j'avais vécu à cette époque où le groupe Manouchian fut fusillé par le nazisme comme étant un groupe terroristes criminels… il est clair que je n'aurais pas été d'accord avec ce traitement journalistique. Lorsque pendant le régime de Salazar, pour parler d-un cas plus portugais, toute la presse portugaise se référait aux combattants des ex-colonies en les traitants de terroristes… il est clair que ces journalistes ne pouvaient faire autrement, sinon ils auraient été eux aussi incriminés… l'histoire fut appelée à corriger ce traitement… Pour cela, messieurs les journalistes, pensez à la sémantique ! A la sémantique et à l'idonéité !</p> <p> <i>(1)Concept forgé par le philosophe des sciences Ferdinand Gonseth (1890-1975). Peut dans certains contextes se rapprocher de celui d'intégrité. (ndlr)</i></p></div> Turquie : une puissance contradictoire http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2910 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2910 2023-10-27T22:14:00Z text/html fr Alexis Coskun <p>Turquie : une puissance contradictoire Plutôt discrète dans l'actuel conflit en Palestine, la Turquie, l'n des poids lourds, par la démographie et l'économie, de la région connaît des difficultés qui la fragilise. Alexis Coskun nous propose quelques clés pour mieux comprendre la situation.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique48" rel="directory">Moyen Orient</a> <div class='rss_texte'><p>Les régimes politiques et les édifices architecturaux ont cela de commun que la plus éclatante des façades peut éclipser des fondations dangereusement lézardées. Recep Tayyip Erdoğan dirige la Turquie depuis près de vingt-cinq ans, près du quart de toute la période républicaine. Fort de sa réélection en mai 2023, il présente son action à la tête du pays comme ayant permis l'éclosion d'une nouvelle ère de puissance, de modernité et de prospérité. L'affirmation d'une influence retrouvée sur la scène internationale est au cœur de son narratif tout comme l'est la mise en scène de sa posture d'homme fort . Elles concourent à sa réussite électorale au sein de ses frontières et dans la diaspora.</p> <p>Ces récits entravent la compréhension réelle de la Turquie contemporaine. Les plus fervents critiques de Recep Tayyip Erdoğan, particulièrement dans les pays occidentaux, endossant l'idée du retour de la puissance tuque, renvoyant à un « néo-ottomanisme » souvent trop rapidement brandi, et qui serait par essence menaçant, contribuent parfois à nourrir son récit. D'aucuns s'accommodent du gouvernement du Parti de la Justice et du Développement (AKP), pariant sur les opportunités économiques – main d'œuvre formée et peu onéreuse, marché intérieur conséquent, appareil de production modernisé – ou géopolitiques – position géographique stratégique, affiliation à l'OTAN, effectifs militaires importants – que le pays offrirait. D'autres, enfin, croient percevoir dans les prises de position du gouvernement d'Ankara l'émergence de la contestation d'un ordre international dominé par les puissances occidentales, faisant, d'une manière erronée, de Recep Tayyip Erdoğan un leader non-aligné voire anti-impérialiste.</p> <p>Pour comprendre le moment turc, il est pourtant impératif de dépasser les lectures trop souvent orientalistes, ethnicistes, schématiques, religieuses et culturelles héritées de plusieurs siècles de relations entre l'Europe et l'Empire ottoman puis avec la Turquie républicaine.</p> <p>Le centenaire de la République de Turquie est au cœur de l'attention mondiale du fait du rôle complexe joué par la diplomatie turque dans les conflits contemporains. Mais l'intérêt porté à cet évènement découle tout autant du caractère unique de la construction politique initiée, à la sortie de la Première Guerre mondiale, dans le sillage de Mustafa Kemal, c'est-à-dire l'édification d'un État nation sur les ruines d'un Empire multinational pluriséculaire, et la fondation progressive d'un État laïc en lieu et place du régime du Sultan combinant pouvoir temporel et spirituel. Quelle est la réalité de la Turquie ? Où va-t-elle cent ans après l'édification de la République sur les cendres d'un Empire ottoman à bout de souffle ? Comment évaluer et comprendre ce récit d'une puissance retrouvée et réaffirmée ?</p> <p><strong>La Turquie d'Erdoğan : une puissance d'opportunité</strong></p> <p>Si la Turquie a pu renouer avec une influence certaine et avancer ses pions, c'est, systématiquement, en bénéficiant des contradictions des puissances mondiales, cherchant d'abord à exploiter tous les interstices dont elle pourrait tirer avantage.</p> <p>L'ouverture de deux bases militaires à l'étranger, une à Doha, l'autre en Somalie, une première dans l'histoire du pays, furent d'abord le résultat de conflits locaux et du désengagement d'États occidentaux ayant une prépondérance historique dans ces régions. Le dynamisme de son industrie de défense, matérialisé par la production de drones ou la livraison d'un porte-drone pour la marine nationale contribue directement à l'interventionnisme de la Turquie dans de nombreux conflits. Mais là encore, elle bénéficie des contradictions et oppositions internationales, particulièrement en Libye, aux côtés du Gouvernement d'Union Nationale (GNU) ou en soutien au Président azéri Ilham Aliyev, dans les suites du recentrage stratégique de la Russie en Ukraine.</p> <p>De la même manière, les dernières années ont vu les entreprises turques pénétrer de nouveaux marchés. En 2022 elles étaient 225 à opérer sur le continent africain, particulièrement dans les secteurs de la construction, du textile et des infrastructures, contre trois seulement en 2005. La Turquie a notamment profité de la remise en cause du monopole des anciennes puissances coloniales engagée par d'autres acteurs et notamment la Chine. Surtout, dans la dernière période, l'équilibrisme diplomatique est devenu une marque de fabrique et un moyen d'affirmation pour le président turc, oscillant entre Moscou et Washington, affirmant sa place dans l'OTAN et candidatant à l'adhésion au sein de l'Organisation de Coopération de Shangaï (OCS), ou jouant un rôle pivot entre la Russie et l'Ukraine. La diplomatie d'Ankara vise à obtenir, au coup par coup, le plus de concessions possibles, de la part d'alliés de circonstance. Elle permet ainsi à la Russie de contourner les sanctions internationales, pour bénéficier d'importations massives de produits énergétiques. Dans le même temps elle permet l'adhésion de la Suède à l'Otan, en échange de matériel militaire américain. En définitive, la Turquie s'affirme comme une puissance dépendant du jeu des grands acteurs internationaux.</p> <p><strong>De l'opportunité à la vulnérabilité </strong></p> <p>Avec le déclin de l'Empire ottoman, jouer sur les contradictions de puissances pour protéger ses intérêts constitua la doctrine centrale de la politique internationale de la Sublime Porte et particulièrement du Sultan Abdulhamid II . Le pari devint rapidement intenable et conduisit l'Empire à de nombreux revers. L'édification de la République doit initialement se comprendre comme une tentative de rupture avec ce cadre stratégique. La politique actuelle de la Turquie risque ainsi de transformer un opportunisme stratégique en vulnérabilité critique. Le commerce extérieur turc connaît déjà un déficit record dû à la croissance exponentielle des importations d'hydrocarbures russes. Le pays a perdu sa souveraineté alimentaire, et des pans entiers de son économie sont adossés directement à des financements étrangers, particulièrement venus du Golfe. Le développement de sa base industrielle de défense souffre toujours de dépendances critiques pour des pièces fondamentales, comme la construction de moteurs, ce qui obère la voie vers une réelle autonomie stratégique.</p> <p>Pour favoriser les investissements étrangers et les rapprochements stratégiques, les atouts productifs du pays ont été privatisés et la dépendance aux importations alimentaires et énergétiques attise les boucles inflationnistes.</p> <p>Enfin, construire la puissance du pays en miroir du jeu des grandes puissances internationales pèse de tout son poids sur la société turque. Face à la perte de souveraineté, cette stratégie attise un nationalisme encouragé par le pouvoir politique. Pour rassurer des partenaires quant à la fiabilité et la stabilité du pays, ce chemin encourage un encadrement ténu, et souvent brutal, de la population qui participe, d'ailleurs de la remise en cause croissante de la laïcité.</p> <p>L'imposition du religieux dans le champ politique et dans toutes les dimensions de la société ne saurait masquer la sécularisation croissante de la population turque, et singulièrement de sa jeunesse. La nécessité pour le pouvoir de l'AKP de recourir de manière croissante à la thématique religieuse dans son mode de gouvernance constitue, en définitive, tant un aveu de faiblesse qu'un signal envoyé vers l'extérieur. Elle contribue à canaliser sa jeunesse et à imposer son agenda politique. Elle soutient également le réalignement stratégique de la Turquie, tant économique que diplomatique, donnant des gages aux États du Golfe, de l'Afrique du Nord, de l'Asie centrale et des Balkans qui constituent désormais des partenaires stratégiques que Recep Tayyip Erdoğan entend privilégier.</p> <p>Combien de temps encore cet opportunisme stratégique permettra-t-il à Recep Tayyip Erdoğan de se maintenir au pouvoir face à une base sociale rétrécie ? Voilà une question essentielle pour la République de Turquie, à l'aube de son centenaire.</p> <p><i>Article publié dans Recherches internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> Mutations au Moyen-Orient http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2894 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2894 2023-08-20T21:25:00Z text/html fr Michel Rogalski <p>Effondrements de l'Egypte, de l'Irak, de la Syrie, du Liban, fragilité de la Turquie, troubles sociétaux en Iran, montée du Qatar et de l'Arabie Saoudite, extrême droitisation d'Israël, intenses manœuvres diplomatiques entre tous ces états, où la Chine et la Russie poussent leurs pions au détriment des Etats-Unis et de l'Europe : Michel Rogalski, directeur de la revue Recherches Internationales, nous décrypte les changements de cette zone en vingt ans ;</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique48" rel="directory">Moyen Orient</a> <div class='rss_texte'><p>En une vingtaine d'années les cartes ont été bouleversées au Moyen-Orient. À bien y regarder on y retrouve l'impact régionalisé des grandes mutations du monde telles qu'elles se sont révélées à l'occasion de la guerre entre la Russie et l'Ukraine dont la dimension s'est mondialisée. Celui-ci a énormément été bousculé et a reconfiguré cette région qui avait toujours fait l'objet, notamment à cause des immenses ressources énergétiques qu'elle possédait, de l'intérêt des grandes puissances qui ne pouvaient s'en désintéresser. Les États-Unis disposaient de deux alliés solides, l'un, l'Arabie saoudite lui assurant pétrole en échange d'une protection sécuritaire, l'autre, Israël assurant le rôle de gendarme régional en échange d'une solidarité sans faille y compris contre les revendications palestiniennes ou la mise en place d'un arsenal nucléaire.</p> <p>Tout cela a été bouleversé par les interventions militaires américaines dans la région, tout d'abord en Afghanistan à la suite du 11 septembre 2001, puis en Irak en 2003 accusé de façon mensongère de détenir des stocks d'armes chimiques susceptibles de menacer les pays voisins. Cette deuxième intervention n'ayant pu réunir ni l'aval des Nations unies, ni celui de l'Otan et ayant du être menée sous le label d'une « coalition ad hoc », que l'on pourrait traduire par l'expression « qui m'aime me suive ». Opération « habillée » en outre d'un discours messianique de George W. Bush inspiré des « neocons » sur un Grand Moyen-Orient ayant vocation à se tourner par un effet domino vers la démocratie grâce à la guerre et aux vertus du « nation building ». En clair, on casse tout et on reconstruit sur le chaos provoqué. Certains observateurs allant même jusqu'à avancer qu'il s'agissait plus d'une stratégie de chaos organisé plutôt que d'une situation qui avait dérapé. La guerre au régime syrien de Bachar al-Assad témoignera de la même méthode. La longue guerre d'Afghanistan qui dura vingt ans se termina par la chute de Kaboul dans des conditions humiliantes pour les États-Unis au point de mettre en doute leur capacité à assurer leur protection à quelconque pays.</p> <p>Évidemment, rien ne s'est passé comme prévu. Les États-Unis ont livré l'Irak à l'Iran pays honni mais qu'ils se sont bien gardé d'attaquer frontalement parce qu'un peu plus gros à avaler, s'essayant plutôt à travers des sanctions à tenter sans succès un changement de régime. Ils ont réactivé les antagonismes religieux dont celui qui oppose les chiites aux sunnites dans la région de l'Iran au Yémen en passant par le Liban. Surtout, ils n'ont pu éviter que le chaos irakien ne laisse place à l'émergence d'un califat islamique territorialement installé à cheval sur l'Irak et la Syrie sous la conduite d'El Daech. Merveilleux prétexte pour la réintroduction dans le jeu moyenoriental de la Russie qui sous couvert d'éradication terroriste y a ajouté sa volonté de sauver le régime syrien allié en mauvaise posture. Très vite les États-Unis se sont retirés du bourbier créé laissant l'ONU s'en débrouiller et ont repris leur virage stratégique vers le pivot asiatique, voire indo-pacifique déjà décidé par le président Obama.</p> <p>De nouveaux États profitent de cette situation pour s'affirmer dans la région. L'Arabie saoudite conduite par son dirigeant Mohammed ben Salmane (MBS), hier encore ostracisé pour avoir fait découper en morceaux dans son ambassade turque un opposant journaliste, fait un retour remarqué sur la scène internationale. Elle réussit à enchaîner des écarts diplomatiques qui témoignent de son autonomie grandissante. Tour à tour elle se rapproche d'Israël, pays jusqu'alors honni, renoue avec le Qatar, inflige un camouflet à Biden qui se déplace jusqu'à Ryad pour lui demander de faire baisser le prix du pétrole, se coordonne avec la Russie sous sanctions occidentales dans le domaine énergétique et, à l'étonnement général, réussit à se rapprocher de l'Iran grâce aux bons auspices de l'Irak pour conclure finalement un accord scellant la réconciliation à… Pékin ravi d'apporter sa caution et d'être ainsi reconnu comme puissance jouant son rôle au Moyen-Orient. Plus encore, l'Arabie saoudite, avec quelques alliés, réussit, à la faveur du séisme qui endeuille la région à faire revenir dans la famille de la Ligue arabe la Syrie qui en avait été exclue depuis 2011 consacrant ainsi Bachar al-Assad comme le vainqueur incontestable de la guerre qui dévasta son pays. Ryad négocie la fin de la longue guerre du Yémen où elle s'opposait à l'Iran, s'associe à l'organisation de Shanghai que l'Iran a déjà intégrée. MBS est aujourd'hui regardé comme un nouveau Nasser et peut être invité en grande pompe à l'Élysée pour faire avancer sa candidature à accueillir l'Exposition universelle de 2030 en échange d'une présence au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial, organisé par Emmanuel Macron et éventuellement un passage au Salon aéronautique du Bourget, tout ceci sans engagement contraignant. Conscient qu'il lui reste vingt ou trente ans avant la fin de l'ère pétrolière, MBS n'a pas manqué de remarquer que les Émirats arabes unis (Dubaï et Abou Dhabi) doivent leur succès grâce au commerce, aux investissements étrangers, aux services financiers, au tourisme et non au pétrole.</p> <p>La guerre en Syrie s'est globalement terminée par la victoire de Bachar al-Assad mais elle laisse un pays totalement détruit et exsangue, abandonné par une large partie de sa population réfugiée ou déplacée dans les pays avoisinants. Alors que les conditions de leur retour sont loin d'être réunies, Turquie, Liban et Jordanie les poussent au départ. La Turquie qui abrite plusieurs millions de ces réfugiés voudrait les déplacer vers la zone nord de la Syrie pour en faire un dépotoir lui permettant d'affaiblir les milices kurdes qui occupent de larges parties de cette zone. La question a pris une place importante et consensuelle dans la campagne électorale qui a reconduit Erdogan au pouvoir à Ankara. L'économie qui y prospère reste celle de la fabrication du captagon – drogue de synthèse redoutable – qui irrigue à travers des trafics toute la région, enrichit le clan au pouvoir, et au-delà mécontente les États voisins. La posture de l'Occident reste très hostile à la Syrie qui ne peut guère s'attendre à une aide à la reconstruction, tant que les sanctions ne seront pas levées. On a vu les réticences dans l'aide au secours des victimes du séisme qui a touché le pays. Les séquelles de la guerre sont encore loin d'être apaisées.</p> <p>L'Iran a réussi à détendre ses relations avec ses voisins, notamment avec l'Arabie saoudite, à renforcer ses liens avec la Chine et la Russie et le régime a su surmonter, au prix d'une lourde répression, la vague de contestation qui l'avait submergé. Le pays reste vraisemblablement tourné vers un objectif d'accès à l'arme nucléaire que les sanctions n'ont pu lui faire jusqu'à présent abandonner. Israël a su nouer des relations avec quelques pays arabes et sortir de son isolement régional, mais se retrouve dirigé par une coalition d'extrême droite qui le pousse à toujours plus de répression vis-à-vis des Palestiniens qui subissent de plus en plus fréquemment des « opérations punitives », sans qu'aucune perspective politique ne se dessine à l'horizon.</p> <p>En vingt ans le visage de la région s'est totalement modifié. Les grands pays qui avaient émergé comme l'Irak, la Syrie ou l'Égypte se sont effondrés et relèvent désormais de la catégorie d'État failli ou de narco-État. Les États-Unis ont perdu une large part de leur influence, même s'ils conservent encore des bases militaires, des intérêts et un allié fidèle, Israël, dont ils doivent couvrir tous les excès. Ils ont dû assister médusés à la prise d'autonomie de l'Arabie saoudite se rapprochant de l'Iran et à l'arrivée sur la scène régionale de leurs grands ennemis, la Russie et la Chine et avaler la victoire de Bachar al-Assad et son retour dans la Ligue arabe. Ils laissent une région dévastée, affectée par des bombes à retardement comme les millions de déplacés, notamment syriens, le développement de trafics de drogue et la permanence d'un conflit israélo-palestinien dont aucune issue viable n'apparaît à l'horizon. Les régimes qui émergent n'ont rien de démocratique mais aspirent à mettre en œuvre des projets nationaux ambitieux. L'évolution régionale confirme l'idée d'une perte d'influence de l'Occident qui cherche à resserrer ses rangs tout en essayant, en vain jusqu'à présent, de rallier quelques fractions du Sud.</p> <p><i>Article publié dans Recherches internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> L'impérialisme et les impérialistes http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2878 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2878 2023-07-15T09:23:00Z text/html fr Bernard Dréano <p>« Quand on parle d'impérialime, on fait généralement allusion à̀ une forme de l'économie capitaliste globalisée », nous dit Bernard Dréano. Et quand on parle des impérialismes, on traite des états, voire de puissances privées, cherchant par divers moyens, militaires, diplomatiques, économiques, technologiques, culturels à étendre leur domination hors de leur domaine géographique. L6auteur en fait une brève analyse historique, et envisage le cas de la guerre en Ukraine. Eclairant.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique81" rel="directory">international</a> <div class='rss_texte'><p>Il faut d'abord revenir aux sens du mot. Quand on parle de l'impérialisme, on fait généralement allusion à̀ une forme de l'économie capitaliste globalisée, un concept qui émerge au début du XXe siècle, dans les milieux marxistes et autres. Mais les impérialistes font plutôt références aux activités politiques (et militaires) des grandes puissances, à leur emprise sur tout ou partie du monde (sous forme juridique « d'empires » comme les empires d'Europe centrale ou les empires coloniaux, ou non, comme la « république impériale » dominatrice des Etats-Unis). Les deux niveaux se distinguent mais se recoupent aussi.</p> <p>Le premier qui parle d'impérialisme est sans doute l'économiste libéral britannique John A. Hobson, avec son livre de 1902 Impérialisme : A Sud, décrivant le système de l'oligarchie capitaliste. Des membres de la IIe internationale vont reprendre et approfondir ce concept, par exemple du coté des radicaux russes, les bolcheviks Lénine et Nicolas Boukharine, ou des réformistes sociaux-démocrates, l'Autrichien Rudolf Hilferding et l'Allemand Karl Kautsky (deux stars de la social-démocratie bien oublies aujourd'hui). Pour tous, l'impérialisme, c'est le capitalisme mondialisé avec la possession monopolisée des territoires d'une planète entièrement partagée, conséquence de la concentration de la production et du capital, de la fusion du capital bancaire et financier, de l'exportation massive de capitaux. Le « stade suprême du capitalisme » (Lénine) avant la crise finale de ce système et l'avènement du socialisme. Kautsky entrevoit la perspective d'un super-impérialisme, un monde « cartellisé » mais ouvert (libre-échangiste) permettant de passer pacifiquement au socialisme, tandis que la gauche (Lénine, Rosa Luxembourg) voit dans cette utopie la justification d'une soumission d'une aristocratie ouvrière profitant du système capitaliste mondialisé, au détriment des plus pauvres et des régions périphériques du monde.</p> <p>À l'époque l'oligarchie, les « trusts » (on ne parle pas encore de multinationales), se développent à partir de bases nationales, dans les principales puissances où les Etats et les élites sont volontiers impérialistes au sens plus trivial du mot, s'est-il̀-dire imbus de supériorité́ « civilisationnelle », avides de conquêtes, et fortement militarises. Il en résulte la Première Guerre mondiale, une guerre donc clairement inter-impérialiste. À peine celle-ci terminée, le système financier mondial connait la crise de 1929 (qui part des Etats-Unis), immédiatement perçue comme LA crise majeure (sinon finale) de l'impérialisme. Les conséquences de la Première Guerre mondiale et de la crise de 1929 provoquent la Seconde Guerre mondiale, une guerre inter-impérialiste comme la première, même si elle n'est pas que cela. La Seconde Guerre mondiale n'entraine pas du tout l'effondrement du système capitaliste- impérialiste mais débouche sur la tripartition du monde.</p> <p>Incontestables triomphateurs, les Etats-Unis d'Amérique imposent leur domination sur le monde capitaliste (dit « libre »), grâce à leur force militaire, le privilège de leur monnaie associé à la prééminence des « institutions de Breton Woods » (Fonds monétaire international et Banque mondiale) sur toutes les structures des nouvelles Nations unies, la puissance de leurs grandes entreprises, la diffusion de leurs biens culturels. Un impérialisme sous pilotage états-unien même si des contradictions demeurent, au sein duquel existent quelques « impérialismes secondaires », jouissant d'une relative autonomie d'action (on peut effectivement parler d‘impérialisme français). Face à̀ ce bloc « occidental » s'affirme un camp (dit « socialiste »), qui échappe objectivement au système impérialiste au sens défini précédemment, car il n'est à̀ l'évidence pas dominé par le capital financier, et qui se développe largement séparé du reste du monde. Mais où existent des tendances impérialistes dominatrices et expansionnistes au deuxième sens du mot. Après leur rupture avec l'URSS en 1960-62 les Chinois décriront celles-ci comme « social- impérialisme »</p> <p>Dès 1920, Alexandre Zinoviev, le bolchevik alors dirigeant de la toute jeune IIIe Internationale, avait proclamé au Congres des peuples d'orient à Bakou, le « Djihad contre l'impérialisme ». C'est que, dès l'après-Première Guerre mondiale se levait le mouvement d'émancipation des peuples contre la domination impérialiste et coloniale. Elle allait s'amplifier après la Seconde Guerre mondiale, avec ce que l'économiste français Alfred Sauvy appelait « le tiers-monde », et s'incarner politiquement dans le Mouvement des non- alignes, des Etats refusant l'alignement sur les deux blocs et se réclamant peu ou prou de « l'anti-impérialisme ».</p> <p>Cette deuxième partie du XXe siècle connait de très grandes mutations technologiques qui vont modifier le monde de la production et des échanges avec la troisième révolution industrielle (celle de l'électronique et de la bio-ingénierie)1. Les formes de l'impérialisme se modifient, une nouvelle division du travail s'organise au niveau mondial. Aux cotes des grandes entreprises multinationales traditionnelles (industrie, extraction) apparaissent progressivement de nouvelles entreprises géantes dans le numérique et le commerce. Surtout les échanges monétaires s'amplifient de manière exponentielle, accentuant la domination du capital financier transnational qui l'accompagne et la constitution d'une nouvelle oligarchie de super-riches. André́ Guinder Frank, Samir Amin et d'autres décrivent ce monde comme un système avec son « centre » et ses périphéries (pays – ou secteurs à l'intérieur des pays, semi-périphériques et périphériques). Emmanuel Wallenstein fera la description la plus aboutie du système monde, avec cette économie dite « de marché » mondialisée, gérée par le modèle néolibéral basé sur le libre-échange, s'est-il̀-dire la concurrence féroce et totalement faussée. L'extension de ce modèle inégalitaire s'accentue à la fin du siècle. À partir de 1995, l'Organisation mondiale du commerce impose ses règles (de dérégulation) au détriment des droits des personnes, des communautés, des Etats et de la nature. Entre-temps, le bloc soviétique, miné par ses contradictions internes et par la pression néolibérale s'est effondré. Cette fois-ci nous y sommes, est-ce le super-impérialisme ? C'est ce que pense l'américain Francis Fukuyama, mais ce n'est pas du tout l'antichambre du socialisme mondial dans rêvait Kautsky, c'est la « fin de l'histoire » et le triomphe d'un modèle capitaliste auquel adhèrerait plus ou moins la planète entière. Le règne de « l'Empire », explique en 2000 Toni Negri et Michael Hardt, à direction américaine est un « ultra-impérialisme » où ce ne sont plus les Etats qui font la loi mais les transnationales. Les Etats les plus faibles se disloquent et dans l'ensemble les Etats, même ceux encore puissants, abandonnent leur rôle de médiateur entre l'économie nationale et les forces économiques externes, et deviennent des agences responsables d'adapter l'économie locale aux besoins du marché́ global.</p> <p>Toutefois ce système monde est loin d'être ordonné, il est profondément injuste et violent, ce qui provoque dans les peuples révoltes, développement de mouvements de réaction identitaires, dislocation dans les sociétés et guerres. Il est surtout totalement incapable de répondre aux défis des crises écologiques qui menacent à court terme toute l'économie. L'hégémonie économico-politico-militaire du bloc « occidental » (les Etats-Unis, leurs alliés européens et de la zone Pacifique) est remise en cause, avec les échecs militaires, de l'Irak à l'Afghanistan ou à l'Afrique sahélienne, et surtout l'émergence d'autres puissances dans la nouvelle configuration de la division mondiale du travail, en particulier la Chine.</p> <p><strong>La guerre en Ukraine, première étape d'une guerre inter-impérialiste généralisée ? </strong></p> <p>Cela signifie-t-il que nous sommes entrés dans une nouvelle phase, pouvant déboucher sur un conflit inter-impérialiste majeur comme au début du XXe siècle, avec comme moteur l'affrontement entre la Chine, puissance émergente et les Etats-Unis puissance déclinante ? Et, dans ce contexte, la guerre engagée par la Russie contre l'Ukraine serait-elle un avant-goût de la conflagration générale, un peu comme les guerres balkaniques des années 1912-13 avant la mondiale de 1914 ?</p> <p>La politique de la Fédération de Russie est, au début du XXIe siècle, clairement impérialiste au sens d'une politique de conquête (dans l'esprit de Poutine, de reconquête), de territoire et de zone d'influence, portée par une idéologie nationaliste suprématiste mêlant référence néo- tsaristes et poststaliniennes. Les Ukrainiens sont victimes des impérialistes russes, ce qui ne signifie pas pour autant que la Russie, avec son Etat, et ses oligarques, soit encore une actrice impérialiste majeure au sein du « système monde », ce qu'était l'URSS entre 1945 et les années 1980. C'est une puissance moyenne (PIB de l'Italie), qui n'est riche que de ses ressources en matières premières et d'abord des hydrocarbures, et surtout disposant d'un appareil militaire surdimensionné́ (mais dont l'efficacité́ s'avère limitée) et d'un stock considérable d'armes nucléaires (argument politique mais dont l'utilisation pratique est plus que problématique). Disposant de la capacité́ de paralyser l'ONU grâce à son droit de veto, Poutine espère compter sur des alliés inquiets de la puissance que conserve « l'Occident », ou soucieux de rompre avec « l'hégémonie » du super-impérialisme américain. Le soutien de cet Occident, d'abord états-unien, aussi européen, aux Ukrainiens peut donner l'impression que la guerre inter-impérialiste est déjà̀ en cours. D'autant qu'une rhétorique datant de la guerre froide, considérant cette guerre comme celle du monde « libre » contre le « totalitarisme » fleurit.</p> <p>Simple guerre locale d'agression impérialiste russe contre l'Ukraine ou (et ?) lever de rideau du grand affrontement ? La situation n'est pas celle qui prévalait dans les années 1905-1914 sur plusieurs plans : les systèmes d'alliance ne sont pas stables comme ils l'étaient (plus ou moins) en Europe au début du XXe siècle, ni comme les « blocs » de la guerre froide. L'interdépendance économique, qui existait au début du XXe siècle et que certains pensaient alors comme facteur de paix, est aujourd'hui beaucoup plus forte qu'à l'époque. Cependant, si la reproduction d'un scénario de type 1914 est peu probable, la situation est loin d'être rassurante pour autant. La volonté́ de puissance chinoise d'une part, la volonté́ américaine de reprendre le contrôle d'autre part (cf. Tromp), sont inquiétants. La course aux armements qui reprend un peu partout, quantitativement et qualitativement, est dangereuse. La crise même du système monde impérialiste provoque crispations nationalistes et hystéries identitaires à une échelle inconnue depuis les années 1930. Enfin, et surtout, la criminelle passivité́ des grandes puissances, Etats comme entreprises multinationales, face au changement climatique et à l'effondrement de la biodiversité́, va provoquer, provoque déjà̀, des situations intolérables qui vont à̀ court terme décupler conflits et violences...</p> <p>À moins que l'action de ceux qui pensent qu'un autre monde est possible et agissent, localement et globalement en ce sens permettent qu'autre chose n'advienne que cet impérialisme (pas « super » du tout) et arrête ces impérialistes fauteurs de guerre.</p> <p><i>Bernard Dréano est président du Centre d'études et d'initiatives de solidarité́ internationale CEDETIM, cofondateur de l'Assemblée européenne des citoyens AEC/HCA-France. </i></p></div> Le covid, l'écologie, la guerre http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2864 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2864 2023-06-05T15:38:00Z text/html fr Michel Rogalski <p>Nous sommes, presque concomitamment, confrontés à au moins trois problèmes majeurs, apparemment distincts. Ce qui n'empêche pas des correlations. Il fallait le scalpel de Michel Rogalski poue les disséquer.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique71" rel="directory">Monde</a> <div class='rss_texte'><p>On se souvient encore à peine des commentaires qui avaient accompagné la crise du Covid-19. Peut-être en est-il mieux ainsi tant le sottisier serait rétrospectivement accablant ? Du « je vous l'avis bien dit ; il aurait fallu m'écouter » jusqu'à « rien ne sera plus comme avant ; maintenant voici ce qu'il faut faire ; il faut penser l'après », on aura tout entendu. Bref puisque mon analyse était bonne mon programme ne peut qu'être parfait. Du côté des dirigeants une petite musique se développait à bas bruit : « on va surmonter l'épisode et d'un mal on va faire naître un bien. » Propos lénifiants chargés de dissimuler la panique rampante qui gagnait les milieux informés qui sidérés par le présent tentaient de vendre un monde nouveau plus résilient voire plus attrayant.</p> <p><strong>Parenthèse ou rupture ?</strong></p> <p>Ainsi s'affrontaient les tenants de la parenthèse à ceux de la rupture ou à ceux inquiets des effets de cliquet irréversibles en matière de contrôle de population. Les premiers arguant que les inerties et les habitudes reprendraient bien vite le dessus. Et annonçaient le comme avant, le plus qu'avant et au plus vite. Le retour des activités, à commencer par celles symboliques des compagnies aériennes, leur donna en partie raison et les « queues » de Covid n'entamèrent pas la tendance. Bref, pour l'essentiel la vie continua comme avant avec peut-être un désir d'en profiter plus. Ceux qui ont vécu l'événement comme la grande rupture riche de toutes les coupures avec le passé et lourde d'espoirs de changement, et prêts à sortir de leur dossiers programmes clés en mains seront restés pour l'essentiel sur leur faim tant les espoirs étaient grandioses. L'ancien est mort, vive le nouveau : sur ce constat il fallait imaginer un monde plus résilient, comprendre que les difficultés rencontrées dans la gestion internationale de la crise sanitaire allaient servir de leçon pour faire avancer la cause climatique et que ses experts seraient plus écoutés, il fallait imaginer que la pandémie n'était qu'un révélateur d'une rupture incontournable à portée de mains. Le « rien ne sera plus comme avant » n'a malheureusement pas porté ses fruits. Certains « catastrophistes » n'ont pas craint d'annoncer : « le coronavirus est une aubaine pour la planète, car, quand les Hommes souffrent, la planète souffle. », d'autres – les « décroissants » - que « la planète a besoin de marquer une pause ». Les acteurs du tissu économique et social et ceux qui ont pu bénéficier du « quoi qu'il en coûte » apprécieront. Leur faiblesse est de n'avoir pas su entrevoir qu'il n'y avait pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d'avancer leur programme d'atterrissage. Reste, ce qui ne doit pas être tenu pour négligeable, le rapport au travail et à ses formes qui a été fortement interpellé par la crise sanitaire et dont le débat est appelé à se poursuivre à commencer par influencer celui sur la réforme des retraites.</p> <p><strong>Populations sous surveillance</strong></p> <p>Mais ce qui doit être noté avec attention ce sont les traces laissées - et gravées dans le marbre - dans le domaine sécuritaire et d'une façon générale dans la maîtrise de la gestion du contrôle des populations. Dès le début, les images relayées de la Chine semblaient correspondre à une répétition générale d'un état de siège ou évocatrice d'un lendemain de coup d'état ou de manœuvres militaires. Très vite se sont répandues à l'ensemble du monde des mesures – qui sans être aussi draconiennes – ont généralisé la lente évolution déjà amorcée vers une société de surveillance et surtout son acceptation cette fois ci au nom d'impératifs sanitaires. La population a accédé au statut de suspecte a priori pour laquelle tous les moyens de contrôle déployés par l'usage de la technologie du numérique et de l'intelligence artificielle étaient devenus un procédé acceptable, sinon légitime. Bref, tous terroristes ! Puisque les méthodes utilisées pour combattre ceux ainsi désignés sont désormais employables à l'encontre de l'ensemble d'une population et souvent à son insu. Comme toujours dans ce domaine les mesures d'exception ont tendance, comme un effet de cliquet, à s'installer durablement dans l'arsenal juridique. Celui des années de plomb adopté par l'Italie dans les années 70 est toujours en place – prêt à resservir, si nécessaire. Les réticences et inquiétudes ont gagné jusqu'aux plus hauts sommets des Nations unies puisqu'elles ont amené son secrétaire général, Antonio Guterrès à intervenir très tôt en 2021 devant le Conseil des Droits de l'Homme en affirmant : « Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de sécurité de certains pays ont pris des mesures sévères et adopté des mesures d'urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants, et entraver le travail des organisations non gouvernementales. (…) Les restrictions liées à la pandémie servent d'excuse pour miner les processus électoraux, affaiblir les voix des opposants et réprimer les critiques. » Tout était déjà dit ! Il n'y a plus de limites à la surveillance qu'ils ont réussi à instaurer. Dans son dernier roman Le sage du Kremlin, Giuliano da Empoli, évoquant les maîtres du développement des techniques numériques affirme « Grâce à eux, tout moment de notre existence est devenu une source d'informations. »</p> <p><strong>Guerre, écologie et climat</strong></p> <p>Une petite musique chemine à bas bruit dans certains milieux écologistes laissant entendre que tout compte fait la guerre russo-ukrainienne pourrait être salutaire pour le climat. Toujours cette idée que du pire, de la crise pourrait surgir le meilleur.</p> <p>Le raisonnement proposé est tout à la fois simple et désarmant. L'Union européenne, dès l'invasion de l'Ukraine par la Russie, comprend qu'elle va être profondément impactée par son extrême dépendance aux importations énergétiques d'origine fossiles, principalement le gaz, le pétrole et le diesel. Dès le mois de mai 2022 elle élabore dans l'urgence un plan - REPowerEU – dans le but tout à la fois de réduire sa dépendance vis-à-vis de ces combustibles et d'accélérer la transition énergétique en mettant au cœur de sa démarche les thèmes de la sobriété et de l'austérité . La désignation de l'ennemi russe ajoutant à l'approche une dimension patriotique et guerrière. Il s'agit tout à la fois de faire progresser des avancées climatiques et d'affaiblir le budget de guerre russe. La sobriété énergétique deviendrait ainsi une condition pour gagner la guerre. On vit même fleurir, à l'initiative du groupe des Verts/ALE du Parlement européen, une campagne « Soyons solidaire avec l'Ukraine » s'appuyant sur des affiches accompagnées de slogans « Isolons Poutine, isolons les maisons » ou « Plus de soleil, plus de vent, plus de paix ».</p> <p>Sauf que rien ne se passe comme prévu. On assiste plutôt à une ruée vers le gaz ou à la remise en service d'anciennes mines de charbon. On voit se mettre en place de nouvelles stratégies d'approvisionnement en gaz naturel liquéfié (GNL), d'acheminement plus souple à travers des bateaux, plus cher, bien plus coûteux pour l'environnement, souvent issu des gaz de schiste extraits par fracturation et créant une nouvelle dépendance, cette fois-ci aux États-Unis ou aux autres exportateurs d'hydrocarbures. On est bien loin de l'allégation d'une recherche de transition bas-carbone qu'on risque même de faire dérailler. Rien donc de propice à une diplomatie de coopération. Faudrait-il associer à la notion bien nécessaire de planification écologiste celle de planification de guerre ? Une telle confusion est riche de dangers. Finalement grâce à Poutine et à sa guerre une opportunité surgirait pour convaincre patronat et finance de s'engager dans une écologie de guerre salvatrice de nature à se transformer en arme économique pour affaiblir le potentiel militaire de l'ennemi. Pari tout à la fois risqué et lourd de dérives austéritaires. On comprend mieux les difficultés que rencontre le bloc « occidental » à mettre de leur côté la plupart des pays du Sud qui soucieux avant tout de leur développement rechignent à s'aligner sur de telles postures. La guerre ne peut être l'occasion d'une opportunité pour l'écologie. Cette posture est d'autant plus étonnante qu'elle s'écarte des dernières préoccupations du GIEC qui, après des années, commence enfin à prendre en considération l'impact des activités guerrières sur l'état du climat</p> <p><i>Article publié dans Recherches internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>http://www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> Les élections du siècle en Turquie http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2851 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2851 2023-05-01T14:02:00Z text/html fr Enis Coskun <p>Pour la première fois depuis vingt ans, le pouvoir du très autoritaire « sultan » Recep Erdogan est menacé lors de la toute proches élection présidentielle turque. Un score serré semble attendu, et la crainte de sombres manipulations du pouvoir en place est présente. Enis Coskun, éminent juriste turc, éclaire notre lanterne.</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique61" rel="directory">Turquie</a> <div class='rss_texte'><p>Le 14 mai prochain les Turcs éliront leur Président et leurs députés. 100 ans après la fondation d'un État laïque sous la direction de Mustafa Kemal, ces élections sont cruciales pour l'avenir du pays.</p> <p><strong>Un contexte économique et social tendu</strong></p> <p>La situation économique et sociale du pays est catastrophique. Avec une inflation à trois chiffres, les hausses de prix sont devenues insupportables. Qu'ils soient ouvriers ou employés, la plupart des travailleurs ne perçoivent que le salaire minimum légal fixé à 8 500 livres turques (400 euros environ). Cette rémunération ne couvre même pas le montant des dépenses alimentaires élémentaires mensuelles pour une famille de quatre personnes qui s'élève à 9 590 livres (479,50 euros) tandis que le seuil de pauvreté s'établit à 30 700 livres turques par mois (1535 euros). Le chômage atteint, selon les dernières statistiques officielles, 10,7 % de la population. La balance des paiements s'est fortement détériorée. Tous ces indicateurs montrent une économie turque à bout de souffle.</p> <p><strong>Un délitement de l'État de droit. </strong></p> <p>La Constitution adoptée en 2017 a établi un régime présidentiel. Le Président Recep Tayyip Erdoğan exerce le pouvoir exécutif et dirige le parti au pouvoir, l'AKP. Surtout, il a placé le pouvoir judiciaire sous son administration directe.</p> <p>En Turquie, à la fin janvier 2023, 341 497 personnes étaient incarcérées. Parmi elles se trouvent des milliers de citoyens - journalistes, avocats, universitaires, personnalités politiques, membres d'ONG, syndicalistes - arrêtés, condamnés et emprisonnés pour des motifs politiques et sociaux, au grief par exemple d'injure au Président de la République.</p> <p>Le pouvoir bafoue la volonté populaire. Ainsi a-t-il démis de leurs fonctions des dizaines de maires du Parti démocratique des peuples (HDP), élus démocratiquement dans l'Est et le Sud-est du pays et a nommé des administrateurs à leur place. Un procès sans fondement est intenté contre le maire d'Istanbul condamné, en première instance, à l'interdiction d'exercer tout mandat politique et à une peine d'emprisonnement. Le juge chargé du procès s'est opposé à la demande de ce verdict, il a été dessaisi du dossier et muté. Le juge qui l'a remplacé a statué dans le sens souhaité. Ainsi, un maire élu démocratiquement par plus de 16 millions d'habitants est-il victime de l'arbitraire. À l'approche des élections du 14 mai, un procès a été intenté contre le HDP, troisième parti au Parlement en nombre de députés, et menacé d'interdiction. Selahattin Demirtaş, ex-coprésident de ce parti, est abusivement emprisonné depuis sept ans. L'objectif est de le maintenir en prison à vie en ouvrant des parodies de procès successifs. L'homme d'affaires Osman Kavala se trouve dans la même situation. Bien que la Cour européenne des droits de l'Homme ait ordonné la libération de ces deux prisonniers, Erdoğan s'obstine à ne pas respecter ces décisions.</p> <p>La liberté de pensée et d'expression est sous pression. Une anecdote qui circule sur les réseaux sociaux l'illustre parfaitement : dans une prison, un détenu souhaite se procurer un ouvrage ; le gardien lui fait savoir que l'établissement ne dispose point de ce livre, mais que …son auteur s'y trouve !</p> <p><strong>Une candidature à la légalité constitutionnelle contestable</strong></p> <p>La candidature d'Erdoğan suscite d'intenses débats. L'article 116 de la Constitution dispose qu'une personne ne peut être candidate à la présidence de la République que deux fois, ce qui est le cas du président actuel. En l'absence de majorité parlementaire justifiant l'organisation d'élections anticipées, Erdoğan a argué du fait que le référendum constitutionnel de 2017 avait ouvert une nouvelle période et que son élection de 2018 ne constituait que son premier mandat. La quasi-totalité des constitutionnalistes de Turquie désapprouve cette interprétation de la Constitution. Cependant, le Haut Conseil électoral (YSK), qui est chargé d'organiser les élections et dont les membres sont nommés par Erdoğan, a rejeté toutes les objections formulées. S'il était réélu le 14 mai, le mandat d'Erdoğan courrait jusqu'en 2028. En cas d'élections anticipées il pourrait même l'étendre jusqu'en 2033 !</p> <p>Erdoğan a l'habitude de s'affranchir des dispositions légales et constitutionnelles. Il a indiqué qu'il ne respecterait pas et n'appliquerait pas les décisions des tribunaux supranationaux, tels que la Cour européenne des droits de l'Homme, des juridictions suprêmes nationales, la Cour constitutionnelle et le Conseil d'État, ou même les décisions du pouvoir judiciaire qu'il n'approuverait pas.</p> <p><strong>"La démocratie est un train que l'on quitte une fois arrivé à destination" (Recep Tayyip Erdoğan, 1996)</strong></p> <p>Que visait réellement le maire d'Istanbul d'alors ? Que son projet politique, celui de l'abaissement de la démocratie et de la laïcité était au cœur de son programme, derrière des promesses de façade rassurantes. Aujourd'hui, Erdoğan, se prépare à franchir un nouveau cap. L'instauration d'une république islamique serait-elle le terme du nouveau “voyage”, s'il était réélu ?</p> <p>Dans la perspective des élections du14 mai prochain, l'AKP a fait alliance avec deux partis nationalistes (MHP et BBP) ainsi qu'avec deux partis politiques islamistes, l'Hüdapar, considéré comme la branche turque du “parti de Dieu” (Hezbollah, distinct de son homonyme libanais), mêlé à de nombreux assassinats politiques et le Yeniden Refah Partisi. Ces deux derniers partis ont posé comme condition la possibilité de porter atteinte aux principes républicains et laïcs inscrits, jusqu'à présent, dans la Constitution. Ils souhaitent également l'abrogation de la loi interdisant les violences à l'égard des femmes, dans le prolongement du désengagement de la Turquie de la Convention d'Istanbul. Ils demandent aussi que les femmes ne puissent occuper que des emplois “adaptés à leur nature” et que la mixité des classes à l'école soit abolie. Erdoğan a accepté les candidatures de ces deux partis dans sa coalition électorale.</p> <p><strong>La Turquie à la croisée des chemins</strong></p> <p>En fait, les élections du 14 mai prochain et les efforts d'Erdoğan pour rester au pouvoir cristallisent la lutte centenaire entre les républicains et leurs opposants. Parmi les pays du Moyen-Orient, le processus historique de la Turquie est unique. Il y a 100 ans, à l'issue de la Guerre d'indépendance, avec la proclamation de la République, le sultanat et le califat furent abolis. Depuis son élection, Erdoğan n'a eu de cesse d'affaiblir les fondements laïques de la république. Avec la présidentialisation du pouvoir induite par la modification constitutionnelle de 2017, ce mouvement s'est approfondi. Le peuple est progressivement dessaisi de sa souveraineté au profit du pouvoir présidentiel.</p> <p>La sécurité et l'intégrité des élections ne sont aucunement garanties. Un doute pèse sur l'impartialité des commissions électorales locales. Nombre d'avocats proches du pouvoir ayant été nommés juges seront chargés d'organiser les scrutins et d'officialiser les résultats. Diverses agressions et provocations visent à intimider les électeurs et à les décourager de se rendre aux urnes. Les rumeurs sur les menaces d'assassinat du Président du principal parti d'opposition, Kemal Kiliçdaroglu, candidat de l'opposition à l'élection présidentielle, ont fait la une des médias.</p> <p>En plus de « l'Alliance nationale » qui réunit six partis d'opposition, deux autres coalitions de gauche soutiennent la candidature de Kiliçdaroğlu à l'élection présidentielle. Un large front s'est formé contre Erdoğan. Dans les sondages le candidat de l'opposition devance son adversaire. Face à cette situation, nombreux sont ceux qui craignent un regain du climat de violence et d'affrontements comme ce fut le cas lors de l'élection présidentielle de 2015. La Turquie est véritablement à la croisée des chemins. Il est crucial qu'à l'occasion de ces élections elle retrouve la voie de la démocratie et de l'État de droit. <i>Article paru dans la revue Recherches internationales, <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> L'économie de guerre ne peut que tuer la mondialisation http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2811 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2811 2022-10-05T11:52:00Z text/html fr Michel Rogalski <p>Directeur de la revue Recherches Internationales, Michel Rogalski nous explique pourquoi l'économie de guerre, conséquente à la guerre en Ukraine, et sous-jacente ailleurs, peut nous faire sortir de la période de mondialisation que d'aucuns qualifiaient d' “heureuse”, et en décrit les conséquences. De quoi réfléchir !</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique81" rel="directory">international</a> <div class='rss_texte'><p>Le président Emmanuel Macron n'a pas mâché ses mots et a d'emblée lancé à propos de la guerre russo-ukrainienne « Nous sommes entrés en économie de guerre ». Parole certainement pesée et généralement utilisée pour faire accepter des sacrifices en invoquant de grandes valeurs comme le prix de la liberté. C'est vrai que la période hivernale s'annonce périlleuse entre menaces sur le pouvoir d'achat, pénuries d'énergies et ralentissement de la croissance, et pas seulement chez nous en Europe mais largement au-delà. Certes, on était habitués à l'usage réitéré et opportuniste de la formule – François Hollande nous avait également informés que nous étions en guerre contre la Syrie – mais cette fois-ci l'auteur de ces propos veut nous signifier quelque chose de bien plus profond. C'est la logique sur laquelle l'économie mondiale fonctionnait depuis bientôt cinquante ans qui vient de basculer sur autre chose dont il peine ou n'ose d'ailleurs à définir les contours.</p> <p>Car c'est un modèle de l'économie mondialisée heureuse adossée à beaucoup de croyances avec lequel on est obligés ou invités à prendre aujourd'hui nos distances. Deux transformations technologiques majeures allaient en créer les conditions permissives : la révolution numérique indispensable à la finance mondiale et à la circulation de l'information, et l'abaissement massif des coûts de transport des marchandises. Depuis la fin des « trente glorieuses » nous étions entrés dans une mondialisation libérale partout vantée pour les avantages qu'elle procurerait à ceux qui accepteraient d'y participer. Les plus honnêtes reconnaissaient que dans cette nouvelle interdépendance généralisée certains seraient peut-être plus dépendants que d'autres et que les bénéfices ne seraient peut être pas pour tous et qu'il conviendrait d'imaginer des mécanismes amortissants les chocs qu'elle ne manquerait pas de provoquer.</p> <p>Fondamentalement ce modèle mondialiste permit au capital d'organiser la mise en concurrence des travailleurs, de se jouer des frontières, de s'exciper des acquis sociaux en allant faire ailleurs ce qui devenait interdit chez soi. La déflation salariale s'obtint par la mise en concurrence des travailleurs à l'échelle du monde en rapprochant capital et bas salaires que ce soit à coups de délocalisations ou par l'accompagnement de flux migratoires. Ainsi fut mis fin à un compromis implicite qui régnait sur un territoire donné entre travail et capital et qui faisait en sorte que la grosse firme puisse écouler la marchandise produite auprès de consommateurs disposant d'un pouvoir d'achat suffisant. Dès lors que l'horizon devenait planétaire, la firme multinationale pouvait s'émanciper du contexte social car seul comptait son chiffre d'affaires. Et s'il pouvait être réalisé à l'export, alors qu'importait la fermeture des bassins d'emplois et la montée du chômage. Le chiffre d'affaires devenant mondial on pouvait dégrader l'emploi, casser des secteurs d'activités, démanteler des territoires. Il s'agissait de penser mondial et pour ce faire remodeler les réalités nationales en alléguant une soi-disant contrainte externe. L'attractivité – c'est-à-dire l'abandon des acquis sociaux, la fin des normes fiscales et environnementales – devint l'horizon partout proposé.</p> <p>Précédée de la crise monétaire asiatique, la crise des subprimes émergeant au cœur de la finance mondiale allait irradier le continent européen puis l'ensemble du monde. La pandémie du Covid ébranla encore plus le système. En réalité depuis 2015 le processus de mondialisation s'est ramolli, les rythmes du commerce extérieur ne caracolant plus en tête devant celui du PIB mondial.</p> <p>Cette mondialisation était vantée pour les vertus supposées du « doux commerce ». Elle devait réduire les inégalités, garantir la croissance, la prospérité, la paix et la sécurité. L'interdépendance croissante et l'intégration à l'économie mondiale devaient contribuer à assurer tous ces succès et même, cerise sur le gâteau, promouvoir la démocratie et faire reculer les tentations nationalistes. La certitude s'était répandue, surtout depuis l'effondrement du monde soviétique, que ce processus ne pouvait être conduit que par le monde occidental. Avec le recul, on ne peut qu'être consternés de l'adhésion durable de la plupart de nos élites économiques ou politiques à ces croyances et à leur obstination devant les désaveux apportés jour après jour par la réalité des faits.</p> <p>Car non seulement les vertus attendues ne se sont pas réalisées, mais plusieurs changements structurels sont advenus sans qu'on y prête une attention suffisante. Tout d'abord le poids des pays occidentaux dans l'économie mondiale s'est affaibli au fur à mesure que la mondialisation progressait. Cette perte d'influence s'est traduite pour les pays du G-7 par un passage de 50 % à 31 % du PIB mondial des années 80 à aujourd'hui. Ce sont les pays non-occidentaux notamment les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui en bénéficièrent, en particulier la Chine dès que son adhésion à l'OMC en 2001 lui permit de devenir un acteur économique majeur à même d'entretenir des relations avec tous les continents, y compris les États-Unis. Dans le même temps le monde devenait un territoire de jeu pour les firmes multinationales se jouant des frontières et redéployant ses segments d'activités au gré des avantages procurés par l'attractivité poussant maints pays à offrir des « avantages » sociaux, fiscaux ou environnementaux. Des chaînes de valeurs se sont délocalisées et articulées entre elles formant un vaste réseau où chacun dépendait des autres avec la caractéristique de travailler à flux tendus sans stock et s'exposant ainsi à tout choc ou toute rupture d'approvisionnement. Car tout flux peut se transformer en arme redoutable. Les interdépendances auparavant louées se sont transformées en sources de vulnérabilité. C'est sur ce constat que s'appuient les sanctions qui depuis une quarantaine d'années ont été utilisées dans différents domaines avec les fortunes diverses que l'on sait.</p> <p>C'est dans ce contexte que la guerre russo-ukrainienne s'installe. Très vite les sanctions occidentales vont révéler les caractéristiques de cette longue évolution de l'économie mondiale, déjà entrevues à l'occasion de la crise du Covid et de la présidence Trump, et qui se ramènent à un enchevêtrement de flux et à une bipolarisation qui se met en place entre zones d'influence occidentale ou chinoise. Ainsi au-delà de ses aspects militaires la guerre, partie pour durer, se mondialise à travers ses aspects économiques. De même que l'agression russe a ressoudé les pays occidentaux et renforcé l'Otan, la politique des sanctions à l'égard de la Russie a révélé que l'Occident avait perdu la maîtrise de la mondialisation et n'avait plus les moyens de « cornériser » son adversaire qui pouvait s'appuyer sur le neutralité bienveillante des Grands du tiers-monde pas mécontents de montrer la force de leur autonomie ou leurs ressentiments longtemps contenus. Ainsi le multi-alignement – qui part avant tout de la défense de ses intérêts nationaux – succède au non-alignement. À l'occasion de la récente assemblée générale des Nations unies on assista à un assaut d'efforts pour casser cette alliance de fait qui avait eu pour effet d'isoler le monde occidental dans sa politique de sanctions et plus encore de déboussoler ses opinions publiques inquiètes du sort qui les attendait.</p> <p>Le monde se refaçonne. La mondialisation moins dynamique se désoccidentalise, s'organise de plus en plus vers des blocs antagoniques et ramène sur le devant de la scène de vieux conflits historiques qui avaient opposés Nord et Sud. Dans le même temps le fractionnement des chaînes de valeurs atteint ses limites au-delà desquelles la résilience de la production n'est plus assurée. L'approche libre-échangiste ou la recherche de l'ouverture reculent faisant place à un intérêt marqué pour la protection et la sécurité au détriment de l'avantage immédiat du meilleur coût. La dimension géopolitique imprègne les choix des partenaires commerciaux. Partout on parle de souveraineté économique et d'autonomie stratégique. La recherche de la sécurité des approvisionnements peut primer désormais sur la recherche d'une production au moindre coût. La globalisation « low cost » a vécu. L'économie de guerre annonce tout cela.</p> <p><i>Article paru dans la revue Recherches-Internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> Absolument rechercher un chemin pour la paix http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2809 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2809 2022-10-03T11:44:00Z text/html fr Patrick Le Hyaric <p>Dans sa Lettre sur internet, Patrick Le Hyaric lance un appel aux peuples, aux institutions de tous niveaux, local, national, international, aux associations, partis, syndicats pour envoyer un puissant message de paix. On essaie ? (Illustration glanée sur le net)</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique81" rel="directory">international</a> <div class='rss_texte'><p>Sept mois après le début de la sale guerre déclenchée par le pouvoir poutinien contre le peuple ukrainien, les grands de ce monde jettent du sel sur les plaies. Alors que le nombre des victimes civiles et militaires ne cesse de s'accroître, que les destructions massives multiplient les champs de ruines, nous assistons à un moment nouveau d'escalades verbales, préludes à des escalades guerrières dont la probabilité ne finit pas de grandir.</p> <p>Le danger est extrême. Il est ignoré par des écrans de télévisions qui, dans une unanimité troublante, diffusent des bavardages à sens unique. La guerre est accompagnée de sa propagande, négation d'une information qui aiderait à une compréhension largement partagée d'une situation pourtant fort complexe. L'indignation que provoquent les images atroces qui défilent et qui émeuvent aux larmes, cultive une rage qui pousse à réclamer encore plus d'armes pour « vaincre » Poutine et la Russie, et se mettre du côté de l'OTAN pour être mieux protégés. Bref, la guerre poutinienne permet aux puissances occidentales de renforcer leurs stratégies militaristes et impérialistes.</p> <p>Les peuples sont réduits à n'être que des spectateurs de parties d'échecs dont ils ignorent les règles. Chacun est censé connaître par avance le vainqueur. Il aurait au préalable été poussé à choisir son camp, celui qui lui a été indiqué par un flot d'injonctions partisanes. Les esprits sont ainsi sommés de prendre parti et préparés à accepter les efforts au premier rang desquels figurent les sacrifices à consentir face à une inflation galopante et à des pénuries prétendument créées par la guerre. Matin, midi et soir nous avons droit aux décomptes des militaires, des chars et des missiles de part et d'autre.</p> <p>On vante l'efficacité de drones qui tuent, les trajectoires des obus calculées et réglées par l'intelligence artificielle. Sur les cartes, nous suivons au jour le jour les kilomètres carrés de territoires occupés ou libérés, des échanges de prisonniers. Tout vise à entretenir une ambiance anxiogène de conflit armé qui menace de se généraliser avec de plus en plus d'armes de plus en plus sophistiquées voire la menace nucléaire, alors que l'urgence devrait être de défricher patiemment les chemins étroits de la paix qui passe tout de suite par le retour des troupes russes dans leurs casernes. Il ne s'agit aucunement d'un jeu, mais bien d'une terrible guerre dans laquelle le peuple ukrainien et des militaires russes versent leur sang, avec une Ukraine qui subit la destruction de ses services publics, de ses maisons, de ses écoles, de ses hôpitaux et de ses champs. Les enfants ukrainiens, les travailleurs ukrainiens, les femmes ne doivent ni être les otages des luttes d'influence au cœur du Kremlin, ni des élections de mi-mandat aux États-Unis, ni des appétits de l'industrie de guerre.</p> <p>Oui, les faucons s'agitent de part et d'autre et l'industrie guerrière, dont curieusement on ne dit mot de ses « superprofits » tourne à plein régime. « Arrêtez le massacre ! » devrait- on entendre monter de toutes parts. Mais le mot « paix » a disparu des interventions des grands de ce monde. Ce beau mot, étendard de la quête universelle d'humanité, serait-il devenu une ignominie qui condamne à une prise de parti pour un camp, qui fait de la moindre remarque un tant soit peu discursive de l'idéologie dominante, un soupçon d'identification à l'agresseur et ses crimes de guerre ? Mais c'est la guerre qui est un crime contre l'Humanité ! Ne pas chercher la voie étroite permettant d'y mettre fin revient à laisser perdurer ce crime. Croire que le langage du rapport de forces et de l'humiliation de la Russie permettrait la paix reviendrait à ne retenir aucune leçon de l'histoire européenne, notamment les conditions de la signature du traité mettant fin à la Première Guerre mondiale.</p> <p>À peine l'encre de celui-ci séchée que se créait ce qui a conduit à la préparation de la seconde. C'est ce qu'aurait dû retenir le président de la République française. Or, sa véhémente allocution à la tribune des Nations Unies, dans un hémicycle à moitié vide, mardi dernier n'avait rien d'apaisant. Au contraire, il s'est inscrit dans cette mortifère escalade. Au nom de quoi, lui, l'aligné et même l'humilié des Américains qui ont empêché la vente de sous-marins français à l'Australie, peut-il parler sur ce ton aux pays qui refusent de choisir entre approuver ou désapprouver Poutine ? Au nom de quoi, peut-il faire une telle leçon sur les colonialismes et l'impérialisme à des pays qui souffrent notamment du colonialisme français ?</p> <p>Parlons des interventions militaires ! Parlons de cet impérialisme qui fait de la prééminence du dollar sur les échanges mondiaux la cause de tant de souffrances dans les pays émergents, mais aussi pour nos peuples en Europe. Que dire de l'extraterritorialité du droit américain qui pénalise nos entreprises comme celle des pays émergents. Que dire encore du refus de lever les brevets sur les vaccins qui concernait en premier lieu ces pays. La France était alignée sur les Américains et leurs groupes pharmaceutiques à l'Organisation mondiale du commerce. Que dire du blocus criminel imposé à Cuba ? Et que dire de la poursuite du franc CFA dans les pays africains ? Que dire enfin des interventions de la France en Afrique ? De son soutien à des dictatures qui y épuisent nations et peuples.</p> <p>Et, M. Biden qui en tant que sénateur démocrate a voté l'invasion de l'Irak n'est pas plus qualifié pour donner des leçons. Le monde paye toujours la lourde facture de cette guerre déclenchée sur la base d'un mensonge diffusé en mondovision. N'a-t-on pas compris dans les palais de la République que le monde change et que des pays dans lesquels vit et travaille la majorité de la population mondiale veulent s'émanciper de la domination capitaliste occidentale ? La France est la France quand elle se place au niveau de l'intérêt général et fait valoir une diplomatie de la paix.</p> <p>Nous nous plaçons aux côtés des pacifistes et démocrates russes et ukrainiens qui se sont exprimés à nos côtés à la Fête de l'Humanité, et qui mercredi encore signaient un texte commun dans l'Humanité. Un événement que les guerriers des plateaux de télévision n'ont pas remarqué. Nous louons le courage de celles et ceux qui, en Russie, manifestaient dans d'abominables conditions, justement à l'occasion de la Journée internationale de la paix au prix d'une féroce répression de la part de la police poutinienne.</p> <p>Au lieu de rechercher ce chemin pour la paix, les dirigeants américains et l'OTAN se sont engagés tout l'été plus avant dans l'escalade, la fourniture de plus en plus de matériels militaires, de renseignements et même de combattants. Des forces importantes à Moscou poussent au pire. Ces faucons et Poutine répondent par une dangereuse opération consistant à faire acter par référendum (dont on connait le résultat) que les territoires occupés sont partie intégrante de la Russie. À partir de ce moment ; ils considèreront qu'une tentative de reconquête par le pouvoir ukrainien et l'OTAN serait une agression contre la Russie.</p> <p>À Moscou les radicaux nationalistes tonnent avec un langage très inquiétant, à l'image de la directrice de Russia Today écrivant : « Cette semaine marque soit la veille de notre victoire proche, soit la veille d'une guerre nucléaire, je ne vois pas de troisième solution ». On entend aussi de tels propos à Kiev, à Londres et à Washington et dans quelques antichambres des institutions européennes. Dès lors, le pire devient possible. On n'a jamais parlé aussi ouvertement de l'utilisation d'armes de destruction massive dont l'arme nucléaire. Heureusement que de grands pays comme la Chine et l'Inde appellent avec force à ce que se taisent les armes. La situation est donc lourde de dangers. Elle porte en germe les conditions d'une déflagration en Europe. L'une de nos principales responsabilités politiques aujourd'hui est de l'empêcher. Que le chemin soit très étroit, nous en avons conscience. Que les conditions d'un dialogue constructif avec Poutine et son pouvoir, soit peu enclin à s'asseoir autour d'une table de discussion, soient très compliquées est une évidence. Cela ne doit pas conduire à baisser les bras. Il faut tout remettre sur la table !</p> <p>La route qui a conduit à cette situation et cette impasse mortifère : de l'élargissement de l'OTAN aux accords de Minsk jamais mis en œuvre. La question fondamentale est de traiter les enjeux de sécurité collective en Europe et au-delà dans le monde. Dans la rue, les conseils municipaux, départementaux, régionaux jusqu'au Parlement et dans les institutions européennes faisons résonner les voix de la paix. Multiplions les résolutions, multiplions les débats et les rassemblements. Oui, la paix maintenant, avant qu'il ne soit trop tard.</p> <p>Cherchons des alliances avec les organisations pacifistes, démocratiques partout dans le monde. Le congrès à venir du mouvement de la Paix peut y contribuer après les rassemblements qui se sont tenus mercredi dernier. Ils étaient nécessaires et utiles. Ils nous ont aussi permis de vérifier combien nous étions loin du compte. Partout, poussons, comme alternative à la guerre, l'exigence ; la préparation d'une conférence européenne pour la sécurité et la paix en Europe associant tous les pays impliqués et au-delà, sous l'égide de l'ONU. Parodions ces propos de Jean Jaurès dans l'Humanité déjà en 1905 :</p> <p>« Dans toute cette indécision des choses et cet équilibre instable des forces, l'action humaine peut beaucoup. La formidable part d'inconnu n'est pas redoutable seulement pour nous communistes. Elle l'est aussi pour ceux qui déchaineraient témérairement des guerres dont nul aujourd'hui ne peut prévoir les conséquences politiques et sociales et les contre coups intérieurs.</p> <p>Donc, nous pouvons agir dès aujourd'hui, à quelque degré, sur la marche des événements, et comme nul ne peut déterminer d'avance le degré d'efficacité de notre action, nous devons multiplier les efforts avec la conviction que les peuples rassemblés et déterminés peuvent déplacer des montagnes. »</p> <p><i>Article paru dans <a href="https://patrick-le-hyaric.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>https://patrick-le-hyaric.fr</a></i></p></div> La guerre d'Ukraine révèle un occident affaibliNouvel article http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2794 http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?article2794 2022-08-16T01:07:00Z text/html fr Michel Rogalski <p>Directeur de la revue Recherches Internationales, Michel Rogalski, situe la guerre en Ukraine dans une sorte de tectonique des plaques au niveau des relations internationales, dont il relève les principaux éléments et qui mettent l'occident dans une position difficile</p> - <a href="http://www.la-gauche-cactus.fr/SPIP/spip.php?rubrique81" rel="directory">international</a> <div class='rss_texte'><p>Annoncée depuis plusieurs mois par les services américains l'invasion russe de l'Ukraine a néanmoins surpris l'opinion internationale qui considérait que le déploiement de troupes et d'arsenaux militaires ne relevait que d'une démonstration de forces visant à impressionner le proche voisin et au-delà le monde occidental.</p> <p>Très vite, l'affaire fut portée devant les Nations unies pour faire condamner l'agresseur par le Conseil de sécurité et engager, par le biais de l'Assemblée générale, à son encontre un train de sanctions économiques et financières dans le but de le faire cesser son intervention. L'objectif étant parallèlement d'isoler diplomatiquement Moscou, d'en faire un État paria et de l'écarter de tous les mécanismes qui organisent le processus d'interdépendance et de mondialisation. De leur côté, l'Union européenne et l'Otan s'organisèrent pour réagir de façon concertée et coordonnée. Le bilan de ces réactions apparaît comme plus mitigé qu'on aurait pu l'imaginer.</p> <p><strong>Un vote massif en apparence</strong></p> <p>Bien sûr, le Conseil de sécurité vota très largement la condamnation, amputée de toute efficience en raison du droit de veto utilisé par la Russie, puis obtint la convocation d'urgence de l'Assemblée générale. Celle-ci, invitée à condamner et à appliquer un train de sanctions se révéla moins enthousiaste et plus divisée qu'attendu. Comment en était-on arrivé là alors que l'invasion de l'Ukraine était patente, revendiquée et même justifiée à coup d'arguments historiques fumeux, bref indéfendable ?</p> <p>Certes le bloc « occidental » a fait preuve de cohésion, mais le reste du monde s'est montré plus rétif et a révélé son hésitation à s'engager frontalement dans ce conflit. Le vote signifia que la Russie n'était pas devenue en l'espace de quelques jours un État paria isolé du monde comme beaucoup l'avaient espéré. Rappelons les grandes données de ce vote. 141 pays (sur 193) ont condamné la guerre, 5 ont refusé de condamner (la Biélorussie, la Syrie, la Corée du Nord et l'Érythrée ont voté avec Moscou) et 35 pays se sont abstenus parmi lesquels de grands pays très peuplés ou influents comme la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Iran, l'Afrique du Sud, l'Algérie, le Sénégal. Et les propos ultérieurs tenus par des responsables du Brésil, du Mexique ou de l'Argentine tempérèrent largement leur vote. Le prochain G20 qui doit se tenir en octobre en Indonésie fait déjà l'objet d'âpres négociations. Le pays hôte refuse d'en exclure la Russie alors que les États-Unis proposent d'inviter Zelensky.</p> <p><strong>Un tiers-monde réticent</strong></p> <p>Il est clair que les pays du tiers-monde ne veulent pas être happés dans ce qui leur est présenté comme une nouvelle guerre froide et entendent lire ce conflit à l'abri des clivages idéologiques et en mettant en avant leurs intérêts nationaux. Comment comprendre autrement la posture adoptée par le continent africain. Seuls 28 pays africains sur 55 ont condamné l'agression. Cela illustre la volonté de ne pas s'engager et de se tenir à distance d'un conflit dont ils redoutent les conséquences sur les prix de l'énergie et des produits alimentaires et qui reste géographiquement très lointain. De surcroît les principes au nom desquels on souhaite les faire s'engager ont perdu beaucoup de crédit. Qui a envahi le Vietnam, l'Irak et s'est enlisé vingt ans en Afghanistan ? Qui a bombardé la Serbie – dépecée de son Kosovo - et la Libye ? Ces souvenirs démonétisent les pressions d'un Occident associé à ces guerres lointaines. Alors que dans le même temps l'influence russe – et chinoise – progresse en Afrique.</p> <p>Dans le continent, on hésite à s'opposer à la Russie, et si on le fait on ne se jette pas pour autant dans les bras de l'Occident qui reste associé de façon indélébile à la mémoire de l'esclavage et de la colonisation. On peut donner tort à la Russie dans son conflit avec l'Ukraine et hésiter à enfourcher une autre guerre qui serait celle de l'Occident contre la Russie, car d'expérience on sait que celle-ci peut faire contrepoids dans la géopolitique mondiale et que son principal mérite et d'exister. Comment souscrire alors à la volonté de l'affaiblir, sachant que ce sera long et que les désordres internationaux collatéraux seront coûteux ? Même les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, qui ont voté les résolutions de l'ONU condamnant la guerre, refusent d'appliquer les sanctions qui ne sont qu'occidentales.</p> <p>L'Amérique latine montre aussi son embarras à coller à l'Occident. Ici plus qu'ailleurs les intérêts nationaux ont été déterminants. Il convient surtout de distinguer les votes des déclarations ultérieures. Sur 19 pays 14 ont condamné l'intervention russe au nom du droit international dont certains n'ont pas manqué de rappeler qu'en cette matière beaucoup de griefs pouvaient être adressés à l'Occident. La guerre des Malouines était évoquée par l'Argentine, mais surtout il était rappelé que les vaccins russes Spoutnik anti-Covid avaient généreusement été distribués au continent. Le Brésil – les voix de Bolsonaro et de Lula unies pour la circonstance – dit combien il se tenait à égale distance des belligérants. Même son de cloche au Mexique qui comme d'autres pays latino-américains a besoin de fertilisants russes pour son agriculture. Bref, l'impression d'un continent gêné et désireux de maintenir ses relations économiques croissantes avec la Chine et la Russie.</p> <p>Inquiet des pénuries de céréales prévisibles risquant d'affecter le Maghreb, le Proche-Orient voire une partie de l'Afrique, le Sénégalais Macky Sall, président en exercice de l'Union africaine, se déplace à Moscou. Poutine arrive à convaincre l'opinion publique que c'est à cause des mines posées par l'Ukraine devant Odessa pour empêcher une agression par voie maritime que les exportations de céréales sont bloquées, renvoyant ainsi la responsabilité sur le camp adverse.</p> <p><strong>Vers un monde plus multipolaire</strong></p> <p>Tout ceci traduit un phénomène de longue durée que l'on pourrait qualifier de désoccidentalisation du tiers-monde. Processus qui accompagne une tendance à la démondialisation qui démarre après la crise des subprimes et le recul du poids économique des pays du G-7 dans l'ensemble mondial. Quelques chiffres en attestent. Le poids économique du G-7 est ainsi passé des années 80 à aujourd'hui de 50 % à 31 % du PIB mondial. Bien sûr à l'avantage du monde non-occidental et surtout de celui des BRICs. C'est la marque du basculement d'un monde unipolaire à un monde multipolaire qui permet à bon nombre de pays de s'exprimer sans devoir s'aligner et surtout de faire valoir leurs intérêts propres. On est loin d'une analyse qui voudrait inscrire le conflit entre la Russie et l'Ukraine comme un affrontement idéologique entre démocraties et régimes autoritaires. Dans tous les classements internationaux en terme de démocratie, de corruption et de gouvernance l'Ukraine figurait mal placée depuis de longues années. D'où la réticence de l'Union européenne à ouvrir des processus d'adhésion. Le poids et le rôle des oligarques à Kiev n'ont rien à envier à ce qui se passe à Moscou. Les Panamas Papers n'avaient-ils pas épinglé dès le mois d'octobre Zelensky pour ses trois résidences possédées à Londres sous couvert de sociétés-écrans domiciliées off-shore et créées par sa société de production Kvartal 95 ? Les régimes politiques de la grande Russie et de la petite Ukraine partagent beaucoup en commun. Ce qui les oppose en deux camps adversaires tient aux alliés de cette dernière, à des revendications territoriales associées à des préoccupations sécuritaires, mais en aucun cas au modèle politique que chacun incarnerait.</p> <p>La guerre d'Ukraine et les divisions qu'elle a révélées a certainement remisé pour longtemps une vieille idée caressée de longue date par l'administration américaine. Il s'agit du projet, évoqué de façon récurrente depuis la présidence Clinton, de construire une ONU bis rassemblant les démocraties et d'en écarter les États totalitaires ou voyous. Cette idée pourrait ne pas survivre à la crise actuelle. Ainsi, le projet de donner une forme diplomatique et institutionnelle au clivage entre démocraties et régimes autoritaires infréquentables devrait être renvoyée à plus tard tellement la crise actuelle a montré que l'Occident et ses normes étaient loin de faire consensus dans le monde. La confection d'une liste d'invités à ce genre de « Sommet des démocraties » constituerait une tâche délicate.</p> <p><i>Article paru dans la revue Recherches-Internationales <a href="http://www.recherches-internationales.fr/" class='spip_url spip_out' rel='nofollow external'>www.recherches-internationales.fr</a></i></p></div> https://www.traditionrolex.com/18 https://www.traditionrolex.com/18