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LA LIGNE : QU’EST-CE QUE LA GAUCHE AUJOURD’HUI ? (SUITE)
EGALITE, VRAIMENT ?
Par J.L Gonneau
On raille régulièrement les français à propos du grand écart qu’on constate entre la fière égalité proclamée sur nos frontispices, accolée pour une certaine éternité aux deux autres vertus cardinales républicaines, et la soif inextinguible de privilèges que relèvent avec amusement ou irritation, selon les cas, nombres d’observateurs de chez nous ou étrangers.

La course aux privilèges, expression d’un besoin de reconnaissance, est sans doute fortement ancrée dans l’humaine nature, et certainement pas une spécificité française, mais notre paradoxe tient à ce contraste entre l’égalité arborée et le passe-droit revendiqué.

Reconnaissons que l’époque est favorable. Aux passe-droits, pas à l’égalité. La furieuse idéologie compétitive, qui fait des ravages jusque dans les esprits de nos meilleurs républicains s’accompagne, forcément, de lauriers pour ceux qui « réussissent ». Ces antiques lauriers prennent diverses formes dans notre modernité : passer chez Ardisson (un must), être admis dans les carrés VIP, qui envahiront bientôt le moindre concours de belote, tutoyer un important (ce qui peut signifier que les hasards des réservations SNCF vous a placé durant quelques kilomètres dans un compartiment très voisin, signe aussi, tout de même, que vous voyagez en première)…

Lors d’une récente manifestation, quelques individus, dont on dit que certains avaient échauffé leur détermination au pastis, ont prétendu interdire la présence dans le carré de tête (c’est le carré VIP des manifs) d’un ancien ministre de la république. L’action est bouffonne, comme il se dit dans les cités, marque d’intolérance et de peu de conscience démocratique. Mais le résultat de cette vilaine action a été que les gentils organisateurs de la manifestation, constatant que les lascars pintés ne bougeaient pas d’un pouce, ont dissous le carré de tête, ce qui permit au cortège de s’ébranler et d’arriver paisiblement au port prévu. A quelque chose, le malheur causé par quelques nervis fut bon : l’évanouissement du carré de tête. Nous eussions souhaité que cela constituât une sorte de jurisprudence manifestationnaire, et que les carrés de tête disparussent à jamais des foules de la gauche. Fol espoir, bien sûr : le carré de tête réapparut dès la manif’ suivante.

Tout cela paraît anecdotique, mais est révélateur d’un malaise de la pensée. Celles et ceux, autre exemple encore récent, qui s’étaient reconnus dans tel discours républicain lors de la dernière campagne présidentielle, avaient été surpris, les naïfs, irrités, les bougons, navrés, les blasés, de voir apparaître puis s’incruster dans l’entourage du candidat nombre de courtisans assidus, flaireurs de prébendes, pour le coup déçus car le candidat ne fut pas élu, et repartant aussitôt la défaite consommée, et même un peu avant, dès fois qu’il soit encore temps de voler au secours d’une autre victoire.

D’aucuns, peut-être à défaut de l’éradiquer, ont tenté de théoriser, enfin n’exagérons rien, le laurier. D’aucuns de ces d’aucuns ont nommé la chose élitisme républicain. Par rapport à l’élitisme tout court, snob ou bourgeois, vicié sinon vicieux, l’élitisme républicain est, lui, vertueux. La nation rendant hommage à ses enfants méritants, depuis l’école (les prix) jusqu’aux monuments aux morts, en passant par les diverses breloques qui égayent de taches de couleur les sombres costumes des élites (tout court ? républicaines ?) dont on soupçonne quand même que, dans tous les cas, elles ont une furieuse tendance à la cooptation, à la consanguinité de classe.

L’inégalité économique et sociale est évidemment bien plus dramatique que ces inégalités citoyennes que nous brocardons, aimablement. Mais lutter contre les unes, les sociales et économiques, n’implique-t-il pas de se débarrasser des oripeaux de cette société du privilège, auxquels la gauche, ou au moins beaucoup de ses représentants, paraît attachée très au delà du raisonnable ?

La société du conformisme, aussi, gangrène la gauche (elle est à droite quasi congénitale). Citons ici, un peu longuement, Serge Marquis* : « Des milliers de gens se sont engagés avec nous sans pouvoir jouer un rôle actif autre que de distributeurs de tracts ou colleurs d’affiches : surtout pas de politique, on en fait pour vous… là-haut ! Un rapport assistants-assistés patent, dans nos réunions, dans nos meetings… Il y aurait beaucoup à dire sur la vision institutionnelle de la politique qui existe parmi “ nos ” chefs… Et, bien entendu, comme ceux-ci nous ont amené à l’échec que l’on sait, beaucoup de ces militants sont partis, ne trouvant de toute manière pas leur place dans une structure qui voudrait les contraindre à se glisser dans le moule pré-établi par certains, au détriment de leur personnalité souvent autrement plus trempée que celles des soi-disant responsables. Or s’il y a une leçon évidente, qui saute aux yeux, pour qui veut bien voir et n’entend pas s’installer dans une posture, c’est la sous-estimation de l’état décomposé de notre société, la crise non seulement économique et sociale (qui ne compte pas pour peu) mais aussi existentielle qu’elle traverse ».

Ce que Serge Marquis dit à propos de telle campagne est bien probablement transposable aux autres partis de gauche. La vieille plaisanterie des temps mitterrandiens est plus que jamais d’actualité : tous nous sommes égaux mais il en est de plus égaux que d’autres.

La gauche dite caviar a fait des ravages électoraux, mais ces excès, mieux cachés à défaut d’avoir disparu, ne dispensent pas de réfléchir à ces multiples atteintes, qu’on ne perçoit plus, parfois, tant elles sont dans notre ordinaire, à la pratique de l’égalité citoyenne. Et de tenter, modestement mais avec ténacité et ironie, de les réduire, peu à peu.
(à suivre)
*Serge Marquis collabore à la revue Utopie Critique
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.cactus-republicain.org/index.php?ID=&Langue=Object&ThemeID=59&RubID=113&InfoID=197  le 16/07/2004