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POURQUOI TANT DE HAINE ? par Claire Villiers
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CHRONIQUES DE LA VIE ORDINAIRE : CHERCHER UN EMPLOI Par Anne Alize
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LA REFORME DU RMI ou A CHACUN SES DESAFFILIES Par Fatiha MLATI
Quand Fillon touche aux contrats d’insertion… Par Sarah Gambetta


 
POURQUOI TANT DE HAINE ?
Par Claire Villiers


Les décisions prises à l'encontre des chômeurs en cet automne 2003 sont d'une ampleur inégalée : on pourrait dire qu'il s'agit du plus grand "plan de licenciements" jamais connu dans ce pays : environ 1 million de personnes vont se voir supprimer leurs allocations, donc leurs moyens de vivre (ou de survivre…) dans les deux ans à venir par le jeu cumulé des réformes de l'Unedic, de l'ASS, du RMI et n'auront plus rien, ou dépendront de leur famille.
L'objet de ce texte n'est pas de s'arrêter sur les raisons qui font que tout cela se passe dans une quasi indifférence générale. Cette "mise à la misère" d'un million d'entre nous est un scandale, mais on aurait tort de croire que la frontière est étanche entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui ont des allocations et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui ont encore un logement et ceux qui n'en ont pas ...
De tout temps, les chômeurs ont été le terrain d’expérimentation des régressions sociales : montant du revenu et donc des salaires, statut et norme de l'emploi, rôle des institutions (cf. Note de la Fondation Copernic “ Pour un Grenelle de l’Unedic ”). Il faut donc essayer de comprendre les logiques qui président à ces diverses mesures.

Unedic 2000 : "refondation sociale" an I



L’accord Unedic de septembre 2000 avait cristallisé un affrontement important puisque pour le MEDEF, ce chantier était le premier de sa nouvelle “ refondation sociale ” . Il faut se souvenir que dès l’Assemblée Générale du MEDEF en Janvier 1999, le patron de cette organisation, Ernest Antoine Seillière, avait déclaré que le patronat avait l’intention d’engager une refondation pour une “ nouvelle Constitution Sociale ” . Les mots ayant un sens et n’étant pas employés par hasard, on peut penser que le terme de “ Constitution ” n’est pas anodin. Il s’agissait ni plus ni moins, dans l’esprit du patronat, que d’édicter de nouvelles règles, par la négociation avec ses homologues syndicaux, tout au moins ceux qui accepteraient de rentrer dans sa logique, de manière à inverser ce que l’on appelle la “ hiérarchie des normes ” ou “ ordre public social ” . Celui qui est garant de l’intérêt général c’est l’Etat, la loi étant le socle en deçà duquel nul ne peut descendre. L’accord de branche ne peut lui être inférieur, l’accord d’entreprise ne peut être inférieur à l’accord de branche. Pour le MEDEF, il faut que le contrat soit prédominant sur la loi :il n’a pas "digéré" l’intervention législative sur la Réduction du Temps de Travail . C’est cette conception profonde que l'entreprise est la cellule de base de la société (dixit le baron Seillière) que ce sont les “ partenaires sociaux qui sont les mieux à même de déterminer ce qui est bon pour l’emploi ” . C’est cette affirmation qui est profondément partagée par une confédération syndicale comme la CFDT qui se considère comme garante de l’intérêt général et préfère la négociation avec le patronat, plus stable à son goût que l’intervention de l’Etat soumis à l’alternance politique ce qui n’est pas gage de continuité.
Un deuxième élément intervenait dans cette période : une certaine reprise économique rendait les salariés un peu plus exigeants . Les entreprises conviées par l’ANPE à un forum de l’emploi au printemps 2001 l’exprimaient : “ on entend des salariés ou des candidats au recrutement poser des questions sur les conditions de travail, sur les salaires, sur les avantages sociaux. C’est tout à fait nouveau ” . Dit en d’autres termes, une moindre tension sur le marché du travail rend les demandeurs d’emploi plus exigeants. Or, l’obsession des entreprises c’est la rémunération des actionnaires et partant de là la “baisse du coût du travail”. Il faut donc trouver le moyen, alors que les offres d’emploi sont plus nombreuses, que les candidats ne soient pas trop exigeants et acceptent les conditions de reprise d'emploi dictées par les entreprises. Quitte à les y contraindre en les indemnisant moins ou en les contrôlant davantage. Nous avons donc là les deux raisons d’avoir imposé le PARE lors de la négociation Unedic de 2000 :
- tenter de substituer le contrat à la loi : ce n’est plus les versement de cotisations et l’inscription d’un droit dans le code du travail qui ouvrirait le droit à toucher des allocations chômage, mais l’engagement de chercher activement un emploi . Le versement des allocations est quant à lui soumis à l'appréciation par les différentes institutions du comportement du demandeur d'emploi dans ses recherches.
- imposer un “ retour rapide à l’emploi ” ce qui veut dire empêcher toute résistance quant aux conditions de l’emploi proposé.
Cette mise en œuvre du PARE et de son corollaire le PAP (devenu PAP/ND suite à la décision de l’Etat de fournir le même “ service ” à tous les demandeurs d’emploi, indemnisés ou non par les Assedic) a plusieurs conséquences, dont nous ne mesurons qu’aujourd’hui l’ampleur :
- 20% du budget de l’ANPE la première année, 27% en 2003, viennent maintenant de l’Unedic qui se comporte comme un donneur d’ordre envers l’Etablissement Public
- les pratiques organisationnelles et professionnelles à l’ANPE ont subi de profondes modifications de ce fait : au lieu d’utiliser les différentes prestations et formations comme des outils que l’on choisit e adapte à chaque demandeur d’emploi en fonction de la construction de son projet et du parcours nécessaire (ce qui est affirmé), les chefs d’agence ont le nez rivé sur les compteurs de “ consommation d’enveloppes ” . C’est cette consommation qui va déterminer en partie les prescriptions et non les besoins des chômeurs . Pour illustrer : la prescription d’un OPG (Objectif Projet Groupe) ou d’un OPI (Objectif Projet Individuel) dépendra moins de l’histoire individuelle des demandeurs, de leurs demandes, de leurs capacités, que du fait que l’enveloppe a été ou non consommée.
Les contenus des diverses prestations ne sont pas du tout identiques et untel qui serait à l’aise dans du groupe sera “ cassé ” par de l’individuel ou inversement. Mais depuis la loi de 91 sur le contrôle des chômeurs, on ne peut refuser une prestation ou abandonner une formation sous peine d’être radié et donc de perdre ses allocations…comme on le voit la marge de liberté dans la construction de projet est assez limitée, les conséquences individuelles peuvent par contre être très graves.
- l’accord instituant le PARE prévoyait, comme une sorte de “ contrepartie ” à l’obligation faite aux chômeurs de se soumettre à un suivi rapproché et contraignant, que les branches professionnelles devaient vérifier que toutes les offres d’emploi étaient déposées à l’ANPE . Au delà du fait qu’il ne s’agit pas d’un engagement nouveau mais d’un strict rappel de la loi, aucun progrès n’a été enregistré dans le dépôt des offres. Par contre, dans le bilan qu’elle fait de la mise en œuvre du PARE, la direction de l’Unedic tire deux lignes de force : les Assedic ont mené tout un travail de recensement des métiers dits “ en tension ” (ceux pour lesquels il y a des difficultés de recrutement (principalement restauration, commerce, bâtiment…) et ont pour ce faire tisser de nouveaux liens avec les branches professionnelles à travers leurs organisations patronales professionnelles.
Les Assedic ont d’autre part orienté le financement des formations accordées aux chômeurs sur ces secteurs e ont choisi de ne soutenir que les formations de moins de 6 mois. Il n’y a donc aucune possibilité de réelle reconversion dans un tel cadre, mais plutôt une formation rapide pour un retour rapide à l’emploi .
Quand on voit que le nouvel accord signé entre le patronat et les 5 confédérations syndicales dites “ représentatives ” et repris dans la loi Fillon au Parlement en novembre 2003, fait lui aussi la part belle aux formations de stricte adaptation aux dépens de la qualification, que les conseils régionaux qui sont en charge de la formation professionnelle dans le cadre de la décentralisation, sont tentés de suivre la même orientation, on peut légitimement se poser la question de la qualification de la main d’œuvre dans ce pays, au moment où les mêmes ne cessent d’expliquer que la qualité est le meilleur gage de la compétitivité dans le cadre de la globalisation !
Par le biais des financements et des taux de rémunération de l’heure de formation, on peut se demander si dans des délais proches, ce n’est pas toute l’offre de formation que serait circonscrite à l’adaptation, l’offre publique ne prenant pas la place qu’elle devrait : il n’est qu’à considérer le quasi-démantèlement de l’AFPA et sa régionalisation.
L’accord de 2000 a été négocié alors que la situation budgétaire de l’Unedic était excédentaire et que la conjoncture semblait bonne, donc prometteuse du point de vue des recettes en matière de cotisations. Au lieu de prévoir une sorte de fond de réserve pour faire face à des périodes moins fastes, les signataires, à l'instigation du patronat, se sont empressés de décider d’une baisse des cotisations à la fois salariales et patronales.

Unedic 2002 : la régression

L’embellie économique a été de courte durée, les finances du régime ont recommencé à se détériorer et , dramatisation aidant, la négociation de décembre 2002 va aboutir à une remise en cause extrêmement sévère des droits des allocataires par le biais de la refonte des filières
Il s’agit en l'occurrence de modifier profondément les durées de droits ouverts par rapport aux durées de cotisations exigées :
- Les affiliations les plus courtes (4 mois dans les 18 derniers mois) c’est à dire les salariés les plus précaires, n’ouvrent plus aucun droit.
- La catégorie la plus nombreuse (ancienne filière 5 - moins de 50 ans - 14 mois de cotisation dans les 24 mois) passe de 30 mois de droits ouverts à 23 mois.
- Les + de 50 ans ayant des affiliations courtes (ancienne filière 4 - 8 mois dans les 12 mois) passe de 21 mois à 7 mois
- Les 50-55 ans ayant des affiliations longues (ancienne filière 7 - 27 mois dans les 36) passent de 45 à 36 mois
- Les + de 55 ans pour la même affiliation (ancienne filière 8) passent de 60 à 42 mois
Ces nouveaux calculs conjuguent la volonté de “ faire des économies ” et celle d’accentuer la pression sur le retour rapide à l’emploi . Et, fait rarissime dans l’histoire du régime Unedic, la nouvelle réglementation devrait s’appliquer de manière rétroactive. C’est à dire que les chômeurs en cours d’indemnisation à la date de l’entrée en vigueur des nouvelles filières (1 janvier 2003) voient leurs droits recalculés A LA BAISSE à partir du 1 janvier 2004 .
Ceci n’avait pas échappé aux négociateurs mais surtout aux organisations de chômeurs qui avaient vivement protesté. La direction de l’Unedic avait totalement, et sans doute volontairement minimisé les effets annonçant le chiffre de 180 000 allocataires potentiellement concernés. En fait, de l’aveu même de la Direction des Etudes et Statistiques de cette noble institution en date du 28 mai 2003, ce sont entre 856 700 et 613 900 qui seront “impactés”, dont entre 369 800 et 252 400 dès le 1 janvier , les autres se répartissant jusque fin 2005 en fonction des droits qui leur restent.
La manière de faire est la suivante : on regarde combien de mois ont été “consommés” au 1 janvier 2004 et on attribue le droit restant en fonction des nouvelles filières. Exemple : un allocataire qui avait ouvert un droit de 30 mois, n’a plus droit qu’à 23 ; si le premier janvier il a consommé 23 mois ou plus, il ne lui reste rien. Sont exonérés de ce “ recalcul ” les plus de 50 ans à affiliations longues. Le recalcul est effectué également pour ceux et celle qui sont en AREF c’est à dire en formation rémunérée par l’Assedic . Pour ceux-là, un accès à l’Allocation de Fin de Formation “ dérogatoire ” (versée par l’Etat) devrait être possible. Mais le gouvernement vient de décider que cette AFF qui était jusqu’ici du même montant que l’AREF, serait forfaitaire, soit 682 euros par mois…Un bon nombre de stagiaires seront donc placés devant le dilemme suivant : continuer la formation et voir son revenu diminuer considérablement, ou abandonner une formation commencée…Espérons que cela ne leur vaudra pas une radiation - sanction pour abandon de stage !
Que deviennent les allocataires ainsi "éjectés" du bénéfice des allocations Assedic ?
Il y a trois possibilités : ASS, RMI, rien du tout
1 - ASS (Allocation Spécifique de Solidarité) versée par l’Etat.
Pour ouvrir droit, il faut avoir travaillé 5 ans dans les dix ans précédents (les périodes de chômage indemnisé ne sont plus prises en compte depuis la réforme Juppé de 97), et avoir des revenus inférieurs à 949,20 euros par mois pour une personne seule, 1491,60 euros par mois pour un couple : l’ASS est un minimum social qui s’attribue en fonction des ressources du foyer, ce n’est donc pas un droit réellement individuel. Beaucoup d’allocataires exclus de l’Assedic , qui ont pourtant les 5 ans dans les 10 ans peuvent donc se voir refuser l’accès à l’ASSparce que les ressources de leur foyer dépassent le plafond autorisé. D’après une note du Ministère des Affaires Sociales d’octobre 2003, 45 000 personnes pourraient être admises en ASS dès Janvier soit 30% des dossiers probablement déposés. Si l'on fait le calcul, cela représente seulement 18% de la fourchette basse des exclus Assedic de janvier et 12,2% de la fourchette haute.
2 - RMI (Revenu Minimum d’Insertion)
Pour ouvrir le droit au RMI il faut avoir plus de 25 ans (sauf si on a des enfants à charge) : les jeunes exclus de l’Assedic, n’ouvrant pas droit à l’ASS, n’auront donc pas non plus droit au RMI. Comme l’ASS, le RMI n’est pas un droit individuel, il est soumis à des conditions de revenu du foyer qui ne doivent pas être supérieurs au montant du RMI, soit 362 euros par mois (les allocations Assedic ne sont pas prises en compte). Par contre, au contraire de l’ASS, le RMI ne permet pas de valider des trimestres de retraite, ni de base, ni complémentaire . La même note du Ministère indique que 40 000 personnes pourraient ainsi entrer au RMI, soit respectivement 16 et 10% des exclus Assedic.
3 - RIEN DU TOUT
On est très loin des affirmations du Ministre disant que les exclus Assedic se partageront en 3 tiers égaux . Ce sont en fait entre 66% et 78% qui n’auront aucune allocation.
En octobre 2003, environ deux millions de personnes étaient indemnisées par les Assedic ; on constate donc que près du tiers des allocataires qui sont exclus du fait du “ recalcul ”.
C’est donc une baisse d’un tiers de l’indemnisation du chômage sur la base du “ salaire socialisé ” c’est à dire les cotisations . Ceci s’inscrit bien entendu dans le mouvement acharné que le patronat poursuit visant à restreindre toujours plus la part des salaires (salaires directs + part affectée à la protection sociale) dans la valeur ajoutée. On constate que celle-ci a baissé de 10 points en 15 ans.


ASS et RMI : désengagement de l'Etat

On assisterait donc à un transfert partiel du financement de l'indemnisation du chômage sur le budget de l’Etat : ASS et RMI. Mais le gouvernement se trouve devant plusieurs difficultés : le respect du pacte de stabilité européen impose de limiter le déficit budgétaire et le Président de la République veut à tout prix tenir son "engagement" de campagne électorale de baisse de l’impôt : 30% en 5 ans .
Le Président de la Commission Européenne, Romano Prodi a récemment déclaré que le Pacte de stabilité était “ stupide ” ; on pourrait en dire autant de la promesse chiraquienne . Son respect dogmatique conduit à des choix budgétaires catastrophiques pour les services publics et les transferts sociaux en général. Surtout quand ce dogmatisme budgétaire se renforce d’idéologie libérale toujours prompte à considérer que les chômeurs sont des oisifs par choix. C’est ainsi que le Ministre des Affaires sociales justifie la réforme à venir de l’ASS : “on ne peut pas indemniser les chômeurs indéfiniment”.
L’ASS est jusque fin 2003, une allocation accordée par périodes de six mois renouvelables sans limitation de durée, sous condition de vérification des revenus et de l’activité de recherche d’emploi. La réforme prévoit que l’ASS serait accordée dans les mêes conditions mais pour une période maximale de deux ans . Les chômeurs en cours d’ASS à la date d’entrée en vigueur de la réforme (probablement le 1 janvier 2004) pourront bénéficier au total de trois ans, calculés à la date de la nouvelle vérification de leurs revenus. Au 1er Juillet des dizaines de milliers de personnes sur les 450 000 en bénéficiant aujourd’hui seront donc exclues de l’ASS .
Les chômeurs de plus de 50 ans bénéficiaient d’une majoration de l’ASS de 40% , ce qui prenait en compte la plus grande difficulté à retrouver un emploi lorsque l’on est âgé. Cette majoration va disparaître, le gouvernement étant en cela fidèle à son discours constant à propos des retraites : les entreprises doivent embaucher les salariés âgés et il faut travailler plus longtemps. Le problème c’est que cela ne modifie pas la pratique des entreprises et qu’à 60 ans, 2/3 des salariés sont sans emploi. Ils seront, c’est fort à craindre, sans emploi ET sans ressources, sans cotisation retraite non plus s’ils sont au RMI ! La limitation de durée de l’ASS devrait donc envoyer les allocataires sur le RMI, s’ils en remplissent les conditions (voir plus haut) .
Problème : c’est aussi le budget de l’Etat …Le Gouvernement décide donc de transférer le RMI aux départements à travers une loi portant “ décentralisation du RMI et création d’un contrat Revenu Minimum d’Activité. L’enveloppe correspondant aux Rmistes payés en 2003 serait donc transférée aux départements le 1 janvier 2004…en sachant que les exclus de l’Assedic et ceux de l’ASS vont venir grossir les rangs des bénéficiaires potentiels, une augmentation de 30 à 40% est fréquemment avancée. L’immense avantage pour le dogmatisme budgétaire libéral c’est que la fiscalité locale, au contraire de l’impôt sur le revenu, ne prend pas en compte les revenus et n’est pas progressive (on paie proportionnellement plus si on a de meilleurs revenus) et est en général plus élevée dans les communes où la population est pauvre !
Il est également question de faire financer le RMI par un transfert de la taxe sur les produits pétroliers : il faudrait donc consommer beaucoup d'essence pour payer beaucoup de Rmistes ?
Le RMIdécentralisé serait sous contrôle des présidents de conseils généraux : les effets “ clientélisme ” sont à craindre, comme aux meilleurs temps de la charité on aura “ ses pauvres à soi ” à condition bien entendu qu’ils soient suffisamment soumis . L’accès au RMI reste déterminé par la loi, la seule solution pour diminuer le nombre de personnes à payer est donc de les en faire sortir : d’où un renforcement des contrôles à prévoir !
C’est là qu’intervient le RMA : contrat de travail, ouvert au secteur marchand donc à toutes les entreprises, d’une durée entre 20 et 34 heures hebdomadaires, rémunéré au taux horaire du SMIC quelle que soit la qualification, accessible après 18 mois de RMI . Le tuteur serait l’employeur qui serait chargé d’attester de la qualité de l’insertion du titulaire du contrat !
Pour “ aider ” à ces contrats les employeurs toucheraient une subvention égale au montant du RMI pour un célibataire moins le forfait logement, ce qui peut être plus élevé que ce que touchait le Rmiste s’il était en couple . Enorme problème : en plus des exonérations de cotisations assurance maladie, l’employeur ne verserait les cotisations retraite et assurance chômage que sur la différence entre la subvention perçue et le salaire versé : on a donc un contrat de travail mais pas vraiment un salaire…Ce qui peut être un précédent tout à fait grave. De plus, vues les faibles cotisations versées, il y a fort à craindre qu’aucun droit aux allocations chômage ne soit ouvert à l’issue du RMA : on est donc dans un système fermé RMI - RMA -RMI etc…
Enfin, les emplois offerts en contrat RMA risquent d’être précisément ceux qui étaient offerts en sortie de RMI : il y a donc une détérioration de la situation !

Annexes VIII et X = intermittents du spectacle, techniciens et artistes.

Ces annexes au régime général d'indemnisation du chômage existent respectivement depuis 64 et 69 . A chaque négociation d'une convention Unedic, elles sont sur la sellette, au motif qu'elles assurent une meilleure indemnisation à ceux qui en bénéficient et "coûtent cher" à tous. Comme pour les retraites, les signataires de l'accord de Juin 2003 assurent qu'ils ont "sauvé" un régime en perdition. Comme la refonte des filières pour tous les salariés, il s'est agi d'augmenter le nombre d'heures de travail requises pour ouvrir un droit moins long. Il n'y a plus de dégressivité des allocations mais le taux a chuté.
La spécificité du régime des intermittents pose plusieurs questions valables bien au delà de ces stricts secteurs professionnels . Et en particulier celle-ci : quel est le temps qui est payé à travers le salaire ? Quel est le temps qu'il faut payer pour que la tache exigée soit remplie ?
Pour illustrer : pour qu'un concert puisse avoir lieu dans de bonnes conditions, les musiciens mais aussi les techniciens de plateau ont besoin de répéter ensemble, de répéter chacun pour eux aussi. Ce n'est donc pas strictement le temps du concert qui est payé, mais le temps nécessaire à ce que le concert puisse avoir lieu . Entre deux concerts, les uns et les autres sont-ils au chômage ? en interruption d'emploi mais pas de travail ?
La démonstration semble assez évidente pour ces secteurs particuliers. De nombreuses entreprises, y compris publiques, en font une interprétation tellement extensive que l'on peut réellement parler d'abus. Mais à l'évidence ce ne sont pas les salariés qui en sont les responsables.
Mais ne peut-on étendre cette question du temps payé à bien d'autres secteurs professionnels ? De plus en plus, les entreprises exigent de leurs salariés savoir faire et savoir être : où et quand cela s'acquière-t-il ? Cette utopie patronale (ne payer la force de travail qu'au moment où elle produit de la valeur) définit l'essence du programme de la refondation sociale, qu'il faut analyser comme un projet social global….qui vise ni plus ni moins qu'à défaire ce que des décennies de luttes sociales avaient réussi à obtenir, à savoir une définition élargie du salaire. L'exigence d'un continuum de droits, que l'on ait un emploi ou pas, pourrait s'appuyer sur ces réalités.

Le gouvernement Raffarin, ou l'imagination régressive en action

Passons maintenant en revue un certain nombre d’autres innovations gouvernementales en matière de régression sociale
L’accord interprofessionnel sur la formation professionnelle continue, est mis en œuvre dans le cadre de la loi “ Fillon ” votée par l’Assemblée Nationale en novembre 2003 : toutes les organisations syndicales l’ont signé au motif qu’il représentait un “ plus ” par rapport à la loi de 71 , la CGT y voyant même la première pierre de la nouvelle “ sécurité professionnelle ” qu’elle appelle de ses vœux pour contrer une précarité qui s’accroît.
Pourtant trois points sont particulièrement inquiétants :
- une bonne partie de la formation devra s’effectuer en dehors du temps de travail, ce qui est une manière de revenir sur les 35 h
- la rémunération de ce temps ne sera pas du salaire mais une indemnité, inférieure à ce que l’on perçoit et ne fera pas l’objet de cotisations sociales . Pourtant le contrat de travail n’est pas suspendu, le lien de subordination existe toujours ; comme dans le cas du RMA on a donc un contrat de travail sans salaire !
- ce nouvel accord ne prévoit pas de dispositions améliorées pour de réelles formations qualifiantes de longue durée . On peut se demander qui est maintenant responsable de la qualification de la main d’œuvre, alors que l’on nous explique que la compétitivité se gagne sur la qualité : les formations dans le cadre du PARE sont limitées à une durée de 6 mois, et les conseils régionaux qui sont responsables de la formation professionnelle dans le cadre de la décentralisation, ont l’air d’emboîter le même pas.
La même loi devrait acter d’une très profonde remise en cause de ce que l’on appelle la “ hiérarchie des normes ” c’est à dire l’articulation entre loi - accord national interprofessionnel - accord de branche - accord d’entreprise. Pour l’instant rien ne peut être inférieur à la loi. Demain, non : dans quasiment tous les domaines les accords dérogatoires pourraient exister . Quand on connaît la faible implantation des organisations syndicales en particulier dans les PME qui emploient 50% des salariés, il y a de quoi être plus qu’inquiet .
Le très libéral Alain Madelin, avec quelques compères a même déposé une proposition de loi cantonnant l'Inspection du Travail aux tâches de d'hygiène et sécurité, pour laisser les entreprises plus libres et à l'écart de tous autres contrôles….
Non encore formalisé dans un texte, le Ministre des Affaires Sociales s’est récemment exprimé favorablement par rapport à un projet ressassé par le MEDEF : le contrat de mission . A l’image des contrats de chantier dans le bâtiment, le salarié pourrait être embauché pour la durée, de l’exécution d’une commande dans une entreprise. Tous les combats du siècle dernier témoignent de la volonté de conquérir des garanties qui “ déconnectent ” le salaire et le contrat de la précarité de la tâche et fassent porter à l’employeur la responsabilité d’organiser le travail, le volume de la production, sa répartition et non au salarié. Contre le salaire à la tâche, à la pièce, c’est la mensualisation, contre l’embauche à la journée, c’est le CDI.
Toutes les évolutions des 30 dernières années montrent que seul le rapport de forces peut stabiliser de telles conquêtes. Depuis la légalisation des missions d’intérim, le travail à flux tendu, l’annualisation du temps de travail, la sous traitante en cascade, la rémunération aux objectifs, une même volonté : remettre le travail comme une stricte marchandise que l’on achète dans le cadre d’une prestation et non comme un rapport social régi par des normes (le Code du Travail) qui vise à réguler un rapport fondamentalement inégalitaire entre le salarié et l’employeur. Avec le contrat de mission ce serait un pas de plus vers le retour au “ contrat de louage ” du 19ème siècle , une marchandisation et une précarité accrues. C’est ce que l’on voit se développer dans des secteurs tels les centres d’appel, où ce qui est acheté c’est une prestation, les travailleurs étant priés d’être inscrits au registre du commerce et assumant donc la totalité des cotisations sociales mais aussi les aléas dus aux fluctuations de l’activité. C'est bien aussi une certaine remarchandisation du travail qui est la principale responsable de la remontée de cette insécurité sociale à travers l'érosion des protections sociales qui avaient été attachées à l'emploi, entraînant la déstabilisation de la condition salariale.
On peut inscrire le projet du Gouvernement d’ouvrir à des officines privées, moyennant rémunération, la possibilité d’intervenir dans le placement des demandeurs d’emploi dans cette même logique de “ remarchandisation ” du travail. “A nous de convaincre les chefs d’entreprise de la qualité de nos services, leur rapidité, leur efficacité….A nous de mieux négocier les termes de l’offre afin de l’adapter aux contraintes s du marché. Comme nous devons adapter la demande aux besoins du marché”. Ainsi s’exprime le Directeur Général de l’ANPE en novembre 2003 .
Le rôle pivot du service public, donc de l’ANPE en ce qui concerne le placement, rend compte de cette conception que le travail n’est pas une marchandise comme une autre, que l’Etat a une fonction de régulation dans l’allocation de la force de travail, que le Gouvernement ne s’en tient pas au strict jeu du marché . La mise en concurrence du placement, c’est le reflet d’une conception très libérale du marché qui règle tout.
Déjà en 1996, lors du transfert de l’inscription des demandeurs d’emploi à l’Assedic, nous avions attiré l’attention : quand l’Etat décide d’intervenir sur le marché du travail dans les années 30, la première chose qu’il fait c’est de constituer un fichier des chômeurs, avec le double objectif de contrôler mieux cette main d’ouvre et d’avoir des informations qualitatives sur le marché du travail .La sous traitance de la constitution du fichier pouvait donc légitimement être interprétée comme l’abandon de la volonté de se doter des outils pour intervenir sur le marché du travail. Même si légalement la gestion de la liste des demandeurs d’emploi appartient toujours au service public de par la loi, le fait d’une double intervention opérateur public-ANPE/ opérateur paritaire-Unedic n’est pas sans poser de problèmes aux demandeurs d’emploi.
L'intervention de l'Etat n'est pas pour autant synonyme de protection fortes des salariés : nous venons de voir que la loi peut être mise au service d'un plus grand assouplissement et de soumission accrue au strict marché :
“ Il faut prendre un certain nombre de mesures pour convaincre les chômeurs d’accepter les postes qu’on leur propose. Il s’agit de mettre en place des mesures d’incitation fortes. Des dispositions, y compris législatives, peuvent être envisagées. ”
Enfin, pour clore ce tour d’horizon non exhaustif d’un Gouvernement qui continue son travail de destruction quasi systématiques des fondements des garanties individuelles et collectives, il faut mentionner un projet qui n’a pas été concrétisé grâce à une mobilisation importante : il s’agissait de faire porter sur des travailleurs étrangers sans papiers la responsabilité individuelle de l’illégalité de leur emploi ; au contraire de tous les fondements du Code du Travail où ce n’est jamais le salarié qui est considéré comme responsable (Le Code du travail traduit le fait que le rapport entre le salarié et son employeur est profondément inégalitaire, que le travail n’est pas une marchandise comme une autre mais un rapport social, et qu’il faut donc ne pas procéder par contrat commercial classique mais avoir une législation plus protectrice.
Ce sont donc bien les 4 piliers de l’Etat social qui sont attaqués :
- Protection sociale : retraites, indemnisation du chômage, assurance maladie
- Droit du travail : hiérarchie des normes, salaire, contrats, responsabilité des salariés
- Services publics : ouvertures de capital, privatisations totales ou partielles, mise en concurrence, détérioration de la qualité par restrictions budgétaire
- Politiques économiques : marchandisation généralisée, remise en cause de fait de la RTT, plus grande liberté de licencier avec la remise en cause de pans de la loi “ modernisation sociale ”.
L’ANPE, les services de l’emploi, du travail, de l’insertion, de la formation sont au carrefour de ces quatre piliers. Toute cette offensive présente des caractéristiques communes et poursuit des objectifs convergents :
- casser les résistances à une norme d’emploi détériorée : le Pare, l’extension de la précarité, la baisse généralisée des allocations chômage, concourent à cet objectif
- agir sur le partage des richesses : depuis 20 ans, la part des salaires recule de 8 points et le profit augmente d’autant ; l’augmentation de la part du profit concerne intégralement le profit non investi, autrement dit les revenus financiers nets distribués par les entreprises. Même en prenant les années 60 comme référence, le recul est de l’ordre de 6 à 7 points de valeur ajoutée. Le dogme de la baisse de l’impôt sur le revenu permet, lui, de transférer, via la décentralisation, certaines dépenses sur la fiscalité locale plus injuste (cf. RMI) et de tenter d’en finir avec les systèmes de garanties collectives : protection sociale, droit du travail, services publics.
- pour atteindre ces objectifs nous sommes confrontés à une transformation profonde de la gestion des salariés dans les entreprises , les mêmes caractéristiques s’exerçant sur les chômeurs. Il s’agit d’insécuriser, d’individualiser, de culpabiliser, de soumettre. C’est ce à quoi s’attache la “ gouvernance ” . L’offensive idéologique est elle aussi considérable à coup d’injonctions contradictoires ou paradoxales qui rendent fou le plus équilibré d’entre nous : sommés d’être responsables mais soumis aux objectifs imposés, d’être les acteurs de notre propre destin dans le cadre de contraintes “ indépassables ” . Les chômeurs comme les agents de l’ANPE connaissent bien ces situations dont la “ contractualisation ” entre un agent et l’usager est un moment clé : “vous faites un projet de vie - je l’accepte si je pense qu’il est adapté aux besoins du marché - je vous donne tous les moyens du service public….si après ça vous ne trouvez pas d’emploi, c’est de votre faute !”. La conclusion que beaucoup en tirent c’est qu’il vaut mieux n’être responsable de rien du tout et remettre son sort entre les mains de n’importe quel démagogue, ou pire…
Les travaux conduisant à la certification, aux normes qualité sont de la même veine : tout le monde sait que ce qui est écrit et signé est inapplicable, c’est le règne du mensonge au nom de la qualité, du service au client, et s’il y a un problème…c’est le salarié qui est jugé individuellement responsable. Pour autant, il n’est pas sûr que le monde ainsi dessiné apparaisse légitime à la majorité de la population encore bien longtemps . Les contradictions entre le discours avancé par les libéraux surgissent en effet de plus en plus. Quelques exemples. La crise sanitaire de l’été 2003 révèle les limites des mesures prises depuis des années (plan Juppé, non remis en cause par les gouvernements suivants) : diminution du numerus clausus pour les médecins, fermetures d’écoles d’infirmières, austérité générale du système de santé. La remontée du chômage et l’incantation sur le “ retour inéluctable ” de la croissance interrogent sur les choix économiques : la compétitivité à tout prix n’a donc pas que des vertus . Le capitalisme a en effet besoins de profits élevés mais aussi de demande solvable. Or la recherche de la compétitivité par baisse des salaires déprime la demande.
On ne cesse de répéter que la solution passe par la qualité et l’économie du savoir : le peu de prix accordé de plus à plus à la qualification de la main d’œuvre aussi bien par le biais de l’Assedic que des conseils régionaux (diminution drastique des formations longues) devrait donc avoir des conséquences graves.
Le gouvernement justifie ses mesures anti-sociales, répressives et sécuritaires par la lutte contre la montée de l’extrême droite : une telle accumulation de mesures aggravant la pauvreté et les exclusions ne sont guère de nature à endiguer la propension à franchir le Rubicon du vote d’extrême droite pour “emmerder ceux qui nous emmerdent”, se différencier et protester haut et fort de son sentiment d’être abandonnés y compris par ceux qui devraient nous défendre et nous représenter (certains syndicats et partis de gauche) . Le “ Il faut que ça change, et plutôt la guerre que continuer comme ça ” voilà une explication de la montée du nazisme dans l’Allemagne des années noires selon Anna Arendt…
La “ crise de la politique ” et de la participation citoyenne : les causes en sont multiples et complexes mais je voudrais m’arrêter sur un point particulier : il faudrait mieux analyser les conséquences d’une précarisation accrue des revenus, des statuts d’emplois, des modes de gestion des chômeurs comme des salariés.
La précarité c’est d’abord la précarité de ses moyens de vivre, on ne le dira jamais assez : quand on ne sait pas ce qu’on gagnera demain, on ne peut faire aucun projet, on ne peut pas louer un appartement sans la caution de sa famille entière (bonjour l’autonomie des jeunes !), alors de là à s’engager dans un parti ou une association … Une nouvelle sécurité économique, l’indemnisation de toutes les formes de chômage : voilà le minimum. D’autant que, nous l’avons répété, une indemnisation du chômage de bas niveau, c’est une norme d’emploi qui se dégrade sans cesse pour tous, avec ou sans emploi.
Mais cela ne suffit pas .La discontinuité de l’emploi lorsqu’elle n’est pas choisie, pèse lourdement sur la construction personnelle, sur les liens collectifs qui nécessitent du temps pour s’établir, sur la construction de sa qualification qui demande de s’insérer dans des processus de travail dans la durée, sur la capacité à intervenir sur les choix de l’entreprise en matière d’organisation du travail, d’investissements, de choix de production ou de services. De tous ces points de vue, on ne peut pas prendre acte d’une soit disant fatalité de cette discontinuité, mais trouver les moyens de la combattre.

Pour conclure

Depuis 25 ans maintenant, avec quelques nuances selon que les gouvernements étaient de droite ou de gauche, la stratégie appliquée en France ressemble comme une sœur à celles des pays voisins : offensive d'une ampleur inégalée contre l'indemnisation des chômeurs, contrôle renforcé ainsi que l'incitation à reprendre n'importe quel emploi, réforme des retraites conduisant à un allongement de la durée requise de cotisations (alors qu'à 60 ans 2/3 des salariés n'ont plus d'emploi !), baisse de 20 à 30% du montant des retraites et ouverture de fait à la capitalisation, réforme en préparation du régime de sécurité sociale de l'assurance maladie
restrictions budgétaires aggravant l'état des services publics, privatisations totales ou partielles de certains d'entre eux, transformation de la réglementation du travail accentuant la précarité, la flexibilité et faisant reculer les garanties collectives au profit d'une hyper individualisation.
Il ne faudrait pas oublier les plans de licenciements qui se multiplient. Des conflits importants ont eu lieu et sont en cours : contre les plans de licenciement, contre la réforme des retraites ce printemps, contre les baisses d'allocations chômage les intermittents du secteur de la culture et du spectacle et l'ensemble des chômeurs. Dans toutes les manifestations de ce printemps en France, un même clameur dans toutes les manifestations : "nous voulons un autre partage des richesses !" .
Nous sommes en effet là au cœur de ce qui nous oppose au libéralisme, au capitalisme. Du point de vue des libéraux, les politiques menées depuis 20 ans ont marqué des points : la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissé de 10 points, l'activation des dépenses d'indemnisation du chômage conduit à accepter n'importe quel emploi, ce qui montre d'ailleurs que l'indemnisation du chômage concerne tout le salariat et donne une responsabilité forte au mouvement syndical, les transferts sociaux sont reprofilés à la baisse. Et tout cela au nom de la modernité ! Nous sommes sommés d'être modernes et le marché de dupes est total puisque cohabitent baisse des salaires, des garanties collectives et de la protection sociale ET chômage de masse et précarité ! On constate par contre que lors de la petite reprise de 1997 - 2001 dans l'Union Européenne, ceux qui ont le plus bénéficié ne sont pas les pays qui ont le plus appliqué les réformes préconisées du marché du travail.
Il nous semble que nous sommes aujourd'hui dans un véritable choix de civilisation : ou nous approfondissons, rénovons, amplifions la logique de solidarité portée par l'Etat social dans toutes ses variantes, ou nous nous replions sur une logique individuelle et marchande dans tous les secteurs de la vie. Evidemment pour l'instant nous ne remportons guère de victoires.
Pourtant, la légitimité des stratégies mises en œuvre ne peut qu être de plus en plus contestée par les salariés et les citoyens .
Parce que cette "modernité régressive", cette contre - réforme, qui prétendent, comme le disait Mme Thatcher "être la seule voie possible", sont en échec total du point de vue des besoins des populations : crises sanitaires (voir les 15 000 morts pendant la canicule de l'été 2003 en France), taux de chômage à la hausse, sécurité dans les transports (voir les chemins de fer en Grande Bretagne) ou dans l'énergie (pannes gigantesques), accès aux soins (hôpitaux débordés, délais d'accès qui s'allongent), sécurité de sa retraite, voire de ses placements (voir Enron…), environnement et pollution, besoins sociaux sacrifiés (manque cruel de logements, éducation, baisse des subventions aux associations), augmentation de la misère : en France, 1/3 des personnes sans domicile ont pourtant un emploi. Et même du point de vue du capitalisme, la baisse continue des salaires et des transferts sociaux déprime la demande !
Quant à la sécurité, la démocratie, la paix, on voit ce qu'il en est : la progression des partis populistes, d'extrême droite, voire fascistes partout rend compte de cette exaspération, de cette désespérance .
Par rapport à ce démantèlement de l'Etat social, des services publics, de toutes les garanties collectives, il y a des marges de manœuvre mais peu de compromis possible : toute concession est interprétée comme un encouragement à aller plus loin. Face à cette offensive de très grande ampleur du capitalisme néolibéral, nous ne sommes pas inactifs : le Forum Social Européen qui vient de se tenir en France, après les forums mondiaux de Porto Alegre et le Forum de Florence en sont la preuve . Mais nous constatons qu'une course de vitesse est engagée. Parce que rien n'est jamais définitif, mais il y a tout de même des points de quasi non retour : privatisations, destruction de services publics… Construire des alternatives a aussi un enjeu par rapport à la démocratie. En France, l'installation durable et à un niveau élevé d'un parti comme le Front National fait peser une menace considérable .
Quelques pistes pour ouvrir ce débat :
Nous pensons qu'il faut mêler intimement les réponses et les luttes face à l'urgence ET la construction de projets avec des revendications qui nous unifient :
1 - dans l'immédiat, l'exigence de la garantie d'un revenu pour tous les citoyens, avec ou sans emploi, s'impose, contre la misère et pour résister à la détérioration de l'emploi. Nous pourrions reprendre l'idée de la Fédération Européenne des Retraités et Personnes Agées de la CES (FERPA), qui est aussi celle du réseau des Marches Européenne contre le chômage : 50% du PIB par tête. Ce droit doit être individuel, et non lié aux ressources de son conjoint, ce qui est particulièrement important pour les femmes. Cette garantie d'avoir les moyens de vivre s'inscrit dans la volonté de donner à tous et toutes une réelle sécurité économique et sociale quels que soient les aléas de la vie (maladie, chômage, retraite..) : il s'agit bien de droit et non de charité.
2 - Nous considérons que la répartition de la richesse produite, de la valeur ajoutée, des profits…n'a aucun caractère intangible. Ce n'est pas un postulat, c'est un combat ! Rien n'est destiné à rester en l'état : ni le taux de "prélèvements obligatoires", ni les taux de cotisations, ni les salaires, ni le taux de chômage. Cette lutte pour une "socialisation" de la richesse produite est bien notre contre - logique par rapport à celle du tout marchand .
3 - Pour développer des luttes et qu'elles soient de grande ampleur, nous avons encore beaucoup à convaincre qu'il n'y a aucune fatalité, que la légitimité est de notre côté. Ce n'est pas du tout évident parce que le libéralisme a marqué des points : il faut convaincre tous ceux qui croient qu'ils s'en sortiront tout seuls, que sans garanties collectives fortes il n'y a pas d'émancipation individuelle possible. Sur ce chantier, comme sur bien d'autres, toutes les organisations syndicales comme associatives sont concernées, non pas côte à côte mais ensemble. Je prendrai trois exemples :
- pour défendre et rénover les services publics, la place des salariés ET des usagers est indispensable. Le débat peut être rude, le rapport de forces n'en est que meilleur.
- lutter contre les plans sociaux, les licenciements, en particulier dans les entreprises bénéficiaires, cela concerne les salariés, les habitants d'une zone géographique, les citoyens. Cela peut conduire à des actions de boycott de produits comme on l'a vu chez Lu - Danone
- les chômeurs et les précaires ont des problèmes d'emploi, mais aussi de logement, de dettes, de transports.
J'insiste sur cette dernière question : presque partout en Europe, les organisations syndicales sont en marge par rapport aux chômeurs. Parce que c'est difficile. Certains pensent même que ce n'est pas nécessaire. Il y a pourtant un enjeu pour tout le salariat de syndiquer et d'organiser les luttes aux côtés d'associations : avec ou sans emploi on est un travailleur et toute régression des droits des chômeurs pèse sur tout le monde.
Il nous faut aujourd'hui renverser totalement la logique et inscrire par exemple dans une Constitution (pas celle qu'on nous propose) un article disant : "L'offre socialisée de services est la règle et le marché ne peut se développer que dans les secteurs où il n'introduit pas de distorsion dans la satisfaction des besoins sociaux et la préservation de l'environnement". Cela suppose bien entendu une qualité de la délibération démocratique dans les entreprises, dans les quartiers, bien supérieure. Pour conclure, je citerai non pas Bakounine, ni Rosa Luxembourg, mais…Beveridge qui écrivait en 1944 : "S'il est établi, par l'expérience ou le raisonnement, que l'abolition de la propriété privée des moyens de production est nécessaire pour obtenir le plein emploi, alors, celle-ci devrait être menée à bien ".


Claire Villiers est syndicaliste au SNU-ANPE, militante et cofondatrice d’AC ! et coauteure, dans le cadre de la Fondation Copernic, de la note « Pour un Grenelle de l’UNEDIC ».