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TRIBUNE LIBRE : QUELS CHANGEMENTS POUR L’HOPITAL ? Par Elie Arié
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TRIBUNE LIBRE : QUELS CHANGEMENTS POUR L’HOPITAL ?
Par Elie Arié

À l'origine, l'hôpital était un hospice, chargé d'héberger et de nourrir les pauvres; mais cette fonction d'hôtellerie pure était aussi "sanitaire", puisqu'elle leur sauvait la vie. Progressivement, avec le développement de la médecine, l'hôpital public est devenu un lieu de soins, et surtout de soins de haute technicité non réalisables en ville; mais ses critères de gestion sont restés purement hôteliers: nombre de lits, taux d'occupation des lits, durée moyenne de séjour, prix de journée. Ce sont suivant ces quatre paramètres qu'un patron d'hôtel gère son établissement, décide d'ouvrir ou de fermer des lits, etc.; la fonction de soins d'un hôpital n'est pas prise en compte: administrativement, l'hôpital est resté un hospice.
Pour son financement: l'absurde "prix de journée" (produit de la simple division du coût total annuel constaté des hôpitaux par le nombre total national de lits, sans aucune distinction des coûts des différents soins, et sans aucune possibilité de maîtrise des dépenses) a été remplacé, il y a 20 ans, par une dotation globale annuelle, qui est augmentée, chaque année, d'un taux directeur unique national; mais cette dotation, qui a permis de maîtriser ses dépenses, a figé les situations telles qu'elles étaient il y a 20 ans; depuis 20 ans, les hôpitaux qui étaient gaspilleurs et mal gérés sont récompensés, les hôpitaux qui étaient bons gestionnaires sont pénalisés.
Juridiquement, l'hôpital public s'est vu confier une mission de service public: obligation d'accessibilité à tous, et surtout obligation de continuité des soins, dont le coût est très lourd (notamment pour les urgences: obligation de payer des gens hautement qualifiés 24 heures sur 24, 365 jours par an).
Parallèlement, s'est développé un secteur d'hospitalisation privée conventionnée, ou cliniques conventionnées; celles-ci ne sont pas tenues à l'obligation de service public, sauf sur la base du volontariat ( "hôpitaux privés participant au service public hospitalier", très minoritaires, comme sont très minoritaires les "hôpitaux privés à but non lucratif": oublions-les).
Les cliniques conventionnées sont rémunérées sur la base d'un prix de journée, auquel s'ajoute la rémunération des médecins à l'acte; ces actes relèvent du budget de la médecine de ville (Nomenclature Générale des Actes Professionnels), qui, comme on le sait, n'est pas maîtrisé; en même temps, il permet une certaine transparence (on sait qui fait quoi) et une "médicalisation" des dépenses: la fonction de soins y est budgétairement reconnue.
Pour lutter contre cette anomalie, la gauche a introduit, en 1982, aussi bien pour l'hôpital public que pour l'hôpital privé, le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d' Information); sans entrer dans les détails, ce système permet de savoir quelles pathologies sont traitées dans chaque hôpital, et à quel coût; il permet les comparaisons entre public et privé, et entre différents services publics; il prend enfin en compte l'existence d'une fonction de soins de l'hôpital, qui n'avait pas, jusque là, d'existence administrative (aucun texte ne permettait d'affirmer, jusque là, que les gens qui étaient dans les hôpitaux étaient des malades, et qu'on les y soignait).
Mais le PMSI et les points ISA qui en découlent n'interviennent toujours que de façon très marginale dans le budget des hôpitaux: de 3 à 6%, selon les régions. Ce sont des outils de transparence, mais toujours pas des outils de tarification.(quant à la qualité, en principe évaluée par l'accréditation, elle ne fait pas partie du PMSI et n'a aucune conséquence budgétaire).
Ainsi, nous assistons, depuis 20 ans, à un partage du marché entre hôpitaux publics et privés, plus net en province et dans les petites villes qu'à Paris: à l'hôpital public, le non rentable: les urgences et la permanence des soins, la précarité, la médecine non rentable (SIDA, alcoolisme, toxicomanie, etc.), le tout dans un budget maîtrisé par le système des dotations globales;
aux cliniques, le rentable: chirurgie programmée et pas très lourde, sans permanence des soins (la nuit, un interne de garde; en cas de complication grave, donc chère, transfert du malade à l'hôpital public; à noter qu'aux Etats-Unis, dans ce cas de figure, le 2ème hôpital facture ses soins au 1er, celui d'où le malade lui a été transféré, et qui a jugé plus économique de sous-traiter les complications que de s'équiper pour les soigner: mais un sous-traitant, ça se paye), le tout dans un budget non maîtrisé puisque les médecins y sont payés à l'acte dans le cadre du budget non maîtrisé des soins de ville.
Le plan "hôpital 2007" a voulu transformer les outils de transparence en outils de tarification, homogénéiser les critères de tarification du public et du privé, en faisant du PMSI le principe de budgétisation des hôpitaux, et en y intégrant la Tarification à l'Activité (actes rémunérés suivant une nouvelle Nomenclature Générale des Actes Professionnels, dite CCAM ou Classification Commune des Actes Médicaux, que tout le monde s'accorde à considérer comme plus conforme à la réalité de leur coût et de leur difficulté que l'ancienne, et qui s'appliquera aussi aux actes techniques réalisés en médecine de ville).
Ce système présente des avantages (prise en compte budgétaire de l'activité médicale de l'hôpital, homogénéisation des critères de budgétisation du public et du privé) et des risques : dans sa version actuelle, en ne prenant en compte que l'aspect technique de l'hôpital et son coût, risque de privatisation du système en privilégiant sa "rentabilité", risque de sélection des malades "rentables" par l'hôpital public comme le fait déjà l'hôpital privé. En somme, l'ancien système ne prenait pas budgétairement en compte la fonction technique de l'hôpital; le nouveau risque de ne pas prendre suffisamment en compte sa fonction de service public.
Notre proposition consiste, non pas à revenir en arrière, mais à rajouter dans le financement des hôpitaux des enveloppes budgétaires spécifiques pour l'hôpital public correspondant à ses missions spécifiques de service public: permanence des soins, accessibilité à tous. Ces missions doivent être définies, régulièrement évaluées (en coût et en qualité) et faire l'objet d'une enveloppe budgétaire supplémentaire spécifique. Je crois que c'est cette officialisation - y inclus budgétaire- qui permettra de rendre pérenne la fonction de service public de l'hôpital public, et non le retour au flou budgétaire antérieur de la gestion sur des critères purs d'hôtellerie, qui fait l'hypothèse optimiste que la "fonction sociale" de l'hôpital est remplie partout et correctement remplie- hypothèse que nous savons fausse. S'y rajouteraient, pour les Centres Hospitalo-Universitaires, des enveloppes supplémentaires spécifiques pour leurs missions de recherche et d'enseignement. Mais on voit bien ce qui manque, au projet " hôpital 2007 ", pour que la mesure de la productivité ait un sens : l’introduction d’indicateurs de résultats. Il serait absurde de dire, dans l’ Education Nationale, qu’un professeur qui fait un cours à 80 élèves est deux fois plus productif que s’il fait le même cours à 40 élèves ; mais cela n’est absurde que si on mesure les résultats : ce que les élèves ont compris, ce qu’ils ont retenu, etc. ; or, en l’absence de mesure de résultats, c’est ainsi que sera mesurée la productivité hospitalière ; il est banal de lire,, aujourd’hui, dans des rapports officiels, que les 35 heures ont augmenté la productivité hospitalière, puisque le même nombre de malades sont soignés en moins d’heures ; on pourrait dire que cette productivité serait remarquable si le personnel soignant travaillait une heure par mois, encore plus s’il travaillait une heure par an : tant qu’on ne s’occupe pas des résultats sur les malades…
Si le principe d’un classement de "qualité globale" des hôpitaux est méthodologiquement contestable, il semble possible de chercher à déterminer un ensemble d’indicateurs dont les conditions d’utilisation à des fins de comparaison soient établies sur des bases scientifiques ; ce qui implique de comparer des structures qui partagent un type d’activités et de contraintes similaires et d’analyser séparément chacun des domaines qui la constituent.
Il est en effet parfaitement légitime – et banal dans tous les domaines économiques autres que ceux de la santé – de comparer des activités, mais aussi des résultats, d’organisations et de structures différentes, en introduisant ensuite des facteurs de pondération pour les rendre virtuellement équivalentes et pouvoir alors – mais alors seulement – porter des jugements de valeur sur les différences ainsi mises à jour. En effet, la qualité des prestations d’un hôpital – comme de toute institution - ne peut être appréciée que par la comparaison des indicateurs de coûts, de procédures et de résultats avec ceux d’autres établissements, régionaux, nationaux et internationaux. Il est malheureusement à craindre qu’une partie de l’opposition du corps médical à l’introduction d’indicateurs de résultats ne relève de réactions corporatistes, et de la peur de ce qu’ils révéleraient au grand jour. Ces indicateurs de résultats sont pourtant indispensables pour que la mesure de la " productivité " hospitalière ait une signification médico-économique, et pas seulement économique. Bref, notre position pourrait se résumer par "plus de transparence, et non moins de transparence". Il faut préciser :
- que la "tarification à l'activité" des hôpitaux ne signifie pas "tarification à l'acte": La CCAM est utilisée pour coder le RSS, le recueil du PMSI, et c'est au vu des diagnostics portés (en CIM 10) et des actes consignés (en CDAM avant, en CCAM dans quelques semaines) que l'algorithme de groupage dit dans quel groupe homogène de malade il faut classer le séjour. Et c'est ce groupe qui fait l'objet d'un tarif, pas l'acte. On a ainsi une table de tarifs (disponible sur le site www.atih.sante.fr) de quelque 600 groupes. Ce sera le même chose dans les cliniques, et par ailleurs la CCAM est utilisée en tarification pour les honoraires.
- que nous n’avons rien inventé: l'enveloppe pour missions de service public est prévue (MIGAC : missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation). La discussion porte évidemment sur son montant et la manière de l'évaluer. Mais on est déjà dans les calculs dans plusieurs milliards d'euros à répartir. C'est effectivement une condition obligatoire pour mettre de la transparence et être équitable. Il reste que l'hôpital mal géré avec trop de personnel va souffrir...Mais est-ce un mal? "Public" doit-il être synonyme de "mauvaise gestion" et d'emplois inutiles? N'oublions pas que tout argent de prélèvement obligatoire gaspillé est de l'argent qui manquera pour d'autres prestations (en santé ou ailleurs).
La question qui mérite débat est celle d'obliger toutes les cliniques à participer au service public hospitalier ? D'un côté, c'est probablement grâce à ce volet de chirurgie programmée des cliniques que nous ne connaissons pas les mêmes problèmes que presque tous les autres pays développés de listes d'attente pour la chirurgie non urgente (encore que, en ophtalmo...). D'un autre côté, il y a quelque chose d'anormal (surtout dans une logique dite de "libéralisme économique") de voir certaines cliniques lever leurs capitaux en Bourse ( Générale de Santé), réaliser des profits et distribuer des dividendes à leurs actionnaires, et obtenir de l'argent public pour augmenter les salaires de leur personnel (1,4 milliards arrachés au gouvernement Jospin, en 2002, en une seule séance de négociations, argent public obtenu sans aucune contrepartie en matière de service public).

Elie Arié est médecin et Secrétaire national à la Santé du Mouvement Républicain et Citoyen

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