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CULTURE ET POLITIQUE Par João Silveirinho
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CULTURE ET POLITIQUE
Par João Silveirinho

On n’a pas attendu le conflit des intermittents pour savoir que culture et politique ne font pas souvent bon ménage, même s’ils sont, depuis des siècles, intimement liés. Si nous étions mauvaises langues, ce qui n’est bien entendu pas le cas, nous pourrions suggérer que le manque de culture de beaucoup de nos dirigeants explique l’indifférence affichée par nos politiques en vue envers les questions culturelles. Et il ne serait pas, dans ce cas, nécessaire de traverser l’Atlantique pour trouver des exemples.
Traitée au mieux comme appendice dans les programmes électoraux, dotée de budgets marginaux dans les dépenses de l’Etat, la culture n’a que rarement retenu l’attention du pouvoir. Depuis le début de la cinquième République, seuls Charles De Gaulle et François Mitterrand ont un temps hissé la culture au rang de priorités nationales.
Il faut reconnaître, d’un autre côté, que les acteurs de la vie culturelle ne sont pas toujours commodes : souvent jaloux de leur indépendance (qui le leur reprocherait, hors des politiques ?), parfois aussi serviles (le mécénat des princes a créé des traditions), peu nombreux, tous comptes faits, face aux cohortes salariales, et pesant peu, en gros sous sonnants et trébuchants, face aux armées patronales. Qui plus est, ils dépensent, c’est certain, et ne rapportent pas toujours, ce qui, en un siècle ou une prétendue efficacité est érigée en règle d’or, est suspect, au limites de l’insupportable.
Pourtant, la culture est l’âme des peuples, elle est aussi, comme l’exprimait voilà déjà longtemps Joffre Dumazedier, la relation particulière de l’homme au monde. Elle est peut-être la finalité de la vie.
Les politiques ont parfois mis la culture à toutes les sauces. Essayons au moins de savoir de quoi on parle.

Culture et mœurs, la confusion

La culture partage avec la citoyenneté, dont on verra qu’elle en est une composante, le triste privilège d’être mise à toutes les sauces. Il fut un temps, pas si lointain, où les choses, à défaut d’être simples, étaient au moins claires : la culture était alors assimilée aux Beaux-Arts : arts graphiques et plastiques, musique et danse, littérature et théâtre, plus quelques disciplines annexes. Ces objets se déclinaient selon des formes souvent attachées aux classes sociales : les riches à l’opéra, les pauvres dans les beuglants, où quelques riches, quand même, se risquaient à s’encanailler. La hausse du niveau de vie, le développement de l’éducation, la diversification des médias ont compliqué les choses. Pour certains, aujourd’hui, tout ou presque est culture : on parle des arts de la table, des arts et traditions populaires, de la mode … Premier écueil : ne pas confondre la culture et les mœurs. Parler de la « culture américaine » en citant Coca Cola, Mc Donald, Disneyland ou les jeans, c’est confondre culture et mode de vie et, au passage, faire injure aux éminents représentants d’une vie culturelle américaine qui fut intense et le demeure sans doute. Il s’agit, au mieux, d’éléments de civilisation.

L’éducation, préalable à la culture

Il est vrai que le langage courant, lui-même, ne facilite pas la clarté : qu’est-ce qu’un homme cultivé ? Un créateur, même talentueux, n’est pas forcément « cultivé ». On a connu de grands peintres quasi analphabètes, de grands musiciens un peu imbéciles, de grands écrivains ignares. On s’accorde généralement pour admettre que l’ « homme cultivé » est celui qui a acquis, par la fréquentation d’oeuvres culturelles, mais aussi par une accoutumance à penser les relations des choses entre elles, un sens esthétique et la capacité de le raisonner : un mélange de passion et de raison, en quelque sorte. On voit ici bien le lien entre éducation et culture : point de culture sans éducation. On voit aussi l’utilité de l’idée de « pluridisciplinarité culturelle » : la sociologie ou l’histoire ne sont pas des sujets culturels, mais elles concourent à l’explication de la culture, elles lui donnent du sens. On voit enfin que la culture englobe une activité de production et une activité d’assimilation.

Ne pas confondre les médias et la culture : contenant et contenu

Autre confusion souvent constatée : celle entre la culture et les médias susceptibles de la véhiculer. Ainsi disposons-nous souvent d’un Ministère de la Culture et de la Communication : il y a des liens entre les deux, mais ce n’est pas la même chose. La télévision ne véhicule pas que de la culture (dont la qualité constitue un autre débat), mais aussi des informations, des divertissements. D’ailleurs, pour la majorité des politiques, c’est bien davantage son rôle de média d’information que son rôle culturel qui retient l’attention. Les déclarations de François Léotard (qui fut Ministre de la Culture, étonnant, non ?) concernant le « mieux disant culturel » justifiant l’attribution de TF1 au groupe Bouygues sont encore dans certaines mémoires.

La culture en danger

Nous avons indiqué les principales confusions qui entourent la culture. Il pourrait venir à l’esprit du lecteur qu’il est certes utile de savoir ce que la culture n’est pas, mais qu’une définition manque au paysage. Nous tenterons l’approche suivante : la culture, c’est l’ensemble de la capacité créatrice passée (patrimoine) et présente d’une communauté et l’influence de cette capacité sur la pensée des membres de cette communauté : à la fois processus de production et mode d’appropriation. On ajoutera que ce qui distingue la création culturelle de la création industrielle, commerciale ou scientifique, c’est la gratuité de son élaboration intellectuelle, même si les enjeux économiques ne sont pas absents.

On aura donc compris que la culture est une composante indispensable d’une identité nationale. Que la culture d’un pays se dilue, et c’en est fait de sa capacité à survivre. En ces temps de mondialisation, le danger de dilutions culturelles est évidemment grand. D’autant, on le verra, que la production culturelle a aussi une dimension économique, quand bien même on considérera que la culture doit demeurer en marge du secteur marchand.
(à suivre)
Exception ou diversité ?
Jean-Marie Messier, ex-patron de Vivendi-Universal, ex-vendeur mondialisé de films, de télévisions, de musiques, de livres, de journaux, ex- ministre de la culture de fait du temps déjà lointain de feu Jospin, est revenu à la une de l’actualité, en garde à vue cette fois. La vie de ce type est un roman, dites donc. Il devrait déposer les droits.

Jean-Marie Messier, rappelez-vous, du temps de sa puissance, est l’homme qui avait dit : « C’en est fini de l’exception culturelle française ». Et tant mieux, rajoutait-il, c’était du dernier ringard.

Les milieux culturels avaient été horrifiés, et les milieux politiques aussi. La Ministre de la Culture avait dit que ce n’était pas bien, le RPR que ce n’était pas le moment, Jérôme Clément, porte parole quasi-officiel de la télé culturelle depuis Arte, avait très respectueusement estimé que Monsieur Messier exagérait, tout en saluant très bas sa réussite entrepreneuriale (quel nez, Jérôme !). Seul Alain Madelin avait approuvé. Celui-là, quand il s’agit de faire le lit de l’Amérique, on peut compter sur lui comme femme de chambre en chef.

Jean-Marie Messier avait « relativisé » sa déclaration. On l’avait mal compris. L’exception culturelle était peut-être morte, mais c’était pour fêter la naissance d’un nouveau « concept » : la diversité culturelle. D’ailleurs, Vivendi-Universal n’en est-il pas un vivant exemple, avec tous ces films, tous ces CD etc ? Vous voulez de la diversité ? Des milliers de titres dans nos catalogues !

Redevenons sérieux. Oui, les catalogues des grandes compagnies (on dit « majors » quand on est in) illustrent bien la diversité culturelle. Oui, c’est bien la diversité culturelle qui est admise par l’Union Européenne, grâce à la France, paraît-il. Oui, les socialistes se sont ralliés à la diversité culturelle. Oui, Jacques Chirac l’a défendue publiquement, l’exception aussi, d’ailleurs, en fonction de l’humeur du jour.

Le problème, c’est que la diversité culturelle ne nous convient pas. Elle revient à dire ceci : chacun est libre de produire une œuvre culturelle, peut la mettre sur le marché, et c’est le public qui choisira. Hypocrisie sur tous les tableaux : chacun sait que la plupart des œuvres n’ont pas accès au public, car les réseaux de production et de distribution, où le « majors » font pluie et beau temps (attention, ici beau temps n’a rien à voir avec la météo ou le plaisir, mais uniquement avec le tiroir-caisse), ont des critères qui n’ont pas grand chose à voir avec la culture. La diversité culturelle, c’est l’avènement de la culture d’hypermarché : le choix, oui, mais entre des produits qui se ressemblent tous.

L’exception culturelle est tout autre chose : c’est le droit, pour tout peuple de protéger et promouvoir ses expressions culturelles. Nous avons bien dit « pour tout peuple ». Ceux qui prétendent que l’exception culturelle n’est qu’une forme de repli de la France sur elle-même déforment cette idée. L’exception culturelle a valeur universelle, elle universalise, là où la diversité culturelle mondialise. Elle donne à apprécier les différences, là où la diversité les efface. Elle permet à la culture de s’enrichir, là où la diversité la nivelle, en général par le bas.

L’exception culturelle suppose l’intervention de la puissance publique. Non pas pour censurer ou imposer des normes, mais pour permettre, dans chaque pays, aux créateurs, aux interprètes de pouvoir exercer leurs talents. Par cette intervention publique, la France a pu réussir à préserver sa création cinématographique, dans une Europe où, ailleurs, les films américains contrôlent plus de 80% du marché. Elle a pu sauvegarder la possibilité d’exister pour de petits éditeurs, pour de petits libraires grâce au prix unique du livre, pourtant combattu par les instances européennes.
L’exception culturelle demeure, comme toutes les conquêtes de la liberté, une idée à défendre contre les bradeurs de la mondialisation. Elle est une idée à promouvoir, car elle est une part de ce qui fait la dignité des peuples. C’est un des messages que la France universaliste peut envoyer au monde.

Et le monde la reçoit. Plusieurs pays européens ont adopté le prix unique du livre. D’autres aident leur leur création audiovisuelle. Il se dit par exemple, ici et là, que Monsieur Zapatero, nouveau premier ministre espagnol, voudrait s’inspirer du système français. Ils en ont de la chance, les espagnols, d’avoir un premier ministre qui s’intéresse à la culture, ce n’est pas de ce côté-ci des Pyrénées que ça arriverait.

L’exception culturelle demeure bien entendu la bête noire des libéraux. Le lobby des multinationales continue son offensive auprès de l’Union Européenne, dont on connaît la grande capacité de compréhension à ce genre d’argument. Le spectre de l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS), véritable bombe à retardement contre la notion de service public, rôde toujours. C’est pourquoi il faut, d’une part, rester vigilants et, d’autre part être offensifs pour une exception culturelle à l’échelle culturelle internationale.

Un dernier mot à partir d’un exemple concret : nous avons vu récemment un film d’un jeune réalisateur, pas encore distribué, réalisé sans soutien de fonds publics. Mais le film a pu se faire quand même. Et pourquoi ? Parce que les comédiens et techniciens ont accepté de travailler en participation, sans salaire, sans non plus se faire trop d’illusions sur la perspective de récupérer un jour quelqu’argent. Mais alors, mais alors, direz-vous, voilà des mécènes argentés qui travaillent pour des prunes ? Non, ils sont intermittents du spectacle. Et c’est ainsi que peuvent se faire bien des premières œuvres, et c’est ainsi que le régime d’indemnisation des intermittents participe de l’exception culturelle. Il n’y a qu’en France que cela est possible : intermittents de tous les pays, unissez-vous !
(à suivre)
Capturé par MemoWeb à partir de http://www.cactus-republicain.org/index.php?ID=&ThemeID=67&LangueID=1&RubID=134&InfoID=532  le 16/07/2004