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Edito RLB 18
LA LIGNE : A QUOI SERT L’EUROPE ?
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LA LIGNE : A QUOI SERT L’EUROPE ?
Par Jean-Luc Gonneau
C’était un soir brumeux d’automne. Je m’enfonçais dans un étroit passage, désert, aux lisières du huitième arrondissement de Paris. Au rez de chaussée de l’une des demeures cossues qui bordaient le passage, une faible lueur. J’entrai, et accédai à ce qui ressemblait à une chapelle désaffectée. Le club Transverselles, proche du parti socialiste, disait l’invitation que j’avais reçue par des voies électroniques, tenait réunion sur l’Europe. L’officiant invité, un dénommé Franck Biancheri, décrit par les plaquettes éditées par l’association qu’il semble présidé comme un européen considérable, désigné par un hebdomadaire américain à grand tirage comme l’un des trente « european heroes », avec des gens comme Chirac ou Zidane, plus fort que Giscard à l’Académie, se lançait dans un large plaidoyer pour l’Europe supranationale devant un auditoire attentif. Je n’ai posé qu’une question, bien naïve après tout : le héros européen pouvait-il faire un bilan sommaire des actifs et des passifs que l’Europe nous avait apportée depuis vingt ans ? Le héros ne le prit pas bien et me le fit vertement savoir. La question est sans objet, condescendit-il à répondre : l’Europe est un train en marche que rien ne peut arrêter. D’ailleurs, le héros est en train, encore, de faire une série de 150 conférences dans toute l’Europe, aux frais de la Commission sans doute, et il affirme que ses idées sont partout entendues. L’Europe est donc un train, qui devrait, selon lui, être conduit par un Chef désigné parmi les chefs d’état européens. Où va le train ? Peu importe puisqu’on ne peut pas l’arrêter. Peut-on quitter le train. En théorie oui, mais en pratique, non, dit le héros. Bref, pensai-je, nous voilà dans un train sans rails, qui ne s’arrête pas, qui nous conduit n’importe où, conduit par quelqu’un choisi en petit cercle. Peut-être, soyons optimistes, nous demandera-t-on notre avis sur la couleur des sièges. Ainsi va l’Europe des propagandistes béats.
L’Europe que nous connaissons s’est construite sur des fondements avant tout économiques, même si ses « pères fondateurs » avaient, pour certains d’entre eux, des visées politiques. Il s’agissait, rappelons-le, de construire l’Europe de la paix, après des conflits mondiaux qui l’avaient durement éprouvée. Les premières décennies ont été fructueuses, éloignées en bien des points du credo libéral qui domine aujourd’hui : un tarif extérieur commun permettant aux agricultures et aux industries européennes d’évoluer et de se structurer, liberté des Etats de conduire des politiques industrielles, parfois fondées, comme en France, sur des projets structurants dont certains font encore sentir leurs effets aujourd’hui. Peu à peu, le libéralisme a grignoté cette Europe économique, peu politique il est vrai, mais assez efficace.
Car la construction politique nécessite d’autres bases que le seul jeu de l’économie, surtout quand cette « économie » se réduit peu à peu à sa composante financière. La construction politique suppose une histoire commune, des valeurs et une culture partagées. Elle prend du temps. Il existe certes des valeurs partagées, la démocratie, la déclaration des droits de l’homme (mais pas toujours du citoyen). Mais d’autres ne le sont pas, parmi lesquelles la laïcité, la république. On peut certes, vu de Paris, penser que la monarchie anglaise, par exemple, est un aimable folklore. Qu’on ne s’étonne pas alors que certains de nos voisins considèrent notre laïcité, notre république, comme d’autres survivances du passé, que la constitution concoctée devrait aussi rendre folkloriques. Les cultures des pays européens sont riches, privilège de longues histoires. Elles peuvent se ressembler, mais ne sont pas communes. Il importe même qu’elles ne le deviennent pas, comme il importe que les échanges entre ces cultures s’intensifient, que les savoirs se mettent en commun. N’en déplaise à certains, il n’existe pas de nation européenne. Il faut y travailler ? Sans doute, mais ni l’évolution actuelle de l’Europe, ni le projet de constitution n’en prennent le chemin.
Les pinaillages sur les institutions, les majorités qualifiés ou pas, les doubles majorités, ont peut-être une importance. Mais ce que voient et comprennent de plus en plus les salariés de notre pays et des pays voisins, c’est que l’Europe du libéralisme, déjà en marche et que le projet de « constitution » entend rendre irréversible (quelle illusion ! Les peuples finissent toujours par se réveiller et les tyrans par être abattus, que ces tyrans aient un visage ou l’impersonnel masque du libéralisme, dit non sans emphase l’ami Silveirinho), broie les emplois, encourage les délocalisations, réduit services publics et garanties sociales, s’attaque aux cultures, néglige la recherche et l’enseignement. Alors, pas d’Europe ? Si, mais pas celle-là.
On n’équilibrera pas la puissance américaine en reprenant le modèle idéologique américain, comme le fait le projet de constitution, mais en construisant un modèle européen, solidaire et social, ouvert au monde et notamment au Sud, union d’états de pleine capacité, acceptant de partager des compétences sans abandons de souveraineté, mettant en œuvre des projets industriels structurants au lieu d’un contrôle pointilleux de la concurrence, où les cultures et les savoirs passent davantage les frontières que les capitaux.
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.cactus-republicain.org/index.php?ID=&Langue=Object&ThemeID=59&RubID=85&InfoID=101  le 16/07/2004