La gauche si on a 36 ans en 2003, c’est l’impossibilité de penser que le statu quo est une solution, avec l’aliénation généralisée que subissent les individus actuellement.
C’est la conviction
Que la pression exercée sur les individus au nom du profit est une aliénation
Que le retour à une vie de peur et de tâcheronnage dans le travail est inacceptable
Que les maîtres d’œuvre de cette pression n’ont aucun dessein à moyen terme
Qu’ils mènent une collectivités de salariés, de fonctionnaires et d’indépendants vers un point de fuite
Que les travailleurs dans ces conditions de chantage permanent se voient ôter toute possibilité de penser leur existence, et la société dans la quelle ils vivent, et sont prisonniers d’un schéma de rentabilité d’autant plus oppressant qu’il ne suit aucune direction claire ; ce mode de fonctionnement ne conduit qu’à compenser dans la consommation sans fin de loisirs éphémères, qui n’apporte aucune satisfaction réelle, alimente l’argumentation du productivisme, et exacerbe l’agressivité de ceux qui en sont exclus.
Que la société elle-même se délitera si l’exercice du pouvoir est le seul objectif, atteint par les patrons et les politiques, et prétendument à atteindre par chacun de nous
Que l’interdépendance des individus est une donnée de fait, et que séparer les cellules d’un même corps ne lui laisse pas beaucoup de chances de vivre : séparer ouvriers-salariés et capitalistes-boursiers, nationaux et étrangers, étrangers d’ici et étrangers de là, chrétiens et musulmans, techniciens et cadres, architecture pauvre et résidences autarciques, chefs de service A et chef de service B, jeunes et vieux, régions et Etat, c’est renforcer la compétition naturelle entre individus en la démultipliant, ce qui se révèlera très coûteux pour l’économie et va à l’inverse du politique, et inventer des frontières sans nombre, meurtrières pour la société.
Que chacun de nous aspire à retrouver la possibilité de réfléchir et de penser, c’est-à-dire de s’inscrire dans la longue durée.

La formation scolaire dure 12 ans du cp à la terminale, et porte ses fruits quoi qu’on en dise sur toute une vie parce qu’elle a respecté le temps de maturation et d’appropriation des savoirs, des démarches intellectuelles, de la pensée, et de la découverte de l’altérité ; du moins, telle que la république l’a conçue, n’incluant pas la consommation de cours supplémentaires, sans aucune plus value autre que la carte d’un club socialement nanti ou l’impression d’être dans le coup, dans la course. Quoi qu’on en dise, c’est par la capacité à anticiper et à projeter que ceux qui s’en sortent s’en sortent, et c’est bien ça, qu’ils ont appris à l’école, puis à la fac. Ils n’ont pas appris un métier, heureusement, et n’ont pas à en apprendre un, car le CAP de conducteur de péniche par exemple n’est d’aucun secours dans une société en ébullition ; le diplôme généraliste de sciences po, si.

La gauche devrait donc se remettre en mouvement et redonner cette capacité de mouvement aux hommes, en leur assurant la paix et la durée : le service public qui n’a vocation qu’à faire son boulot est à enrichir dans le sens de la qualité, et à prendre comme point d’extension d’une action publique protectrice de l’intégrité des individus, pour leur permettre en s’émancipant de produire de la cohérence et de la richesse et donc de fortifier la nation : les services du courrier, du téléphone, de l’internet, des transports, l’alimentation, la santé, la banque, l’école, l’art, l’aménagement du territoire, l’eau, n’ont aucune valeur marchande à faire valoir, ils n’ont qu’à être disponibles correctement et universellement pour que les bénéficiaires de ces services puissent communiquer, se porter bien, ne pas subir de maladies professionnelles directes ou indirectes ni consommer de tranquillisants, investir, alimenter leur sensibilité, leur capacité d’abstraction et leur aptitude à penser ce qui est différent, en sorte qu’ils deviennent créateurs nets de richesses parce qu’ils travailleront en pôles de cohérence, diminueront le nombre d’arrêts de travail et de remboursement maladie, feront fructifier des biens réels, et pourront résoudre les situations infiniment complexes qui se présentent grâce à une capacité à relativiser et à mettre en perspective, pour anticiper enfin.

Une nation reconstruite, pour reprendre les paradigmes de Vincennes, devrait l’être sur les bases de la solidarité et de la qualité, objectifs à rechercher inlassablement par la puissance publique, et non sur l’image donnée au jour le jour par des indicateurs quantitatifs : nombre de policiers par habitants, nombre de logements sociaux par quartiers, nombre de points du CAC 40, nombre de soldats français envoyés en Irak, nombre de soldats français non envoyés en Irak, nombre de potentiels votants pour x ou y, nombre, ou chiffre, de l’inflation, chiffres du déficit budgétaire, chiffres du chômage, nombre de demandeurs d’asile, nombre de plans sociaux, de créations d’entreprises, de faillites d’entreprises, d’heures travaillées, ce mois ci, par rapport au mois dernier, au prochain, au même l’année dernière, et aux Etats Unis d’Amérique par exemple dans la journée d’hier.
Elle pourrait s’évaluer en nombre de gens qui ont envie d’y vivre, aussi, ou envie de s’en inspirer parce qu’elle a l’air de faire progresser les hommes – ce qui, je crois, est une valeur de gauche.