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TRAVAIL, PARESSE, DESHONNEUR
Par Florence Bray


La Paresse, le Sens et la Valeur ont été les héros de l'automne dans une histoire qui pouvait sembler pourtant bien prosaïque : celle du boulot.
Les responsables se plaignent en effet que les français aient dévalorisé le Travail et cherchent autant que possible à s’y soustraire, cela parce qu’ils en négligent le Sens moral : le travail élève l’individu et la nation, alors pourquoi cette hâte d’aller en week-end dès le vendredi midi ? Le Loisir serait devenu la seule finalité de nos vies, ce qui résonne comme un air décadent, pour reprendre un autre motif à la mode dans le débat public officiel.
Ces analystes sont éventuellement relayés par d’autres qui expliquent que la démobilisation viendrait de la nature des tâches de l’âge tertiaire: comment s’investir pleinement dans du marketing téléphonique ? Comment se sentir impliqué dans un travail sans créativité ni nécessité tangible? Mais dans les temps industriels, les tâches n'étaient pas beaucoup plus excitantes, et pourtant on était content de bosser, de temps en temps, non?
On voudrait oublier aujourd'hui que le travail repose quand même encore souvent sur un contrat au sein d’une hiérarchie, et que l’on ne va pas d’un mouvement libre et naturel prendre son poste : on va y gagner sa vie sous contraintes. Or, si la contrainte horaire, hiérarchique, commerciale, est acceptée comme inhérente à l’exercice, elle s'accompagne d’une souffrance croissante générée par l'inflation des discours managériaux, et osons dire patronaux, voire umpesques, producteurs d'incohérence : management participatif, pour l'affichage (on se concerte, on s’exprime, on se découvre, même, lors de réunions mangeuses d’énergie et déstabilisantes, et rien ne change dans les jeux de pouvoir du service, sauf que chacun s'est mis à poil et s'est bien exposé), décisions publiées puis invalidées le lendemain sous la pression d’un groupe interne ou externe, slogans pour le service démentis par le comportement des chefs du service ("100% qualité", mais communication volontairement piégée par des détours et des oublis). Ce n’est pas du Sens inhérent au travail qu’il faut parler alors, mais du sens du contrat qui nous lie dans une même boite : travaille-t-on vraiment ensemble, mon chef et moi ? Dans quel sens veut-il aller, au juste ? Et a-t-il prévu de nous emmener?
Le sens du travail est celui qu’on lui donne par la convention initiale, quelle que soit la nature de la tâche : nous sommes reliés les uns aux autres, donc nous contribuons à une production commune, dans le but commun aussi de nous enrichir, dans des proportions différentes certes, mais c’est dans le contrat. J'accepte de suivre la route sur laquelle on me met, et je marcherai droit puisque j’ai accepté, et que je n’ai pas la possibilité de n’être sur aucune route si je veux trouver mon pain. Mais si la direction change constamment, sans explication, aléatoirement, et sans amélioration visible, je finis par penser que l’on me fait marcher, et que finalement, peu importe à mon employeur que j’aille ici, ou là, pourvu qu’il puisse me faire fonctionner. Dans ces cas là, je m’arrête, car j’ai le tournis, et que je ne crois plus la consigne, puisqu’elle est interchangeable sans fin avec la consigne contraire, ou qu’elle est oubliée par celui qui la donne. Moralement, ça s'appelle la vanité.
Bien plus, si l’employeur va clairement ailleurs que là où il nous envoie, dans un cynisme à peine dissimulé (lui en séminaire résidentiel à Majorque, nous rendre un culte à la valeur travail à retaper l’organigramme qui a encore changé/lui à la banque déposer ses indemnités incommensurables, nous observer pieusement l’objectif de rigueur salariale), bref, si on se fout de nous, alors la convention est rompue et il n’y a en effet plus de sens à n’obéir qu’à des ordres formels, d'autant plus insupportables qu'ils sont travestis en consignes éthiques et humanistes par la "GRH". Et là, on est dans l'humiliation avouée.
Etant donnée la sauvagerie croissante dans les relations de travail, beaucoup se méfient des engagements qui les impliquent mais dont le partenaire se dégage si facilement, et ont perdu toute confiance dans le contrat tacite qui supposait que l’entreprise recherchait l’efficacité collective: ce n’est pas la terrible Paresse, mais plutôt l’odieux Déshonneur, qui nous a mis ko, si l'on tient à mettre de la morale là dedans!