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REVENIR A L’ESSENTIEL Par Clémentine Autain
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ELISABETH BADINTER, UNE CERTAINE DECEPTION ET DES CHOSES BONNES A LIRE Par João Silveirinho


 
ELISABETH BADINTER, UNE CERTAINE DECEPTION ET DES CHOSES BONNES A LIRE
Par João Silveirinho


Le dernier ouvrage d’Elizabeth Badinter (Fausse route, ed. Odile Jacob), pris comme point de départ du premier café-débat de Réchauffer la Banquise consacré au féminisme aujourd’hui, s’il ne laisse pas indifférent, provoque certains malaises. Dans la facture, d’abord : une impression d’un ouvrage écrit un peu vite, davantage basé sur des articles de journaux divers et sur une lecture sélective des ouvrages récents concernant le féminisme que sur une analyse approfondie des thèses très diverses émises dans la dernière décennie. Une imprécision ensuite dans l’objet de ce que l’auteur prétend dénoncer. Qui, quelles sont ces féministes apparemment hégémoniques ? Si un certain panorama des tendances féministes radicales américaines est dressé, rien de tel pour ce qui concerne la France et l’Europe : peu de citations, de nombreux oublis, des généralisations sans doute précipitées. Ces insuffisances formelles nuisent évidemment au fond.
Certains milieux féministes, en France, ont poussé des cris d’orfraie à la lecture de ce livre. Il suffit de se reporter au site internet des Chiennes de Garde pour avoir un échantillon de ces réactions, mêlées, il faut être juste, à des critiques très argumentées. Dans ces colonnes même, Clémentine Autain dit avec vigueur le peu de bien qu’elle pense de l’ouvrage.
Nous ne sommes pas certains que le féminisme que le « nouveau féminisme », importé des Etats-Unis soit aussi influent, quasi hégémonique, que l’affirme Elisabeth Badinter. Mais il est vrai que de récentes prises de position sont inquiétantes. Parmi les formes de domination largement en débat, les questions de la prostitution, serpent de mer, et du port du voile « islamique » à l’école et plus largement dans les services publics constituent de consistants sujets d’actualité.
Sur ces deux sujets, nous partageons largement le point de vue d’Elisabeth Badinter. Il nous parait étonnant que des femmes et des hommes se prétendant de gauche, que des partis, même, se prétendant « de gauche » apparaissent si aimables vis-à-vis du voile islamique. Le voile pose trois questions : celle de la place dans une société du communautarisme, dont il est une expression affichée, celle d’une conception du rôle de la femme dans la société, dont il est un élément symbolique, et celle des limites de la liberté individuelle. Nous avons une réponse claire concernant le communautarisme et les limites de la liberté individuelle : la laïcité. La religion, ses pratiques, ses signes, sont du domaine privé. Dans le service public, tout prosélytisme doit être banni, et les signes ostentatoires sont les premiers symptômes du prosélytisme.
Les belles voix morales qui sussurent qu’il ne faut pas légiférer sur ce point, qu’il convient d’être ouverts car une loi viserait au premier chef les musulmans gobergent. Pas de voile, pas de kippa, pas de croix, pas de robe orange à l’école ! Il est d’ailleurs significatif que de nombreux défenseurs d’une attitude « compréhensive » à l’égard du voile soient des représentants, officiels ou officieux, d’autres religions : la brèche s’ouvre, engouffrons-nous. Concernant la conception de la place sociale de la femme de la société, le port du voile a une signification évidente : la femme, impure objet de désir, doit être dissimulée à ce désir. Elisabeth Badinter parle du désir dans son livre, et elle a mille fois raison. Nier le désir, c’est nier la vie, c’est plomber d’une morale particulière une question, la sexualité, qui n’a besoin, comme toute question, que d’éthique. C’est passer de la morale générale à l’ordre moral. Notons que les hommes musulmans ne sont, eux, astreints à aucune contrainte vestimentaire particulière : rupture d’égalité. D’aucuns, reconnaissent que beaucoup de jeunes femmes (et de moins jeunes) musulmanes sont contraintes par leur environnement de porter le voile mais que d’autres le font en toute connaissance de cause et de façon volontaire, d’où la nécessité d’être « prudent ». Polope ! Nous devrions connaître, en France, De la servitude volontaire, cet ouvrage maudit, longtemps interdit ou auto-censuré par l’édition. Et rappeler qu’en république, c’est la loi qui libère. Nul, hors quelques bornés, ne prétend interdire le port du voile dans le domaine privé ou dans la rue. Il est des chapeaux plus ridicules. Mais à l’école, non. Que diraient nos belles âmes si des écoliers ou des collégiens se pointaient en classe avec un badge ou un pin’s représentant une faucille et un marteau ou un poing et une rose (bon, ça date, c’était le bon temps, mais c’est juste des exemples connus) ?
Nous suivons également, en gros, les considérations d’Elisabeth Badinter au sujet de la prostitution. Les dispositifs de la loi Sarkozy, l’apparition relativement massive de réseaux de prostitution venant de l’Europe de l’est ou d’Afrique ont sensibilisé la population. La loi Sarkozy est à l’évidence, sur ce sujet comme sur pas mal d’autres, une ignominie : à défaut de lutter efficacement contre le cancer du système, les proxénètes, on s’attaque aux victimes du trafic, les prostituées. Et voilà que de belles consciences « de gauche » parlent de pénaliser les clients et même, pour certain, de les obliger à un suivi médical ! Conseillons plutôt au monsieur qui a dit ça d’aller consulter son psy, et d’urgence. Elisabeth Badinter dénonce clairement la prostitution subie. Mais elle pointe qu’il existe une prostitution choisie.
La présence lors du débat de la Banquise, de Claude Boucher, directrice du Bus des Femmes, association spécialisée dans l’assistance aux prostituées, et sur la même longueur d’onde qu’Elisabeth Badinter a enfiévré l’assistance. Eric Halphen, qu’on connaît mieux inspiré, y est allé d’un couplet « il n’a pas de prostituée sans souteneur » qui fit rire Claude Boucher et quelques autres qui connaissent un peu ce milieu. Les prostitués « libres » ne sont peut-être pas la majorité. Leur choix de cette activité n’est bien sûr que relatif : mais qui choisit vraiment, hors une minorité, son activité ? Qui choisit d’être caissière à temps fragmenté dans un hypermarché, Qui choisit d’être ouvrier à la chaîne ? Qui choisit de trimer dans un fast food ou dans un « call center » pour une misère ?
Ce que posent en préalable Claude Boucher comme Elisabeth Badinter, c’est la liberté de disposer de son corps. Contre rétribution ou pas. Dans une relation conjugale ou pas. Les mariages arrangés ou intéressés de certaines porteuses de voile ou de quelques unes de nos bourgeoises ne sont-ils pas autre chose qu’une prostitution institutionnelle ? La mariage bourgeois traditionnel, en voie de réduction depuis l’accès de la femme à l’éducation et au travail n’était pas autre chose : l’homme amène la pitance, et la femme fait la cuisine et assure le repos de bien piètres guerriers.
Un mot enfin sur la violence, sur la domination exercée par l’homme sur la femme. Contrairement à ce qu’affirment ses détractrices, Elisabeth Badinter ne la nie pas. Mais elle réfute certaines études « victimistes », comme l’ont d’ailleurs fait, appareil critique à l’appui, Hervé le Bras et Marcela Iacub. Et ajoute, ce qui a effrayé les féministes radicales, qu’on ne saurait mettre sur le même plan les coups infligés physiquement et la drague traditionnelle. Elle ne veut pas d’une notion de harcèlement qui commence au premier clin d’œil, comme il arrive aux Etats-Unis. Nous non plus.
Bon, comme on l’a dit, on attendait mieux, mais, vous le voyez, il y a quand même dans ce bouquin de quoi réfléchir. Et on n’a même pas parlé de l’échangisme, de la SM et des godemichés, autres sujets abordés par Fausse route, avec un naturel de bon aloi qui fait frémir les bien-pensants.