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ENSEIGNEMENT SUPERIEUR : DANGERS ET ESPERANCES Par João Silveirinho
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ENSEIGNEMENT SUPERIEUR : DANGERS ET ESPERANCES
Par João Silveirinho

C’était le 1er avril, mais ce n’était pas une farce. Dans la salle-bar de 17e Parallèles, un squatt associatif animé par les Macaq Troubadours, qui font un formidable travail d’animation de quartier dans les Epinettes, Marco Antonio Rodrigues Dias, ancien directeur de la division de l’enseignements supérieur de l’Unesco, Jean-Claude Fiemeyer, auteur de L’enseignement supérieur dans le monde : éclatement et effervescence* et Ismaël Omarjee, maître de conférences à l’Université Paris X –Nanterre, président du MRC 17e (et tout nouveau membre du Cactus Républicain, welcome to the club) ont apporté leur concours au 4e café-débat de Réchauffer la Banquise, consacré à l’enseignement supérieur dans le monde.

Les évolutions récentes

Jean-Claude Fiemeyer pointe une série de constats. Le plus important peut-être est un double mouvement qui peut être pointé au niveau mondial, y compris dans les pays les plus pauvres : d’une part la hausse du nombre d’étudiants, dont on peut se réjouir, d’autre part la diminution des engagements des Etats, autrement préoccupant. Les traductions concrètes de ce double mouvement sont la montée en puissance de l’enseignement supérieur privé par rapport à son homologue public, et la hausse, quasi générale, des droits d’inscription payés par les étudiants et leurs familles. Une autre tendance générale est la part de plus en plus prépondérante de la langue anglaise comme langue internationale de l’enseignement supérieur. Troisième grande tendance, le développement des nouvelles technologies renchérit les coûts de fonctionnement des établissements. Ceci entraîne des investissements de plus en plus élevés, et parfois à haut niveau de risque.
Plusieurs études convergentes pointent un risque, à moins de dix ans, d’une pénurie d’enseignants, conséquence d’un renouvellement générationnel, d’une transmission des compétences parfois mal assurée, d’un statut social des enseignants insuffisamment pris en compte, notamment dans les pays en développement, mais pas seulement.
Autre phénomène émergent, des établissements, privés ou publics, ont une stratégie de développement international soit par acquisition (ainsi, plusieurs écoles d’enseignement supérieur privé françaises, telle l’Ecole Supérieure du Commerce Extérieur, sont passées sous contrôle américain. Tout récemment, l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris, dont, incidemment, J.P. Raffarin est ancien élève, vient de prendre le contrôle d’une école de management de Barcelone…), soit par accords de coopération. On pourrait se réjouir de ces coopérations, si beaucoup d’entre elles ne constituaient pas, ainsi que le confirme Marco Antonio Rodrigues Dias, une simple annexion pédagogique : une université « mère » fournit les contenus, et les universités « partenaires » ne font que les appliquer, les enseignants locaux devenant alors de simples répétiteurs ou « adaptateurs ». Ces stratégies de développement ont également suscité la floraison de « start up » de services périphériques à l’enseignement supérieur (recruteurs d’étudiants payés à la commission sur les droits d’inscription perçus, appui aux passages d’examens, « guides » des universités, librairies en ligne, plates-formes technologiques…).
Jean-Claude Fiemeyer insiste enfin sur l’importance croissante du système d’accréditation. Cette pratique américaine très ancienne consiste à faire accréditer (en principe, validation de la qualité des enseignements) les universités par des organismes indépendants des pouvoirs publics. Certains organismes accréditeurs émanent de la communauté universitaire, d’autres sont purement privés. Il y a même des organismes accréditeurs d’organismes accréditeurs. Les accréditations américaines sont de plus en plus recherchées par les établissements européens, notamment dans le secteur de l’enseignement du management. Les établissements français les plus prestigieux (HEC, ESSEC…) sont ainsi accrédités. Si, pour établir des équivalences dans des cursus suivis dans des pays différents, un tel système est nécessaire (on connaît, par exemple, le casse-tête des équivalences pour des étudiants européens voulant suivre leurs études dans différents pays de la communauté), le système américain n’est pas obligatoirement le meilleur. Sans même parler des dérives de certains organismes accréditeurs (une université américaine se targue ainsi d’être accréditée par… Jésus-Christ), le système est à la fois un outil de domination possible sur les enseignements des autres pays et un outil de protection face aux établissements étrangers. L’Open University britannique, par exemple, reconnue pour la qualité de ses enseignements, a voulu s’implanter aux Etats-Unis mais a du renoncer face aux multiples obstacles mis à son accréditation.
Marco Antonio Rodrigues Dias ajoute à ce sujet qu’un groupe de travail international a été constitué sur le problème des accréditations, mais sa constitution (quatre britanniques, un scandinave, un belge de la communauté flamande très proche des anglo-saxons, un américain, trois africains de pays anglophones, un représentant du Mexique qui est en fait une française !) fait plus que la part belle au lobbying anglosaxon.

Espoirs et menaces

Marco Antonio Rodrigues Dias a été, selon l’expression du directeur de l’Unseco à cette époque, Féderico Mayor, le principal organisateur de la Conférence Mondiale sur l’Enseignement Supérieur organisée par l’Unesco à Paris en 1998.
Après des Conférences régionales dans tous les continents et des débats partout dans le monde, la Conférence mondiale a réuni 5000 participants, dont 125 ministres, issus de plus de 180 pays. Les tentatives des représentants officiels des pays riches de limiter les débats aux seules délégations diplomatiques échouèrent, et le débat put être ouvert à tous les participants. Il en est résulté une déclaration unanime affirmant que l’enseignement supérieur est un bien public, moteur du développement durable, dont l’accès doit être ouvert sans aucune discrimination. La déclaration souhaitait également le développement d’une coopération solidaire entre les universités. Bref, une déclaration riche d’espoirs.
Mais, dans la même période, un document de l’Organisation Mondiale du Commerce incluait l’enseignement supérieur parmi les services commerciaux. Ce véritable coup d’état international, fomenté principalement par les Etats-Unis avec le soutien de l’OCDE, faisait plus que relativiser la déclaration issue de l’Unesco. Magnanime, l’OMC consentit a préciser que, dans le domaine de l’enseignement supérieur, les Etats pouvaient décider de conserver leurs prérogatives. Ne nous réjouissons pas trop vite toutefois, puisque le texte, basé sur l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services), ajoutait que cette possibilité n’était ouverte que si ces prérogatives ne faisaient pas une concurrence au secteur privé.
Si la communauté universitaire, y compris américaine, accueillit plus que fraîchement le texte de l’OMC ,établi dans le cadre de l’AGCS, il ne faut pas cacher que pour une large partie de cette communauté, l’opposition portait davantage sur l’absence de consultation et l’opacité des décisions que sur leur fond même. Les échecs de Seattle puis de Cancun ont surtout été dus aux désaccords sur l’agriculture, et l’AGCS menace toujours, et le lobby anglo-saxon demeure actif, y compris au sein d’organismes, tels l’Unesco, qui devraient être les remparts du service public de l’éducation.
Car la marchandisation de l’enseignement supérieur continue, et peut prendre parfois des formes pittoresques. Ainsi, des journalistes anglais ont découvert en 1999 que le nombre de doctorats « honoris causa » avait presque doublé dans les universités anglaises de 1997 à 1999. En 1997, Tony Blair restreignait les crédits aux universités et les incitait à trouver des fonds privés. Conséquence quasi immédiate : de nombreux dirigeants d’entreprises « sponsors » d’universités ont miraculeusement accédé à ces doctorats honorifiques. Même des universités très prestigieuses ont été affectées par ce comportement.
Ismaël Omarjee, de retour d’un voyage d’enseignement en Hongrie, confirme les tendances décrites précédemment. En Hongrie, par exemple, et en dépit d’un niveau de revenu bien plus faible qu’en France, les étudiants payent des droits beaucoup plus élevés. La ségrégation sociale est en conséquence elle aussi beaucoup plus importante.
Il revient toutefois sur la tendance à la hausse du nombre d’étudiants constatée au niveau mondial. Il semble, selon les dernières projections du Ministère de l’Education, qu’une décrue du nombre d’étudiants soit prévisible dans les prochaines années, résultat à la fois de l’évolution démographique, des inégalités sociales qui obligent de plus en plus de jeunes à rechercher rapidement un revenu et aussi d’une certaine défiance envers des études supérieures dont la poursuite, de par la sélection, et les débouchés sont aléatoires. Il s’interroge sur certains effets négatifs de la massification de l’accès à l’enseignement supérieur. Ainsi, il est paradoxal que les cycles d’études courts (IUT, BTS) fassent l’objet d’une sélection très stricte à l’entrée, alors qu’elles conduisent à une entrée rapide dans la vie active et répondent ainsi aux aspirations et aux aptitudes de nombreux jeunes, alors que l’accès aux cursus universitaires classiques longs est, à quelques exceptions près, ouvert à tous.


Le bien public

Pour nous, la conclusion du débat est claire : nous nous devons de défendre et d’étendre une conception de l’enseignement en tant que bien public. Nous nous devons de défendre sa diversité, culturelle, linguistique. Nous devons promouvoir les coopérations internationales, à la condition que ces coopérations soient fondées sur un échange réel, et ne servent pas de supports à des dominations des uns par les autres. Ceci suppose des harmonisations, qui doivent faire l’objet de concertations. Ainsi, le système dit « LMD » (cycles d’études de 3, 5 et 8 ans correspondant aux niveaux de la licence, du mastère et du doctorat) n’est pas en soi négatif. Il n’est pas seulement américain, mais existe dans de nombreux pays, parfois même antérieurement aux Etats-Unis. Mais il ne faut pas confondre harmonisation, faite a posteriori et standardisation, réalisée a priori : d’une part, ce système ne convient pas à tous les cursus (les cursus courts par exemple), et d’autre part les universités doivent continuer à contribuer à ses contenus.
Contrairement à ce qu’on lit ici et là, à gauche, hélas, et à droite, pas étonnant, le problème de nos enseignements supérieurs n’est pas d’être compétitifs, mais d’être excellents. La déclaration de l’Unesco est conséquente à ce sujet : elle prône la coopération solidaire, pas la compétition.


*Editions Adice 10 cité d’Angoulême 75011 Paris
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