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GLISSEMENTS DE TERRAIN
Par Florence Bray


Chevénement regnante, les programmes de l’Education Nationale disaient comme Condorcet que l’école devait être préservée des bruits du monde pour qu’y soient calmement transmis les savoirs patrimoniaux, et méthodiquement distribués les outils de la réflexion.
Ce dont je vous parle, c’était 85. Le savoir se présentait noble et fier comme les poèmes de Vigny recommandés pour la Quatrième, comme la garantie naturelle de la Liberté, et le grand Ministre disait qu’il fallait à ce titre le généraliser à tous les jeunes enfants de citoyens, y compris à ceux qui n’étaient pas à cette époque dans l’école, mais encore au champ ou à l’usine ou dans l’arrière boutique d’un boulanger. On aurait pu appeler ça le projet émancipateur d’une école républicaine, ça n’avait rien de nouveau, mais la liberté intellectuelle pour tous n’est pas un objectif périssable.
Mais de cette idée de lieu idéal, de Thélème pour tous, on se laissa aller dans les media et les IUFM, à broder sur des formules: « l’enfant au centre du système éducatif », pour qu’il soit pleinement bénéficiaire d’une formation, « l’école pour tous », au nom de la démocratie, débouchèrent sur des pratiques débonnaires et floues, qui s’appuyaient sur l’alibi de la liberté de l’élève : non pas une vigilance du maître quant au rythme des acquisitions et à leur qualité chez le jeune Emile, mais une disponibilité totale à l’expression de n’importe lequel de ses désirs, dont celui de ne pas faire ses devoirs ; non pas : les savoirs pour tous en y mettant les moyens méthodologiques et pédagogiques alternatifs au redoublement, dont il est prouvé l’inefficacité, mais une inscription automatique avec progression automatique par flux jusqu’à la classe terminale .
Pendant quelques années, on a ainsi laissé les jeunes s’exprimer d’un bout à l’autre de la chaîne éducative, ce qui a consisté à être assez peinards, pour les profs comme pour les élèves : peu de futurs prix Nobel et peu de révolutionnaires, dans les 90’s. et quoi qu’on dise, pas tant de démagogie que de goût du repos, chez la plupart des enseignants, que les grands penseurs universitaires du cycle et de l’individualisation n’atteignirent guère.
L’école bien pleine ronronnait donc dans ses expérimentations du tout maïeutique (si tu le sens pas, tu l’fais pas) quand la griffe de dame Misère sociale heurta son huis et qu’on se mit au dehors à parler de fractures : les flux quantitatifs de la démocratisation drainèrent donc quantité d’enfants de parents démocratiquement licenciés ou paupérisés, dont la tâche éducative se trouvait en concurrence avec le souci du quotidien.
Le résultat aujourd’hui est que nous avons des écoles remplies, en très grande partie de gens qui n’y font rien de ce qu’il est traditionnellement prévu de faire dans une école, mais qui, enseignants ou élèves, font des trucs super : apprendre à parler au lieu de frapper, apprendre à côtoyer du blanc et du noir sans cracher, écrire sur les lignes à 17 ans, remplir un formulaire en français pour ses vieux parents première génération, et, heureusement, se protéger du chaos extérieur grâce aux espaces intimes et familiers de la salle de classe et de la cour, et par l’échappée que constitue une heure à entendre parler de choses abstraites.
Cela ne convient pas à Luc Ferry, ça lui paraît sans doute désordonné, à lui qui voudrait qu’on recentre sur les savoirs : très bonne idée, mais où iront les enfants de 13 ans qu’on a emmenés depuis le CP jusqu’en 6ème et qui ne sont toujours pas scolairement corrects dans leur « niveau » ou leur comportement ? En apprentissage ? Oui, avec des contrats passés localement entre les collèges et les entreprises grâce aux conventions que multiplie le ministre avec le Medef : ils seront formés pour Métalleurop, et, merci la décentralisation, par des intervenants Métalleurop « maison » aux métiers de Métalleurop : utile, non ? En redoublement ? Le 38ème dans une classe de 37, idéal pour se concentrer sur les savoirs. Chez leurs parents, à partir de 16 ans ? Dealer à plein temps, enfant à charge de chômeurs, par exemple ? Ou dans les « classes relais », une par district dans les meilleurs cas, sans autre personnel d’encadrement que des volontaires ?
A moins que le ministre ait prévu que chacun se recentre sur son métier, et qu’il se mette à demander des créations de postes par centaines pour que les éducateurs spécialisés, les assistants sociaux, les psychologues et médecins scolaires, les personnels de l’ASE, puissent faire leur travail, et laissent le temps aux professeurs de professer dans une rigoureuse perspective de transmission des savoirs : mais s’il supprime les présences adultes autour des adolescents, et met les élèves non conformes hors de l’école, il faut s’attendre à ce que ça s’exprime très librement, dans les faubourgs… ça non plus, ce sera pas nouveau, mais pour ce qui est de l’idéal, les poulbots aux fortifs et les jeunes gens méritants dans les classes, ça vous fait rêver comme projet ?
Tremblez, bonnes gens, les hussards de la République ne vont plus faire rempart…