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AU-DELA DES CLIVAGES TRADITIONNELS : POUR UNE PERSPECTIVE DE GAUCHE Par Clémentine Autain
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AU-DELA DES CLIVAGES TRADITIONNELS : POUR UNE PERSPECTIVE DE GAUCHE
Par Clémentine Autain



Le 21 avril dernier, la classe politique en général et la gauche française en particulier ont pris une grande claque : l’abstention devient le premier parti de France, l’extrême-droite devance le représentant de la gauche qui est évincé dès le premier tour, le PCF s’effondre... Qui aurait pu prévoir un tel scénario ? Laissons aux historiens le soin de retracer le déroulé de cet échec collectif. C’est donc un regard militant sur le passé et surtout sur l’avenir, que je souhaite modestement poser ici. Apparentée communiste mais adhérente d’aucune formation politique, je regarde, affligée, le triste spectacle des querelles de chapelles et de personnes donné par les cadres (quasi exclusivement des hommes) de la gauche institutionnelle. Comme tant d’autres, les règlements de comptes internes et les batailles de Congrès n’arrivent pas à me motiver… Peut-être parce que, depuis plusieurs années, à l’instar de nombreuses âmes militantes errantes, je crois que les clivages internes à la gauche ne sont plus pertinents et qu’il est grand temps de se ressourcer aux fondements de la gauche, en les articulant avec les problématiques ayant émergé ces vingt dernières années (féminisme, écologie, démocratie participative…). Le positionnement à l’égard de l’économie libérale est probablement l’une des clés centrales de la clarification et de la restructuration. Bref ! La boussole étant visiblement égarée, nous avons besoin de contenu et de repères...
Le basculement idéologique pris par la gauche gouvernementale remonte aux débuts des années 1980 quand, à la suite de l’abandon aux références marxistes, le parti socialiste a décidé du « tournant de la rigueur ». Dans le même temps, la lente érosion de l’idéologie communiste et la chute de l’empire soviétique ont marqué la fin du cycle du « socialisme réel ». Le système capitaliste sortait vainqueur. Dès lors, les divergences droite/gauche sur le plan économique se sont estompées, jusqu’à l’élaboration conjointe des traités européens qui fixaient le socle général à partir duquel toute politique nationale devait désormais se construire. Le Parti socialiste n’a cessé de ringardiser le NON de gauche à Maastricht et la mobilisation contre le Traité d’Amsterdam, qui fut signé au lendemain de l’arrivée du gouvernement Jospin en 1997. La rhétorique des modernes contre les anciens s’est installée.
La gauche gouvernementale française a réduit son intervention aux domaines sociétal (Pacs, parité) et social (CMU, APA), sous forme d’accompagnement de l’économie libérale. Toutes ces mesures, satisfaisantes à bien des égards, indiquaient les limites de l’intervention publique et l’impossibilité de construire une réelle alternative au libéralisme mondialisé. La pauvreté, la misère et l’exclusion peuvent être concédées à la solidarité privée : les restos du cœur, le téléthon ou le sidaction ne sont-ils pas autant de mouvements de générosité, certes soutenus par l’Etat, mais qui ne remettent pas en cause le système de production des inégalités ?
Par manque d’audace ou d’ancrage idéologique, la gauche a même cru devoir limiter la portée des principales réformes initiées par elle. Ainsi, la loi sur les 35 heures, reposant sur le « dialogue social », a pu être détournée au profit du patronat qui a imposé flexibilité et intensification du travail aux salariés les plus fragiles. Ainsi, le Pacs n’a dû son adoption qu’au rabotage de tous les aspects les plus progressistes (droits ouverts dès la signature, acte civil en mairie…). Ainsi, le projet d’éco-taxe, le débat sur les OGM et les recherches sur des énergies alternatives n’ont donné lieu qu’à des engagements intentionnels. Ainsi, la démocratie de proximité ne prévoit ni vote des étrangers, ni statut de l’élu-e.
Parallèlement, contrairement à de nombreuses analyses, la droite a elle aussi évolué. Les échecs des politiques ultra-libérales, menées en Grande-Bretagne par Thatcher et aux Etats-Unis par Reagan, ainsi que la survivance d’une tradition chrétienne humaniste l’ont amenée à revoir sa position sur nombre de sujets et à promouvoir un socle social minimal.
Les repères traditionnels sont donc devenus plus flous. Solidarité, sécurité, famille : autant de thématiques prônées sur des registres relativement similaires, à droite comme à gauche. Chaque bord s’est obstiné à bannir de son vocabulaire le terme « idéologie » et à se défendre d’agir dans un esprit « partisan ». La bataille devient celle de l’honnêteté et de la « proximité », cette tarte à la crème au nom de laquelle une bonne poignée de main remplace la consultation démocratique. L’affrontement droite/gauche dévie lentement mais sûrement : c’est à celui qui sera le meilleur « gestionnaire » ! L’enjeu n’est plus très exaltant, et l’on comprend aisément qu’un certain nombre de nos concitoyens ne voient plus l’intérêt de se déplacer aux urnes. D’ailleurs, au printemps 2001, 71% d’entre eux estimaient qu’il n’y a pas de différence entre la droite et la gauche…
Pourtant, la frontière n’est pas fictive. Encore faut-il que la gauche sorte d’une alternative qui n’est pas pour elle : libéralisme ou social libéralisme. La Fondation Copernic a su montrer, à partir de plusieurs dossiers concrets, que d’autres choix étaient possibles. Sur la question des retraites, par exemple, Copernic a contesté point par point le rapport Charpin, véritable plaidoyer en faveur des fonds de pension, et a démontré que le maintien des retraites par répartition était possible. D’ailleurs, à partir de quels critères la gauche gouvernementale a-t-elle choisi ses experts ? Avec Irène Théry, autre exemple, comme conseillère sur la politique familiale, on voit bien combien cette gauche avait oublié ses fondamentaux ! Les dérapages sur la sécurité et la stigmatisation de la jeunesse sont un exemple lumineux de la déviance idéologique dont le Parti socialiste, notamment, peut faire preuve. In fine, la frilosité et la logique gestionnaire ont trop souvent pris le pas sur les visées plus radicalement transformatrices.
En attendant, en France, six millions de personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté, des millions d’autres sont licenciés par des entreprises qui font des profits, les hôpitaux sont surchargés, notre justice est à deux vitesses, les femmes font la triple journée de travail sans émouvoir personne… La politique peut et doit transformer la vie. C’est à la gauche de rêver et de faire rêver, en évitant l’impasse d’une contestation stérile et l’écueil d’une gestionnite aiguë. La gauche est attendue au tournant, à la fois par ceux et celles qui espèrent encore, mais aussi par celles et ceux qui s’en sont détournés pour se réfugier dans l’abstention, l’indifférence ou l’extrême-droite. Les forces politiques doivent accepter, tout en poursuivant leur travail interne, de lancer un mouvement éclaté de réflexion, sans recherche d’instrumentalisation, ni promesse d’obéissance, mais seulement pour qu’une dynamique sociale prenne le pas sur le pessimisme et l’absence de lendemains prometteurs. Pour reprendre la formule de Bourdieu, il faut « reconstruire un univers d’idéaux réalistes, capables de mobiliser les volontés, sans mystifier les consciences ».