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TROMPE-L’ŒIL ET CONSULTATION EUROPEENNE

jeudi 18 juin 2009
par  Gérard Bélorgey
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Les commentaires sur la consultation européenne comportent un tissu d’erreurs et d’intox. Au plan européen, comme au plan français, les analyses qui s’imposent vont largement à l’inverse de bien des constats dominants émanant de la plupart des médias et des membres de la classe politique, englués dans les pièges de leurs clichés. Il est faux que l’Europe soit incomprise des citoyens car l’abstention montre à l’inverse une compréhension de bon sens qui rejoint les questions sans réponse qu’a engendré ce qu’est devenue l’U.E. pour constituer ce défi majeur sur lequel on reviendra dans un second temps.

Il est faux que cette consultation soit un triomphe pour l’UMP, car elle atteste au contraire que le pouvoir est largement minoritaire dans le pays. Il est désavoué par les abstentionnistes, considérablement dépassé par le total des gauches et du Modem, renié par les droites souverainiste et populiste ; un tel pouvoir ne peut se maintenir que grâce au scrutin majoritaire, à sa communication et, solidairement, à ses ambiguïtés (particulièrement en ce qui concerne l’affichage d’un besoin de protection européenne qui peut - et veut ? - se faire comprendre comme envers les flux de marchandises et les délocalisations, mais qui s’exerce surtout contre les immigrations). Il est dément que l’on puisse aussi bêtement que d’habitude confronter des totaux de droite et gauche, en se référant au vieux schéma bipolaire, qui n’a pas de sens (et c’est le Modem même, s’il ne tire pas succès de le récuser, qui a la vertu intellectuelle de le dire). En effet « droite » et « gauche » sont chacune tant éclatée qu’il est idiot d’additionner pour chiffrer « la droite » l’UMP et le Modem, puisque, alors que tout le monde veut l’oublier pour détruire ce mouvement, le Modem n’est pas à droite, mais au centre, notion de « centre » que depuis 1968 et la déformation de la Vème République, refuse la conjuration des prétendus politologues français, et au delà d’additionner ces mouvements et le FN, ainsi que Libertas, car le premier reste irréductible tandis que le second ne pourrait se rapprocher du pouvoir que si celui-ci allait à un protectionnisme du noyau européen.

Sur l’autre versant, peut-on en totalisant le score des "verts" conduits par l’ancien "rouge", avec ceux de la « gauche de gouvernement », du Front de gauche et du NPA (heureusement coiffés par des gens plus sérieux) dire que les voix de gauche dépassent nettement en France celles de la droite ? C’est également idiot, parce que, sauf miracles, ce paquet de courants, de convictions, de méthodes trop différentes ne peut constituer ni une force pour une candidature présidentielle, ni une capacité cohérente de gestion nationale. D’ailleurs, aujourd’hui, l’une des lignes de clivage essentielle de la France n’est pas entre gauche et droite mais entre les partisans du libre échange et les tenants d’une dose de « préférence communautaire ».

Il est aussi dément qu’on voit dans le succès de DCB la percée d’une force politique verte pouvant jouer un rôle français. Son nouveau leader est le symbole de la trame libertaire et de la chaîne libérale qui ont tissé les conditions de la libéralisation des moeurs jusqu’à l’excès, et de la mondialisation de l’économie jusqu’à la crise, ce qui ne l’a pas empêché, avec conviction certainement, en se plaçant hors du champ national et en voulant être un européen avant tout, de surfer sur la nouvelle grande peur, celle du changement climatique. De la même manière que l’obsession sécuritaire a eu l’occasion d’être entretenue au bénéfice de la droite, par des productions médiatiques sur l’insécurité, l’obsession climatique s’est d’ailleurs trouvée entretenue jusqu’à la veille du scrutin par des émissions appelant à mettre le monde en état d’alerte par des réalisateurs qui font plus aisément pleurer sur les ours blancs que sur les chômeurs de couleur.

Au delà ce qui compose le mouvement est extraordinairement hétéroclite, (autant à sa manière que le PS), avec des figures qui permettent aussi de surfer sur d’autres passions légitimes : celle de la justice pour tous qu’incarne Eva Joly et celle de la nostalgie de la qualité et de l’équilibre agricole ainsi que de la bonne bouffe qu’incarne José Bové . C’est ainsi qu’on voit se mêler des tenants du « non » et de la souveraineté alimentaire et des soutiens du traité constitutionnel ou de celui de Lisbonne, des relents tenaces des provocations et des mots d’ordre permissifs de 1968 et des professeurs d’austérité pour conduite à une société plus frugale, le mélange du rêve hippie et de celui d’un progrès technique dans l’énergie alternative qui permettrait de se libérer du nucléaire, pas mal de déçus du PS qui se rallient à cette formation parce qu’elle est menée par d’anciens copains « de gauche », comme si ce label suffisait à garantir quoi que ce soit, des inconditionnels de l’internationalisme que l’alter mondialisme a laissé sur leur faim. Voilà un cocktail de convictions écologiques, d’adhésion à la globalisation (ils sont pour le village mondial ! dont nous sommes les fadas), d’utopie sur la manière dont en discipliner les effets nocifs, de vieux fond gauchiste et de sincère passion de la probité. C’est une coalition hétérogène servie par une habileté diabolique prête à justifier toutes les évolutions de son détenteur qui peut brouiller un peu les cartes européennes et françaises, mais dont on ne peut imaginer quelle claire efficace stratégie européenne elle pourrait préconiser sur la base de la renonciation aux capacités que confère le nucléaire et sans récuser la compétition libre échangiste mondiale constituant l’une des matrices majeures du réchauffement planétaire.

La vérité est que l’affaire du climat et de l’environnement, pour aussi réels et graves que soient les enjeux, joue politiquement comme une grande diversion qu’utilise à merveille le pouvoir en place et plus généralement les tenants occidentaux du libéralisme mondial pour faire croire que c’est la seule et vraie clef de l’avenir, alors que la clef de l’avenir pour apporter solution - ou au moins soulagement - aux problèmes de climat et d’environnement est bien d’abord de maîtriser la compétition mondiale libre échangiste par les prix qui est le fourrier, comme de bien des chômages, de bien des pollutions . Pour servir l’écologie, ce qu’il faut en faire avec exigence, il faut pouvoir maîtriser l’économie mondiale La priorité écologique fait elle passer la charrue avant les boeufs.

Il est enfin stupéfiant - mais éloquent sur les complicités intellectuelles entre « européens de Lisbonne » - qu’on n’affiche pas, comme même source d’explications pour l’effondrement du PS, la montée du front de gauche, l’irrédentisme des droites extrêmes implantées dans les milieux ruraux conservateurs modestes et dans les classes populaires, l’erreur fondamentale et fatale qu’a constitué pour la gauche classique son ralliement à l’eurolibéralisme dans l’ouverture à la compétition mondiale par les prix avec les low cost countries.

En effet s’agissant de l’Europe, la première contre-vérité de cette campagne a été de vouloir faire penser qu’il s’agissait d’élire un organise ressemblant peu ou prou à un pouvoir législatif européen. Ayant, certes, grandi en influence, le Parlement européen n’a pas la plénitude du pouvoir législatif européen qui est exercé par le Conseil des Ministres, ni un bien grand pouvoir, malgré des progrès en ce sens que DCB nous dit vouloir exploiter contre Barroso, sur le choix ou le renvoi de l’exécutif qu’est la Commission sur la présidence et la composition de laquelle s’accordent de fait les États. C’est donc un important pouvoir consultatif et parfois de veto, mais la capacité décisionnelle est ailleurs : dans le choix de chaque majorité nationale et dans les accords qui sont intervenus et interviennent entre les gouvernements des nations composantes pour fixer la stratégie de l’Union dans l’esprit des traités en faisant un maillon du libre échange mondial.

La seconde contre-vérité est donc de faire penser que ce vote pouvait avoir des conséquences importantes, alors que les jeux ont été faits par le traité de Lisbonne. Tous les citoyens auxquels ont a refusé de tirer conséquence du refus du traité constitutionnel n’avaient donc aucun motif majeur de se mobiliser pour un jeu de subtiles influences ne pouvant guère jouer comme réducteur de crise. Et voilà donc comment s’explique le paradoxe que la récession et le désemploi en Europe bénéficient globalement aux droites.

A ces contre vérités s’ajoute une profonde confusion : au lieu d’être développée dans la conception d’origine comme un outil d’ambition économique dont le ciment aurait du être la meilleure compatibilité économique et sociale entre ses nations composantes, l’Europe s’est élargie à partir de critères politiques sur la qualité culturelle ou démocratique des nouveaux adhérents et c’est d’ailleurs encore ce jeu de critères qui inspire les débats autour de la question turque.

Enfin la seule question clef qui aurait du gouverner la campagne - dès lors que la question climatique est en fait consensuelle - est celle de savoir si la stratégie européenne doit continuer à être libre échangiste ou intégrer une part raisonnable de protectionnisme pour sécuriser l’emploi européen dans un cadre de co-développement durable négocié avec les autres puissances du monde. Le problème n’a vraiment été posé que par des formations regardées comme "extrémistes", tandis que le pouvoir en France joue des équivoques du mot de "protection" (contre les imports et les délocalisations ou contre les hommes ?), et tandis que la question est restée dans le plus grand flou dans le manifeste écologiste : les « neufs piliers » du « contrat écologiste pour l’Europe », tous fondés en sensibilité, ne traitent rationnellement d’aucune question de moyens. Pourquoi donc Europe écologie a pu prendre sur le PS ce qu’aurait du lui prendre d’un côté le Front de gauche et de l’autre le Modem ? Parce qu’une part de la clientèle de gauche préfère le rêve à la dure confrontation au réel ? En allant à des impasses, de la même manière que 1968 a conduit à un long bail des conservateurs au pouvoir avant de déboucher sur l’illusion des années Mitterrand...

En conclusion, bien provisoire, rappelons d’abord que loin de révéler une incompréhension de l’Europe, l’importance de l’abstention exprime un profond réalisme : la déception que cette Europe inspire.

Rappelons ensuite, que loin de triompher, le pouvoir est réduit, face aux contestations de toute nature, à un dernier carré très minoritaire. Mais il a toute chance néanmoins de se maintenir et de se continuer en 2012 alors que dans une démocratie où la Répartition Proportionnelle remplirait son rôle, les voix recueillies par le Modem, par les Verts, par le Ps, par les gauches et les droites radicales, interdiraient la reconduction du pouvoir en place. Celui-ci ne peut donc tenir son avenir que du scrutin majoritaire par lequel se neutralisent des oppositions en morceaux. Ces oppositions en morceaux ne sauraient devenir une force de gouvernement en France qu’en étant capables de trouver entre elles, par le rôle catalyseur que devrait remplir un leader d’union nationale (qui ne peut pas être un D.C-B) un terrain commun pour des action stratégiques françaises et européennes : ce terrain commun est de remettre en cause le fonctionnement de l’UE tel qu’il existe et son corollaire qu’est le libre échange mondial. Il y a une impulsion en ce sens partout en Europe où ont été sanctionnés, par le succès même des droites non libérales, les gestionnaires de l’euro libéralisme, où les contestations vont déborder les urnes et où il y a aussi des majorités de rechange pour une autre Europe à aller trouver pour une bonne part chez ces abstentionnistes qui savent bien que celle d’aujourd’hui ne peut convenir.

En attendant cessons de faire de fausses défaites et de fausses victoires les bases d’un raisonnement qui ne pourrait être qu’aussi faux , et maintenons le cap de notre recherche pour la discipline des échanges mondiaux - ce qui servira l’écologie salutaire qui ne saurait pour autant remplacer un projet politique - rappelons que la représentation proportionnelle est la seule vérité de l’expression de la souveraineté nationale, mais qu’elle appelle un régime présidentiel l’équilibrant par la stabilité et la continuité que devrait pouvoir assurer à la tête de l’État, un homme refusant la division de la France entre « ces deux fonds de commerce », comme disait Chaban-Delmas, de la gauche et de la droite.

Le blog de Gérard Bélorgey : http://www.ecritures-et-societe.com


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