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LA LIGNE (SUITE) : ETRE ANTILIBERAL AUJOURD'HUI
LES BELLES HISTOIRES D’ONCLE SYLVAIN : HISTOIRE DE JIEMEM
NOUVELLES DES LOYAS JIRGAS* DE JUIN


 
LA LIGNE (SUITE) : ETRE ANTILIBERAL AUJOURD'HUI
Par Jean-Luc Gonneau
Résumé du chapitre précédent : dans un texte concis et enlevé, nous avons mis imparablement en évidence que nos positions nous situent à gauche clairement, et qu’il ne faut pas laisser ce mot, son histoire, les idées qu’il véhicule à l’invertébré conglomérat socialo-vert mais œuvrer à rassembler les anti-libéraux progressistes (ndlr).
Qu’est-ce qu’être anti-libéral aujourd’hui ? Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Comme souvent, le mieux est peut-être de s’entendre sur les mots. Être libéral a bonne presse, le mot s’accouple à un esprit ouvert et tolérant. Le bourgeois libéral est ouvert aux arts, partage parfois un joint, comprend les minorités, d’ailleurs, il a des amis de couleur. Plus sérieusement, ce n’est pas ce libéralisme là qui nous tracasse. Ouverture et tolérance sont des vertus dont s’accommode fort bien la République, qui les garantit et les étend.
Ce qui nous intéresse, évidemment, c’est le libéralisme économique. Nous ne sommes pas du même bord que M. Madelin à cause de ses positions sur le cannabis ou le port de la cravate, mais parce que la doctrine économique, et bien entendu ses conséquences sociales, qu’il défend doit à nos yeux être combattue.
Le libéralisme économique peut se résumer à un principe fort : le marché, la concurrence est le mécanisme le plus efficace pour orienter les activités humaines (production) et les récompenser (allocation des ressources par les revenus et la consommation). Pour un libéral, le marché est indépassable (les socialistes ont osé l’écrire, eux-aussi). Après, une fois le principe admis, on peut chipoter sur les modalités. Les ultras souhaitent, pour des raisons opposées à celles de Marx, le dépérissement de l’Etat et plus généralement de l’action publique, qui pollue le fonctionnement du marché, implique, forcément comme eût dit Duras, lourdeur, incompétence, gabegie. Car l’entreprise, elle, fruit de l’initiative privée, est, forcément toujours, légère, compétente, économe. D’ailleurs, si elle ne l’est pas, elle crève : voyez Enron et demain, peut-être, Vivendi, hier idolâtrées, aujourd’hui déchues. D’autres estiment qu’il faut poser des règles du jeu (car le libéralisme est un jeu, avec des gagnants et des perdants) afin de ne pas tricher. Car il arrive que les entreprises, toutes compétentes et efficaces qu’elles soient, trichent. Alors on désigne des arbitres, depuis les organismes de contrôle boursiers, dont on vient de voir, à propos de Vivendi, comment il avait en fait été décidé de passer sous silence les opérations irrégulières, quitte à se réveiller quand le « bad guy » est à terre, ou presque, jusqu’à des machins, comme disait le Général, internationaux, du genre OMC, dont le double objectif affiché est d’étendre la concurrence et de la « moraliser ». Pour étendre, on peut lui faire confiance. D’autres encore, estiment qu’il faut encadrer le marché. C’est le cas de la mouvance sociale démocrate : le marché est indépassable, bon, mais il est violent. On cherchera alors à en contrebalancer les effets par des mesures de redistribution sociale, s’ajoutant aux règles du jeu précédentes : c’est un peu cautère sur jambe de bois, ou plutôt sparadrap et aspirine pour résorber une fracture, ça ne fait pas de mal, mais guère de bien, ou alors aux marges, disons que ça fait tomber momentanément la fièvre.
Nous ne referons pas ici un cours, ou une compilation, des multiples analyses contre le libéralisme économique qui ont marqué l’histoire depuis deux siècles. Marx et Keynes en sont les grands noms. A des degrés divers, Stiglitz et notre confrère Bernard Maris, « oncle Bernard », figurent parmi les continuateurs.
Pour les libéraux, et même pour une bonne partie des pôlistes républicains, Marx est hors-jeu, disqualifié par la chute du mur de Berlin. C’est injuste et à la limite de l’idiot. La crise économique qui couve, et parfois éclate, est une illustration in vivo de la description de Marx de la baisse tendancielle des taux de profit : il est impossible de satisfaire longtemps les exigences des « investisseurs » (synonyme libéral de spéculateur) en matière de rémunération du capital, sauf à opérer des prédations (concentrations) qui ont leurs limites : quand il n’y a plus rien à grignoter, les fauves se bouffent entre eux. Keynes, dandy chic et plus contemporain, est mieux traité, mais guère : ses recettes, disent les libéraux de gauche, marchaient bien au niveau d’économies nationales mais, dans un contexte de mondialisation (inéluctable, bien sûr), elles sont inopérantes. Tobin, keynésien light, et sa taxe sont les derniers avatars de l’héritage du Lord anglais.
Mais foin du passé. Nous devons travailler à une mise à jour de la critique du libéralisme, montrer, comme l’a fait avec finesse et brio J. Delons, que la doctrine économique a des soubassements politiques, comme toujours quand on parle d’économie, qui n’est pas du tout une simple technique, neutre.
Le libéralisme nie l’histoire (le marché est immédiat) : Fukuyama, parlant de la fin de l’histoire, vend la mèche. Le libéralisme nie le désir, en privilégiant la satisfaction immédiate des besoins et des envies. Le libéralisme nie l’art, qu’on parle d’œuvres culturelles ou plus simplement de travail bien fait, de belle ouvrage. Le libéralisme nie l’action collective, le vivre ensemble en valorisant l’action individuelle dans la production (salaire au rendement, au « mérite ») ou dans la consommation et au passage nie l’égalité. Voilà de bonnes et de solides raisons d’être anti- libéraux.
L’impuissance de la gauche contemporaine, c’est ne pas avoir pu concevoir d’alternative au libéralisme, et plus encore depuis l’effondrement du système « marxiste » dévoyé des pays de l’Est. Les pôlistes républicains ne sont pas exempts de critique à ce sujet. Ils sont restés au milieu du gué. Oui, il faut défendre les Etats nations, construits par l’histoire, lieux de démocratie possible et de solidarités. Oui, il faut défendre et pas seulement défendre, mais étendre, les services publics. Mais il faut aussi préserver et améliorer le mieux vivre : le travail, le revenu, le loisir.
Dire, comme nous le faisons, qu’il faut préserver les services publics que l’Europe de Bruxelles n’a de cesse de vouloir démanteler est bel et bon. Mais se limiter, comme nous le faisons, à défendre le périmètre existant est très insuffisant : nous ne sommes pas dans l’action syndicale. Même la proposition du défunt MDC de nationaliser les compagnies des eaux à disparu de la campagne présidentielle. Et devant le cataclysme vivendien, des voix au PS (et demain à droite, si ça se trouve) vont le réclamer.
Le service public, ce n’est pas seulement les fonctions régaliennes traditionnelles, plus l’éducation et la santé, plus le secteur public existant. C’est aussi la recherche, transférée par pans entiers au privé, et de plus en plus à l’étranger, la culture, les fonctions bancaires de base, les produits et services indispensables à la vie (eau, alimentation et donc production agricole, énergie, transports…). Ne mélangeons pas non plus le statut et la notion. Un service public peut être rendu par un acteur privé. Mais, que l’acteur soit public ou non, c’est la collectivité et non le marché qui définit les règles. Le service public échappe en conséquence, en tout ou partie, au marché.
Il a ses impératifs (accession du plus grand nombre, respect de l’égalité du citoyen, qualité du service rendu, préparation de l’avenir, précaution devant les dangers) qui ne sont pas ceux de la maximisation du profit ou de l’intérêt « supérieur » des actionnaires. Échappant au marché, il échappe aussi à la mondialisation, à l’OMC comme à sa succursale bruxelloise. Et nous en arrivons à un sujet tabou : pour les biens et services du service public tel que défini précédemment, échapper à la mondialisation, c’est se protéger. Hé oui, vous le voyez venir : dans ce domaine, il faut peut-être savoir être protectionniste ! (à suivre)
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.cactus-republicain.org/index.php?ID=&Langue=Object&ThemeID=59&RubID=121&InfoID=277  le 16/07/2004